La lutte contre la corruption fait une large place à la prévention

L’avis d’expert de Hippolyte Marquetty, associé, et Charly Latil, collaborateur, Allen & Overy

p29-marquetty-hipppolyte.jpg
p29-latil-charly-5863-jpeg-hd.jpg
Hippolyte Marquetty,
associé, et Charly Latil, collaborateur, Allen & Overy

Les progrès de la France dans la lutte anticorruption sont salués en haut lieu ! Après le rapport d’information des députés Gauvin et Marleix de juillet 2021, le groupe de travail de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) sur le sujet a salué en décembre dernier, cinq ans après la loi Sapin 2, le cadre mis en place par la France. Il place la prévention et le développement de mesures internes de conformité au cœur de la politique de lutte contre la corruption.

Ainsi, parmi les acteurs économiques, 87 % des entités assujetties ont entamé une démarche de conformité *. Près de deux tiers rencontrent toutefois encore des obstacles pour se doter des huit mesures énoncées à l’article 17 II de la loi Sapin 2 *. Le manque de moyens humains et financiers est en cause : les coûts de mise en place et de suivi annuel d’un programme anticorruption seraient tout de même, pour une multinationale, de 2 à 5 millions d’euros et de 1 à 2 millions d’euros et, pour une entreprise de taille intermédiaire, de 1 million d’euros et de 600.000 à 800.000 euros. En outre, certaines mesures sont complexes, jugées parfois inadaptées aux pratiques des entreprises. La cartographie des risques de corruption et l’évaluation des tiers apparaissent à cet égard être les deux outils les plus délicats à définir. Les contrôles comptables et le dispositif d’évaluation et de contrôle se révèlent également très complexes à conceptualiser et à mettre en œuvre. Dans certains cas aussi, l’instance dirigeante de la fonction conformité manque d’implication.

Peu nombreux sont ceux qui diront que les premiers pas de l’Agence française anticorruption (AFA) étaient assurés. Celle-ci a d’abord surpris en initiant ses premiers contrôles dès octobre 2017, seulement quatre mois après l’entrée en vigueur de l’article 17 II de la loi Sapin 2 et avant la parution de ses Recommandations. Elle a ensuite étonné par sa manière de les conduire : difficultés à appréhender le profil de risque des entreprises auditées, absence de dialogue, demandes de communication très lourdes, recherche d’infractions plutôt qu’évaluation du dispositif anticorruption, durée excessive (22 mois en moyenne pour les entreprises privées !), sévérité injustifiée...

L’AFA a néanmoins fait évoluer sa pratique au fil des années et tenté de répondre à ces critiques, qui résultent probablement en partie d’une approche trop rigoureuse de sa mission et de l’insuffisance des ressources mises à sa disposition (60 employés et 6 millions d’euros de budget, lorsque le législateur ambitionnait 70 employés et un budget de 10 à 15 millions d’euros). Ses agents sont mieux formés et mieux organisés que par le passé. Le nombre de contrôles initiés par an a été réduit, de plus de 40 en 2018 à une trentaine aujourd’hui, et leurs modalités diversifiées. On relèvera particulièrement le lancement des contrôles thématiques, portant uniquement sur certaines mesures, et la volonté récente et affichée de l’AFA de moduler la portée et la profondeur des contrôles en fonction des profils de risques des entités. Une place accrue est donnée au dialogue, dès la phase du contrôle sur pièces.

Certes, certains travers demeurent : demandes d’information au-delà du périmètre du programme anticorruption ou portant sur des éléments couverts par le secret (bancaire, de l’avocat et des commissaires aux comptes), exigences parfois excessives, tonalité très négative des rapports de contrôle, versions définitives desdits rapports tenant peu compte des observations des entités inspectées… Mais les avancées doivent être reconnues.

Seules deux décisions ont été rendues à ce jour par la Commission des sanctions, et aucune n’a prononcé la fameuse sanction pécuniaire énoncée au V de l’article 17 de la loi Sapin 2. Pourquoi ? Sans doute parce que cette dernière a affirmé que l’existence d’un manquement devait s’apprécier au jour où elle statue (et non au jour du contrôle), ce qui en pratique octroie aux entreprises deux précieuses années à compter de la réception d’un avis de contrôle de l’AFA pour se mettre en conformité. Le risque de sanction apparaît donc faible et pourrait se trouver, à l’avenir, encore diminué, la proposition de loi Sapin 3 ** prévoyant de faire précéder la saisine de cette Commission, sauf manquement grave, par une procédure de mise en demeure du directeur de l’AFA, qui pourrait durer jusqu’à deux ans.

Le ton semble donc être à l’accompagnement des entreprises et non à leur sanction. Cela étant, le corollaire de cet infléchissement pourrait être la facilitation de l’engagement de la responsabilité pénale des entreprises en matière de corruption. La proposition de loi Sapin 3 prévoit en effet de rendre les personnes morales « responsables pénalement lorsque le défaut de surveillance de leur part [comprendre le : défaut d’existence, voire d’efficacité, du dispositif anticorruption] a conduit à la commission d’une ou plusieurs infractions par l’un de leurs salariés ».

*AFJE et ethicorp.org, 2020, « Compliance et anticorruption : où en sont vraiment les entreprises en France ? », p.47. **Proposition de loi n° 4586 visant à renforcer la lutte contre la corruption, présentée par M. Raphaël Gauvain, député.

Un évènement L’AGEFI

Plus d'articles Gouvernance

Contenu de nos partenaires

Les plus lus de
A lire sur ...