
Les diplomates de la bonne gouvernance

Le stewardship sort de l’ombre. Ces professionnels chargés du dialogue actionnarial avec les entreprises et de la politique de vote aux assemblées générales, pour influencer leurs pratiques ESG (environnement, social, gouvernance), œuvraient jusque-là discrètement au sein des équipes. Mais la directive européenne révisée relative aux droits des actionnaires, SRD2, entrée en application en 2020, a changé la donne.
« Notre rôle est devenu plus important et plus visible. Les investisseurs institutionnels veulent s’assurer que leurs gérants de portefeuille appliquent une politique de vote assurant l’équilibre des pouvoirs, l’indépendance et la diversité des conseils d’administration, ainsi que la prise en considération des enjeux ESG, en particulier climatiques. Ils souhaitent aussi qu’ils communiquent de manière transparente leurs votes aux assemblées générales », éclaire Marie-Sybille Connan, stewardship analyst chez AllianzGI. Le rôle des professionnels du stewardship n’est pas seulement plus visible, il a aussi beaucoup évolué ces dernières années. Les résolutions au menu des assemblées générales – élection du conseil d’administration, approbation des comptes, des rémunérations… – se complexifient au fil des ans. « Le changement climatique a créé plus de risques pour les sociétés. Nos décisions d’investissement incorporent le risque climatique, et aussi les politiques des sociétés sur leur capital humain, dont l’importance a d’autant plus augmenté avec le Covid », détaille Sandra Crowl, stewardship director chez Carmignac.
Se former au changement climatique
Dans la lignée du « Say on pay », qui donne aux actionnaires un droit de vote sur la rémunération des dirigeants, le « Say on climate » a fait grand bruit en 2021, même s’il a concerné peu de sociétés et n’est pas inscrit dans la loi. Trois entreprises en France, Atos, Vinci et Total, et 25 dans le monde ont choisi de consulter leurs actionnaires sur leur politique environnementale. « Les résolutions libellées ‘climat¦ en tant que telles sont encore très peu nombreuses en assemblée générale, car historiquement, c’est un lieu de décision de la gouvernance et non du climat », observe Michael Herskovich, responsable stewardship de BNP Paribas Asset Management. Qui souligne aussi que la question du climat influence le vote d’autres résolutions, comme l’élection du conseil. « Le climat peut être traité dans les résolutions classiques d’une assemblée générale : est-ce que le board est suffisamment formé aux problématiques climatiques ? Comment le comité des nominations intègre ce critère dans le processus de sélection des nouveaux directeurs ? », appuie Clémence Humeau, à la tête de la coordination de l’investissement responsable et de la gouvernance chez Axa IM. Les équipes de stewardship doivent donc aussi évoluer pour prendre en compte ces nouveaux critères. « Il ne faut pas se reposer sur ses lauriers ! Je me spécialise dans les questions de changement climatique en suivant les travaux d’experts comme l’initiative Science-Based Targets (SBTI) ou la Transition Pathway Initiative (TPI). Nous-mêmes sommes engagés dans la coalition d’investisseurs Climate Action 100+ », détaille Marie-Sybille Connan.
Elle-même a la double compétence en analyse financière et gestion de portefeuille, et en analyse extra-financière. Un double profil idéal, sachant que les professionnels du stewardship sont plus habituellement issus de l’une ou de l’autre filière. « Au départ, ce sont plutôt des profils juridiques qui étaient recrutés car les résolutions d’assemblée générale concernent la gouvernance des entreprises », explique Michael Herskovich, lui-même doté d’une formation de juriste en droit des affaires. Aujourd’hui, il complète son équipe avec des professionnels de divers horizons, financiers, commerciaux, formés en communication ou en développement durable. Ces recrues sont intégrées aux équipes ESG et évoluent aux côtés des analystes, des personnes en charge de l’investissement solidaire, de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises). « Si l’équipe de vote définit sa politique et la met en œuvre dans son coin, on a tout raté ! Elle fait partie de la stratégie d’investissement responsable », résume Clémence Humeau.
Recrutements locaux
L’autre particularité des professionnels du vote est qu’ils sont recrutés localement. L’équipe dédiée de BNP Paribas Asset Management se répartit entre Paris, Londres, Hong Kong et New York. Axa IM a une partie de son équipe d’investissement responsable à Londres. « La culture y est plus ancrée là-bas, depuis l’instauration du Stewardship Code en 2010 », explique Clémence Humeau. Ces implantations permettent de prendre en compte les cultures et spécificités locales, et notamment les codes de gouvernance qui s’appliquent. « Tous les ans, nous fixons des objectifs à la fois ambitieux et réalisables pour avoir plus de femmes dans les conseils d’administration. Nous avons ainsi établi 30 % sur les zones Amérique du Nord et Europe, mais seulement 15 % en Asie », illustre Michael Herskovich.
Si l’activité est très concentrée pendant la saison des assemblées générales, les professionnels exercent toute l’année un travail de dialogue avec les entreprises pour faire bouger les lignes. « Il faut avoir un profil de bon négociateur, pas seulement auprès des sociétés investies mais de toutes les parties prenantes. Il faut savoir aussi faire passer ses messages plus formels par écrit », précise Sandra Crowl. « Cela requiert beaucoup de diplomatie. Nous avons besoin de personnes qui ont des convictions, et qui les mettent en œuvre de façon réfléchie. Il faut créer une relation de confiance avec les émetteurs, pour mieux générer un changement. Pour cela, il ne faut pas avoir une approche qui ressemble à un rapport de force », assure Clémence Humeau. Une subtilité nécessaire pour aborder les prochains enjeux qui pourraient s’inscrire aux menus des assemblées générales dès 2022, la biodiversité dans les enjeux climatiques ou la diversité ethnique dans les enjeux sociétaux.
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Les Norvégiens aux urnes pour des élections législatives à suspense
Oslo - Les Norvégiens votent lundi pour des législatives très disputées, où les troubles géopolitiques liés à la politique de l’administration Trump et à la guerre en Ukraine pourraient bénéficier au gouvernement de gauche sortant. Les sondages donnent une courte avance à la gauche emmenée par le Premier ministre travailliste Jonas Gahr Støre. Dans un paysage politique fragmenté, l’issue du scrutin dépendra de la capacité des neuf principaux partis à se hisser au-delà des 4% des votes, seuil qui assure une représentation au Parlement. Alors qu’un record de 1,9 million de Norvégiens, soit plus de 47% du corps électoral, ont déjà voté par anticipation, les premières projections devraient être connues à 21H00 (19H00 GMT) à la fermeture des derniers bureaux de vote. Dans cette nation prospère de 5,6 millions d’habitants, la campagne a tourné autour de questions intérieures comme le coût de la vie, les inégalités, les services publics et la fiscalité, notamment l’impôt sur la fortune. «Ce qui a vraiment préoccupé les gens, c’est leur situation quotidienne, leur économie personnelle, vous savez, comment faire face à la hausse des prix», a déclaré M. Støre aux médias après avoir voté, avec son épouse, dans un lycée d’Oslo. Pour le politologue Johannes Bergh, le dirigeant de 65 ans, fort de son expérience de Premier ministre depuis 2021 et de ministre des Affaires étrangères avant cela, a bénéficié du besoin de stabilité de la population face à l'élection de Donald Trump, aux droits de douane et à la guerre en Ukraine. Membre de l’Otan mais pas de l’Union européenne, la Norvège partage une frontière commune avec la Russie dans l’Arctique, et son économie est très dépendante des exportations. Selon une moyenne des sondages de septembre réalisée par www.pollofpolls.no, les travaillistes et leurs alliés pourraient remporter 88 mandats, soit trois de plus que la majorité, sur les 169 sièges au Storting, le Parlement monocaméral. Entrepreneur de 78 ans, Knut Aga est un de ces électeurs qui dit vouloir «de la stabilité». «L’Europe est plus ou moins en guerre. La situation n’est pas très bonne aux Etats-Unis (...) C’est pourquoi je veux être plus en sécurité», a-t-il dit à l’AFP à la sortie d’un bureau de vote à Oslo. «Reprendre le contrôle» M. Støre a aussi bénéficié de l’implosion en début d’année de l'épineuse coalition qui liait les travaillistes au parti du Centre, formation eurosceptique axée sur les intérêts ruraux, et de l’arrivée au gouvernement de l’ex-chef de l’Otan, le populaire Jens Stoltenberg, devenu ministre des Finances. «Nous avons besoin d’une nouvelle politique en Norvège», a au contraire affirmé une de ses principales rivales, l’ex-Première ministre conservatrice Erna Solberg, en votant dans sa ville natale de Bergen (ouest). Mathématiquement, s’il reste aux manettes, M. Støre aura vraisemblablement besoin de l’appui de l’ensemble des quatre autres forces de gauche, y compris le parti du Centre, les écologistes et les communistes. Or, les points de discorde foisonnent: les travaillistes sont notamment favorables à la poursuite des activités pétrolières qui ont fait la fortune du royaume, tandis que les écologistes s’y opposent. Ces deux formations sont en revanche d’accord pour entretenir des liens étroits avec l’UE, laquelle fait figure d'épouvantail pour le parti du Centre et l’extrême gauche. Cette dernière réclame, elle, que le fonds souverain du pays, le plus gros au monde, se retire totalement d’Israël, ce que les travaillistes rejettent. En face, la droite est également divisée: le parti conservateur de Mme Solberg est distancé dans les sondages par le parti du Progrès (FrP) de Sylvi Listhaug, formation populiste anti-immigration et désormais première force d’opposition. Contrairement à la gauche unie derrière une candidature unique, tant Mme Listhaug, 47 ans, que Mme Solberg, 64 ans, lorgnent le poste de Premier ministre. La première peut faire valoir de meilleures intentions de vote que la seconde, mais elle est également plus clivante, notamment pour les électeurs modérés. «Veut-on continuer comme avant, dépenser toujours plus et garder des impôts et taxes très élevés sans en avoir plus pour notre argent que dans les pays voisins ou veut-on reprendre le contrôle et arrêter le gaspillage?», a-t-elle dit lundi au micro de la chaîne TV2. Pour ne rien arranger, le bloc de droite compte aussi deux petits partis de centre droit, dont les Libéraux qui s’opposent au FrP sur de nombreux sujets comme le climat, l’UE et l’immigration. Jonathan KLEIN et Pierre-Henry DESHAYES © Agence France-Presse