
Les rachats d’actions ne marquent pas de pause estivale

Shell, BP, ING, Glencore, Maersk et Axa, mais aussi Moderna, Airbnb ou Paypal : le point commun entre ces groupes cotés de part et d’autre de l’Atlantique ? Les rachats d’actions. Tous, parmi bien d’autres, ont annoncé depuis début août de nouvelles intentions ou de nouveaux programmes en la matière. « Les rachats d’actions ont de beaux jours devant eux », résume un professionnel.
Les premiers éléments de 2022 confirment même une nette accélération de la démarche du côté des entreprises européennes. Sur un échantillon de 320 sociétés passées au crible par BNP Paribas sur un périmètre Europe et Royaume-Uni, « elles sont 133 à avoir été actives en rachetant leurs titres au cours du semestre, contre 89 un an plus tôt, ce qui constitue une hausse de 49% d’une année sur l’autre », souligne Emmanuel Sasson, deputy head of corporate Equity chez BNP Paribas Exane. La progression des montants rachetés est bien plus spectaculaire. L’enveloppe s’élève « à 70 milliards d’euros, soit une hausse de 220% au premier semestre 2022 » sur un an.
Déjà un beau millésime en 2021
« Les rachats d’actions constituent un moyen pour les entreprises de redistribuer leur cash excédentaire avec, à la différence des dividendes, davantage de flexibilité offerte », rappelle Roland Kaloyan, responsable de la stratégie actions européennes chez Société Générale CIB. Avec la montée des incertitudes de tout ordre, les entreprises vont de plus en plus privilégier cette approche qui leur assure beaucoup plus de marges de manœuvre, sans effet cliquet sur le dividende. « 2021 était déjà un très bon millésime, une année record en matière de rachat d’actions en Europe, marquée par un puissant effet de rattrapage après l’année 2020 affectée par la crise du Covid », confirme Emmanuel Sasson pour lequel « 2022 s’inscrit dans la même lignée que 2021 ».
Une tendance confirmée à la Société Générale : « Nous nous attendions l’an dernier à une reprise vigoureuse des programmes de rachat d’actions en Europe mais celle-ci a été encore plus dynamique que prévu puisque les entreprises ont racheté plus que ce qui était attendu pour 2022 dans notre scénario central, soit 173 milliards d’euros l’an dernier, au-delà des 150 milliards d’euros anticipés pour 2022 ».
En terme de géographie, sur le premier semestre 2022, « le Royaume-Uni occupe la plus haute marche du podium avec 30,7 milliards d’euros rachetés, suivi de la France et de l’Allemagne », calcule Emmanuel Sasson selon lequel l’ancrage de la démarche se confirme avec des rachats plus récurrents. « 82 % des 133 sociétés actives au cours du premier semestre l’étaient déjà en 2021 ».
La tendance va-t-elle se poursuivre sur l’ensemble de l’année ? C’est probable. « On est sûrement à un tournant dans la politique de retour aux actionnaires en Europe, en rupture avec ce qu’on a pu connaître au cours de la décennie précédente », estime Roland Kaloyan. Avant la crise du Covid-19, les taux de distribution des entreprises européennes avaient fortement progressé, un héritage des années post-crise de la zone euro. Les groupes cotés avaient alors plutôt cherché à préserver les montants unitaires de leurs coupons. Ce qui s’était mécaniquement traduit par moins de carburant pour les rachats.
L’an dernier, 873 milliards de dollars d’actions avaient été achetés par les pensionnaires du S&P 500, soit 2,2% de la capitalisation globale, à comparer aux 205 milliards de dollars retirées par ceux du Stoxx 600, soit 1,3%.
Toujours des détracteurs
Plus qu’une béquille pour les Bourses, cette nouvelle vague de programmes met en lumière la bonne tenue des bilans, marqués par une absence de dégradation des dettes nettes, et de bonnes générations de cash-flows. « A la lumière des comptes du deuxième trimestre des entreprises européennes, on constate que les perspectives qu’elles évoquent restent très bonnes, avec des guidances souvent au-dessus des estimations des analystes », prolonge Emmanuel Sasson. Au-delà des montants en jeu, la démarche illustre la santé des entreprises.
Pourtant, malgré sa logique, la méthode garde des détracteurs qui regrettent que les montants en jeu ne soient pas davantage orientés vers les investissements. Le débat est aussi vieux que celui de la rémunération optimale du capital. « On a beaucoup parlé d’ingénierie financière aux Etats-Unis. Je ne pense pas qu’on soit dans cette situation en Europe, où les entreprises venaient prendre de la dette, qui coûtait peu ou rien, pour financer des rachats d’actions », estime Roland Kaloyan.
Pétrole, financières, santé et matériaux de base
De part et d’autre de l’Atlantique, les rachats d’actions gagnent du terrain mais les différences d’approche sont encore nettes. Du côté des entreprises américaines, relève la Société Générale, seuls 38% du retour aux actionnaires en 2021 a été réalisé sous forme de dividendes, contre 62% via des rachats. Une répartition à comparer avec une moyenne de 43%-57% constatée au cours des vingt dernières années. En Europe, la tendance est inverse, avec un retour à 67% sous forme de coupons, contre 33% via des rachats (70%-30% en moyenne sur 20 ans).
Sur un plan sectoriel, les financières européennes ont été les plus actives sur six mois, avec 15,8 milliards d’euros d’actions rachetées, suivies des acteurs de l’énergie (15,3 milliards) et des entreprises liées aux matériaux de base (8,6 milliards). L’an dernier, les acteurs de la santé étaient sur le podium à la place des banques et compagnies assurances. Le compartiment pétrolier a toutes les chances rester très en vue : entre le débat sur la surtaxation des résultats, le chiffon rouge des dividendes, le durcissement des politiques publiques sur la transition climatique – qui incitent peu aux nouveaux investissements - et un moindre appétit pour les acquisitions, la donne est propice aux retours aux actionnaires via des rachats d’actions. « Il faudrait une flambée des taux longs en 2023 pour que cela s’arrête de façon brutale. Ce que personne n’anticipe », conclut un professionnel.
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