Thierry Giami (Sfaf) : «La place doit considérer l’analyse financière comme un atout essentiel de son attractivité »

A l’occasion des 60 ans de la Société française des analystes financiers, son président, Thierry Giami, revient pour L’Agefi sur les défis de l’analyse financière.
Bruno de Roulhac
Le président de la Société française des analystes financiers (Sfaf) Thierry Giami.
Le président de la Société française des analystes financiers (Sfaf) Thierry Giami.  - 

En clôture de la soirée des 60 ans de la Société française des analystes financiers (Sfaf), Robert Ophèle, président de l’Autorité des marchés financiers (AMF), a rappelé jeudi que l’analyse financière restait menacée, notamment dans son indépendance. Pour que l’analyse sponsorisée, en plein développement, ne puisse être assimilée à un publi-reportage avec une crédibilité limitée, l’AMF a demandé à la place de Paris de préparer une charte et des contrats types, avec une durée minimale du contrat de sponsoring de la recherche et une transparence sur la commercialisation et sur les divers services fournis. Les travaux engagés par la Sfaf, l’Association française des marchés financiers (Amafi), l’Association française de la gestion financière (AFG) et l’Association française des investisseurs institutionnels (AF2i) sont quasiment achevés. Un cadre sera proposé avant la fin de l’année, promet Robert Ophèle. Il s’agit de l’un des chantiers transmis par Thierry Giami, l’actuel président de la Sfaf, à son successeur.

L’Agefi : La Sfaf célébrait jeudi ses 60 ans ; vous terminerez votre mandat de président en novembre prochain. Quel bilan en tirer ?

Thierry Giami : La mise en application de la directive MIF et les conséquences de cette réforme, nous ont conduits à avoir une vision plus stratégique de l’analyse financière. Parallèlement, nous avons renforcé la place de l’ESG. Nous avons aussi commencé à intégrer les changements technologiques – data, intelligence artificielle… – qui influent sur l’analyse financière.

Avec le Brexit, une place financière d’Europe continentale qui existe par elle-même devient une perspective crédible. A nous de participer à l’organisation de cette place, facteur essentiel du financement de l’économie. D’autant que ces dernières années, la part du marché dans le financement de l’économie croît. Dans la construction de cette place financière, notre pays a un rôle central à jouer. L’analyse financière y prendra une place essentielle.

Comment améliorer la qualité de la recherche, alors que le baromètreMiFIDVisionde juillet dernier avait constaté une détérioration ?

Avec la directive MIF, la recherche est devenue un produit facturé comme toutes les prestations. Ce changement a pour conséquence d’identifier un marché, celui de l’analyse et de la recherche. Contradictoirement, une baisse de qualité est observée. C’est directement la conséquence des économies réalisées sur la recherche. La rationalisation des budgets a conduit à une moindre consommation de recherche alors que l’analyse financière nécessite davantage d’expertise humaine et des datas. C’est la même problématique avec la gestion passive.

Pour accroître le marché de la recherche, insuffisamment considéré par les émetteurs comme par les investisseurs, nous pensons qu’il faut le placer au centre de la planète finance. MIF a donné l’impulsion en détourant l’analyse financière du courtage.

La prise de conscience est là et le sentiment de besoin de recherche progresse. Mais le mouvement est lent. Les sociétés qui s’introduisent en Bourse, notamment les technologiques, ont besoin qu’on parle d’elles. Sur 660 émetteurs cotés, 205 ne bénéficient d’aucune couverture par un analyste. Le modèle économique de base perdure : si la liquidité est insuffisante, aucun courtier ou bureau d’analyse indépendant ne veut suivre la valeur.

Pour entrer dans un nouveau chemin stratégique, toute la place doit dire et montrer qu’elle considère l’analyse financière et extra-financière comme un atout essentiel de l’attractivité du marché financier parisien. Cette vision relève de la responsabilité collective de tous les acteurs du marché, également des régulateurs et des pouvoirs publics. Par exemple, les moyens consacrés à l’analyse financière seraient un critère de sélection des gérants par les investisseurs. Nous voulons convaincre l’écosystème qu’il a un intérêt à une recherche forte.

Où en est l’analyse sponsorisée ?

Nous comptons 212 sociétés couvertes par l’analyse sponsorisée. Ce marché, encore modeste, s’est spontanément développé face à l’insuffisance d’analyse ressentie par les émetteurs. Mais en qualifiant ce produit de promotionnel, la directive MIF l’a disqualifié pour les analystes comme pour les entreprises. Pour accompagner son développement, la mission que j’ai menée avec Jacqueline Eli Namer, à la demande de l’AMF, a recommandé en janvier 2020 plusieurs principes : l’indépendance, pour assurer l’objectivité ; la transparence, en précisant clairement que l’analyse est payée par l’émetteur ; et la diffusion libre dès lors que l’émetteur a acheté cette recherche.

La Sfaf a publié une charte de l’analyse sponsorisée dans la foulée du rapport Eli Namer-Giami et l’a proposée aux organisations de la place. Depuis, faute d’une vision partagée, nous pataugeons entre la diversité des pratiques et les inquiétudes des uns ou des autres. Devant la nécessité d’avancer, nous avons demandé la médiation de l’AMF qui a permis de trouver une solution. Nous souhaitons que la recherche payée par l’émetteur cohabite avec les autres formes de recherche dans la mesure où elle répond à un vrai besoin du marché.

Qu’en est-il de l’indépendance de la Sfaf après l’annulation de la réunion avec le fondateur de Muddy Waters début juillet ?

La Sfaf a toujours été indépendante. Elle évite seulement de se trouver dans une situation où elle peut être instrumentalisée. En l’espèce, la réunion devait se tenir juste après l’assemblée générale de Solutions 30 et avant la clôture de la Bourse. Néanmoins, notre invitation est maintenue auprès de Carson Block. Ce dossier aura eu le mérite de donner l’occasion à l’AMFde réaffirmer avec force la nécessité de l’indépendance des analystes.

L’indépendance nécessite un cadre protecteur et des devoirs déontologiques, au plan réglementaire. L’AMF et l’Esma (Autorité européenne des marchés financiers) se penchent sur cette valeur. Le réexamen de la directive MIF l’an prochain par Bruxelles donne l’occasion d’une nouvelle réflexion sur le sujet. Dans un univers très régulé, l’analyse financière, non régulée, constitue de facto un maillon faible. Dans le cadre de la construction d’une place financière européenne, nous avons tout intérêt à trouver des solutions communes.

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