
Le «private equity» fait main basse sur les télécoms

La Bourse apprécie peu les opérateurs de télécoms, jugés trop concurrentiels, trop matures, trop gourmands en capitaux et pas suffisamment rentables à court terme. Ca tombe bien, le private equity, lui, adore jouer le rôle de «voiture balai» du secteur. Dévoilé mardi, le projet d’acquisition de T-Mobile Pays-Bas – opérateur non coté en Bourse, filiale de Deutsche Telekom – par les fonds Warburg Pincus et Apax, pour une valeur d’entreprise de 5,1 milliards d’euros, confirme une nouvelle fois cet appétit. Les deux fonds n’en sont pas d’ailleurs à leur coup d’essai dans ce secteur. Apax a été actionnaire du Suisse Salt, de Wind Telecom et de TDC. Warburg Pincus s’est pour sa part illustré chez Ziggo, Inexio ou Community Fibre.
Mais ce nouveau rachat ponctue 18 mois particulièrement actifs pour le secteur. L’espagnol MasMovil a été repris par le trio KKR-Providence-Cinven – et il est lui-même en train d’acheter Euskatel. Le britannique TalkTalk est tombé dans les filets du fonds Tosca quand l’allemand TeleColumbus a rejoint le portefeuille de Morgan Stanley Infrastructure Partners. Les dirigeants-actionnaires des opérateurs de télécoms eux-mêmes ont alimenté cette frénésie d’acquisitions : Xavier Niel est en train de retirer Iliad de la Bourse de Paris, quelques mois seulement après le rachat à 100% d’Altice Europe par Patrick Drahi. «Nous assistons à un véritable phénomène de secteur, comme les télécoms n’en avaient pas connu depuis plus d’une dizaine d’années», reconnaît un banquier aguerri, pour lequel la tendance est loin d’être finie.
Désynchronisation
Les fonds de private equity ou les entrepreneurs du secteur proposent à ces opérateurs des valorisations inimaginables pour un groupe coté. L’offre de Warburg Pincus et d’Apax sur T-Mobile Pays-Bas valorise la filiale de Deutsche Telekom un peu moins de 9 fois son excédent brut d’exploitation (Ebitda) des douze derniers mois quand le multiple de la maison-mère dépasse péniblement les 5 fois.
Les opérateurs seraient notamment victimes d’un phénomène de désynchronisation, entre leur modèle économique et les logiques financières. «Les marchés cotés raisonnent sur des cycles relativement courts, d’un à deux ans, rarement plus, explique ce même banquier. Les opérateurs ont déjà eu du mal ces dernières années à tenir leurs engagements en matière de génération de ‘cash-flow’ et de croissance des revenus, ce qui a nourri la défiance de la Bourse. Or, ils sont engagés depuis quelques mois dans d’immenses plans d’investissements pour déployer la 5G et la fibre optique, dont les premiers retours financiers mettront peut-être cinq ans à se matérialiser. Les fonds d’investissement ont, par nature, un horizon plus long et sont donc plus adaptés dans la période actuelle.» Ajouté au coût toujours aussi faible de la dette et à leurs ressources en capital presque infinies, les fonds de private equity disposent d’un avantage quasi-imbattable qui leur permet d’offrir des primes de valorisation impossibles à refuser pour l’actionnaire d’un opérateur qui traite au mieux à 5 fois son Ebitda.
Financiers astucieux
Entrepreneurs mais aussi financiers astucieux, Xavier Niel et Patrick Drahi n’ont pas sorti leur entreprise de la Bourse en engageant une partie de leur fortune personnelle sans avoir la certitude de réaliser une bonne affaire. Warburg Pincus est de son côté co-dirigé en Europe par Rene Obermann, ancien directeur général de… Deutsche Telekom, aux premières loges pour apprécier la valeur cachée de T-Mobile Pays-Bas.
L’intérêt financier objectif des fonds pour les télécoms est aujourd’hui tel qu’une opération sur un acteur de plus grosse taille, voire historique, paraît tout à fait possible. Le fonds suédois EQT a rôdé autour du néerlandais KPN. Le britannique BT, qui compte d’ailleurs depuis le début de l’été un actionnaire surprise en la personne de Patrick Drahi, fait régulièrement l’objet de rumeurs d’offre d’achat. Des opérateurs non européens commencent aussi à regarder le sujet. L’indien Reliance s’est par exemple intéressé à T-Mobile Pays-Bas.
Opérateurs historiques et souveraineté
La barrière de la taille ne paraît plus infranchissable. Malgré son titre de premier opérateur français, et malgré des dizaines de filiales ailleurs dans le monde, notamment en Afrique, Orange ne capitalise que 25 milliards d’euros. Telefonica pèse un milliard de moins. Ces opérateurs historiques se sont même fait manger la laine sur le dos par les entreprises auxquelles ils ont vendu leurs infrastructures passives (tours de télécoms…) pour récupérer des capitaux et espérer redorer leur valorisation. Depuis quelques jours, et pour la première fois, l’espagnol Cellnex, qui a raflé quasiment toutes les tours à vendre en Europe ces dernières années, vaut plus que l’opérateur britannique Vodafone (40 contre 39 milliards d’euros). Un croisement des courbes qui n’est pas passé inaperçu dans le secteur.
La seule difficulté sur le chemin d’un fonds ou d’un industriel intéressé par le rachat d’un opérateur historique européen serait celle de la souveraineté. Alors que le Covid a consacré comme stratégiques des secteurs jusqu’à présent en-dehors des radars, telle la distribution avec le blocage par la France de l’offre de Couche-Tard sur Carrefour, il est impossible d’imaginer un Etat laisser filer une infrastructure aussi cruciale et sensible qu’un réseau de télécoms. Ce qui interdit toute offre hostile.
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Immigration Sud-Coréenne : Séoul préoccupé après le vaste raid dans une usine Hyundai aux États-Unis
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Réassurance : prix en baisse mais secteur stable face aux catastrophes et émeutes
Paris - Les réassureurs, qui se retrouvent à partir de samedi pour plusieurs jours à Monaco pour leurs traditionnels «Rendez-vous de septembre», s’apprêtent à faire face à une baisse des prix dans ce secteur, qui ne bousculera toutefois pas leur stabilité, selon les analystes. Les réassureurs, dont le métier consiste à assurer les assureurs, commencent à l’automne les négociations annuelles avec leurs clients assureurs sur le montant des primes que ces derniers leur versent. En échange, les réassureurs prennent en charge une partie des risques portés par les assureurs, en se positionnant sur les risques les plus extrêmes et moins fréquents (tempêtes, feux de forêt, émeutes, attentats terroristes...). En 2024, le marché de la réassurance mondiale s'élevait à 400 milliards de dollars, près de 20 fois moins que celui de l’assurance traditionnelle. Lors des précédentes années, les principaux réassureurs mondiaux, comme Munich Re ou Swiss Re, avaient imposé une hausse des prix et établi des conditions tarifaires et contractuelles qui leur étaient plus favorables. Mais, selon les analystes, le pic des prix de la réassurance est aujourd’hui passé. «On a atteint un point haut en 2024. Et depuis, on le voit au niveau du renouvellement (des contrats), les prix ont tendance à baisser», a expliqué à l’AFP Manuel Arrivé, de l’agence de notation Fitch. «On pense que cette tendance va perdurer» car «il y a une dynamique d’offre et de la demande de plus en plus en faveur des assureurs et en défaveur des réassureurs». L’agence de notation considère que le secteur sera «détérioré» en 2026. Elle met entre autres en avant l’augmentation des coûts des sinistres. Ceux des incendies dévastateurs de Los Angeles, évalués à 40 milliards de dollars, pèsent eux seuls pour la moitié des sinistres liés aux catastrophes naturelles. «On a déjà 80 milliards (de dollars) de sinistres à fin juin. Il fait peu de doute qu’on va dépasser 100 milliards avec le deuxième semestre», a précisé Alexis Valleron, délégué général de l’Association des professionnels de la réassurance en France (Apref), devant la presse vendredi. 2024 a été la cinquième année consécutive où le coût des sinistres des périls naturels a dépassé 100 milliards de dollars dans le monde. Risque émeutes en hausse Face à la multiplication des catastrophes naturelles, la plupart des réassureurs ont décidé ces dernières années de moins s’exposer à certains périls. Dans ce contexte, les réassureurs peuvent compter sur leurs capitaux. S&P Global considère «le secteur mondial de la réassurance comme stable, soutenu par le capital robuste des réassureurs, des marges de souscription solides, des rendements d’investissement élevés et des perspectives de bénéfices encore favorables au-dessus du coût du capital du secteur», décrit l’agence de notation dans un rapport. Les dirigeants de l’Apref ont également évoqué le risque émeutes après des années marquées par les troubles sociaux en France, notamment en 2023 après la mort de Nahel, adolescent tué par un tir policier, ou l’insurrection en Nouvelle-Calédonie à l'été 2024. Les émeutes en Nouvelle-Calédonie ont, à elles seules, coûté un milliard d’euros aux assureurs (dont 500 millions aux réassureurs), sur un coût total des dégâts estimé à 2,2 milliards. Le bilan des émeutes de l'été 2023 en France avait été de 730 millions d’euros (200 millions pour les réassureurs). Selon un article des Echos publié jeudi, le gouvernement prévoit de créer un fonds de réassurance pour couvrir les dégâts liés aux émeutes, sur le modèle du régime des catastrophes naturelles. «Il faut qu’il y ait une définition précise et il faut savoir ce que prendra en charge un mécanisme d’Etat», a insisté Dominique Lauré, vice-président de l’Apref. Selon lui, «il faut qu’il y ait une incitation au maintien de l’ordre pour l’Etat». Et non pas «un mécanisme qui fait que l’Etat n’a finalement plus intérêt à maintenir l’ordre puisque les conséquences économiques sont prises en charge par un fonds», estime celui qui est également directeur général adjoint de Liberty Mutual Reinsurance. Maryam EL HAMOUCHI © Agence France-Presse -
Thaïlande : Anutin Charnvirakul promet des législatives sous quatre mois après sa nomination mouvementée
Bangkok - Le Premier ministre élu thaïlandais Anutin Charnvirakul a assuré samedi vouloir organiser, comme il s’y est engagé, des législatives dans un délai de quatre mois. «Je pense que nous sommes clairs sur le plan politique : nous allons dissoudre le parlement dans quatre mois», a-t-il lancé lors d’une réunion à son siège de son parti, le Bhumjaithai, retransmise par les médias thaïlandais. «Je vais essayer de former mon cabinet le plus rapidement possible», a-t-il souligné, au lendemain de son élection comme Premier ministre par le Parlement, à la suite de la destitution de Paetongtarn Shinawatra. Le magnat conservateur a obtenu le soutien du Parti du Peuple, jusque-là principal parti d’opposition, qui a exigé une dissolution du Parlement et l’organisation de nouvelles élections dans un délai de quatre mois. Le pouvoir de dissoudre le Parlement relève cependant du roi. Il revient également au souverain d’approuver formellement la nomination d’Anutin Charnvirakul comme Premier ministre. Anutin Charnvirakul, dont le parti avait lâché Paetongtarn Shinawatra en juin en raison de sa gestion du conflit frontalier avec le Cambodge, avait assuré vendredi, après son élection, qu’il respecterait «tous les accords». Il avait par ailleurs assuré qu’il n’y aurait «ni favoritisme, ni persécution, ni vengeance» à l’encontre du père de celle-ci, l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra (2001-2006), qui a annoncé vendredi avoir quitté le pays. La Cour suprême doit se prononcer mardi sur la libération anticipée dont a bénéficié Thaksin peu après qu’il fut rentré d’exil en août 2023. L’ancien dirigeant, qui avait été condamné à huit ans de prison pour corruption, risque une réincarcération, selon certains analystes. Thaksin, qui a indiqué vendredi s'être rendu à Dubaï, a assuré qu’il entendait revenir au pays d’ici mardi. «Je prévois de retourner en Thaïlande au plus tard le 8 (septembre, ndlr) afin de me rendre personnellement au tribunal», a-t-il affirmé sur X. Dans un autre dossier, il avait été acquitté le 22 août du crime de lèse-majesté. © Agence France-Presse