
Les sanctions sur les semi-conducteurs mettent au pas l’industrie russe

Les premiers sanctions américaines et européennes contre la Russie ont conduit, dès le 25 février, à bloquer la capacité du pays à acheter des semi-conducteurs et d’autres technologies de pointe, ce qui devrait affecter les industries technologiques et militaires russes à l’avenir. Des pays alliés (Japon, Taïwan et Corée du Sud) vont emboîter le pas.
«Le marché des semi-conducteurs est assez peu dépendant de la Russie : il n’y a là-bas pas ou peu de fabrication, la conception des puces n’utilise pas de gaz autres que des gaz spécifiques que des opérateurs occidentaux peuvent fournir, et certains matériaux comme le titane (dans les puces pour l’aéronautique) que l’industrie doit pouvoir trouver ailleurs, même pour le palladium s’il est stratégique», analyse Pierre Garnier, managing partner du fonds spécialisé Jolt Capital (et ancien cadre de l’industrie électronique).
La mise à l’écart de la Russie n’aura pas d’effet sur le marché mondial des puces car elle représente moins de 0,1% des achats selon World Semiconductor Trade Statistics. Alors que la demande reste énorme, cela permettrait même de réorienter immédiatement certaines capacités vers d’autres pays.
Le problème sera bien plus grand pour ses industries, et pour les entreprises étrangères implantées localement qui en ont besoin pour fabriquer des voitures et autres applications ou capteurs industriels. Elles risquent de se tourner rapidement vers la Chine. «Microprocesseurs, puces de mémoire (vive ou morte), circuits intégrés, convertisseurs, microcontrôleurs, etc. Un produit ou une application électronique peut faire appel à 8 ou 9 types de puces, et la Chine est au point sur 4 ou 5 d’entre eux, mais très en retard sur les 3 ou 4 autres : la Russie n’aura pas accès aux technologies de pointe de cette manière», poursuit Pierre Garnier. D’autant que des sociétés chinoises comme SMIC (Semiconductor Manufacturing International Corp), basée à Shanghai, qui fabrique des puces suffisamment sophistiquées pour certaines applications militaires, utilisent des fournisseurs américains et risquent de devoir se conformer aux sanctions.
Quant à construire son autonomie digitale ? «Bâtir une usine fiable prend trois ans, et modifier les processus d’une usine existante neuf mois. On peut aussi douter que, dans l’environnement particulier des derniers mois, la Russie ait pu accumuler suffisamment de stocks pour tenir longtemps, donc l’effet est très fort, même à moyen-long terme», conclut Pierre Garnier.
Normalisation progressive
Ces sanctions sont d’autant plus dommageables pour la Russie, que la situation mondiale sur les semi-conducteurs s’apprête à entrer dans une nouvelle phase beaucoup plus confortable pour les utilisateurs de puces. «La pénurie mondiale de puces électroniques pourrait bientôt se transformer en une crise d’offre excédentaire», explique dans une note l’économiste Asie de Natixis, Alicia Garcia Herrero. L’offre limitée de semi-conducteurs a bloqué des pans entiers d’activité et entraîné une hausse des prix.
L’industrie a réagi de plusieurs manières. Premièrement, par une augmentation massive des investissements privés - de 30 à 44 milliards de dollars entre 2021 et 2022 pour le géant TSMC. Deuxièmement, en sollicitant d’énormes programmes publics pour stimuler la production locale, tant en Chine (6% de l’offre ; 35% de la demande mondiale) qu’aux Etats-Unis et dans l’Union européenne (UE), mais là aussi plutôt sur les puces moins sophistiquées, destinées aux appareils du quotidien. Enfin, en développant des partenariats ou des usines à l’étranger, plus près de la demande. C’est par exemple le cas pour TSMC qui se développe aux Etats-Unis et au Japon et qui envisage de s’étendre en Allemagne. «Il est possible que la Silicon Saxony (Dresde) soit désormais un peu trop proche de la Russie», note Pierre Garnier, managing partner du fonds spécialisé Jolt Capital. «Comme cette industrie demande d’énormes investissements et nécessite d’utiliser au mieux les capacités en place, les industriels ont aussi construit des usines plus modulaires», ajoute cet ancien cadre de l’industrie électronique.
Au bout du compte, «les pénuries de puces s’atténueront légèrement en 2022 avec une production accrue en Asie, mais une vague massive de nouveaux approvisionnements est possible en 2023. Etant donné que l’essentiel de cette production ne concernera que les semi-conducteurs matures, seules les puces haut de gamme feront face à des pénuries», poursuit Alicia Garcia Herrero. Pour l’économiste, qui ne manque pas d’évoquer le risque d’approvisionnement en terres rares et matières premières clés avec la montée des tensions géopolitiques, cette situation pourrait, à défaut de réorientation rapide des investissements vers les puces plus sophistiquées, entraîner une surcapacité sur le reste du marché. «A moins que les utilisateurs et distributeurs n’aient ‘surstocké’ pendant la pandémie, il faudra quand même attendre 2023 pour voir la fin de la pénurie», conclut pour sa part Pierre Garnier.
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Les Norvégiens aux urnes pour des élections législatives à suspense
Oslo - Les Norvégiens votent lundi pour des législatives très disputées, où les troubles géopolitiques liés à la politique de l’administration Trump et à la guerre en Ukraine pourraient bénéficier au gouvernement de gauche sortant. Les sondages donnent une courte avance à la gauche emmenée par le Premier ministre travailliste Jonas Gahr Støre. Dans un paysage politique fragmenté, l’issue du scrutin dépendra de la capacité des neuf principaux partis à se hisser au-delà des 4% des votes, seuil qui assure une représentation au Parlement. Alors qu’un record de 1,9 million de Norvégiens, soit plus de 47% du corps électoral, ont déjà voté par anticipation, les premières projections devraient être connues à 21H00 (19H00 GMT) à la fermeture des derniers bureaux de vote. Dans cette nation prospère de 5,6 millions d’habitants, la campagne a tourné autour de questions intérieures comme le coût de la vie, les inégalités, les services publics et la fiscalité, notamment l’impôt sur la fortune. «Ce qui a vraiment préoccupé les gens, c’est leur situation quotidienne, leur économie personnelle, vous savez, comment faire face à la hausse des prix», a déclaré M. Støre aux médias après avoir voté, avec son épouse, dans un lycée d’Oslo. Pour le politologue Johannes Bergh, le dirigeant de 65 ans, fort de son expérience de Premier ministre depuis 2021 et de ministre des Affaires étrangères avant cela, a bénéficié du besoin de stabilité de la population face à l'élection de Donald Trump, aux droits de douane et à la guerre en Ukraine. Membre de l’Otan mais pas de l’Union européenne, la Norvège partage une frontière commune avec la Russie dans l’Arctique, et son économie est très dépendante des exportations. Selon une moyenne des sondages de septembre réalisée par www.pollofpolls.no, les travaillistes et leurs alliés pourraient remporter 88 mandats, soit trois de plus que la majorité, sur les 169 sièges au Storting, le Parlement monocaméral. Entrepreneur de 78 ans, Knut Aga est un de ces électeurs qui dit vouloir «de la stabilité». «L’Europe est plus ou moins en guerre. La situation n’est pas très bonne aux Etats-Unis (...) C’est pourquoi je veux être plus en sécurité», a-t-il dit à l’AFP à la sortie d’un bureau de vote à Oslo. «Reprendre le contrôle» M. Støre a aussi bénéficié de l’implosion en début d’année de l'épineuse coalition qui liait les travaillistes au parti du Centre, formation eurosceptique axée sur les intérêts ruraux, et de l’arrivée au gouvernement de l’ex-chef de l’Otan, le populaire Jens Stoltenberg, devenu ministre des Finances. «Nous avons besoin d’une nouvelle politique en Norvège», a au contraire affirmé une de ses principales rivales, l’ex-Première ministre conservatrice Erna Solberg, en votant dans sa ville natale de Bergen (ouest). Mathématiquement, s’il reste aux manettes, M. Støre aura vraisemblablement besoin de l’appui de l’ensemble des quatre autres forces de gauche, y compris le parti du Centre, les écologistes et les communistes. Or, les points de discorde foisonnent: les travaillistes sont notamment favorables à la poursuite des activités pétrolières qui ont fait la fortune du royaume, tandis que les écologistes s’y opposent. Ces deux formations sont en revanche d’accord pour entretenir des liens étroits avec l’UE, laquelle fait figure d'épouvantail pour le parti du Centre et l’extrême gauche. Cette dernière réclame, elle, que le fonds souverain du pays, le plus gros au monde, se retire totalement d’Israël, ce que les travaillistes rejettent. En face, la droite est également divisée: le parti conservateur de Mme Solberg est distancé dans les sondages par le parti du Progrès (FrP) de Sylvi Listhaug, formation populiste anti-immigration et désormais première force d’opposition. Contrairement à la gauche unie derrière une candidature unique, tant Mme Listhaug, 47 ans, que Mme Solberg, 64 ans, lorgnent le poste de Premier ministre. La première peut faire valoir de meilleures intentions de vote que la seconde, mais elle est également plus clivante, notamment pour les électeurs modérés. «Veut-on continuer comme avant, dépenser toujours plus et garder des impôts et taxes très élevés sans en avoir plus pour notre argent que dans les pays voisins ou veut-on reprendre le contrôle et arrêter le gaspillage?», a-t-elle dit lundi au micro de la chaîne TV2. Pour ne rien arranger, le bloc de droite compte aussi deux petits partis de centre droit, dont les Libéraux qui s’opposent au FrP sur de nombreux sujets comme le climat, l’UE et l’immigration. Jonathan KLEIN et Pierre-Henry DESHAYES © Agence France-Presse -
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