La Bourse et les entreprises se dopent aux rachats d’actions

De part et d’autre de l’Atlantique, jamais les rachats d’actions n’ont été aussi nombreux et massifs. Cet engouement - qui se traduit par une surperformance boursière des entreprises adeptes de la démarche - relance le débat sur la pertinence financière de cette pratique.
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En Europe, Valeurs pétrolières et financières ont alimenté l'envolé des rachat d'actions.  -  Adobe stock

Les rachats d’actions ne sont pas près de lâcher le haut de l’affiche. Mesurer l’ampleur du phénomène n’est pourtant pas aisé, notamment parce que les entreprises qui s’y engagent annoncent des enveloppes de rachats sans forcément les pousser totalement à leur terme. Mais pas moins de 1.426 milliards de dollars de rachats (1.345 milliards d’euros) ont été comptabilisés l’an dernier, selon S&P Global Market Intelligence, de part et d’autre de l’Atlantique. Un record.

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Débat sur la pertinence

L’essor de la démarche en Europe comme aux Etats-Unis accentue les débats sur sa pertinence. Les rachats d’actions du S&P 500 représenteraient 1,8 % du PIB américain et 1,4 % dans la zone euro selon les données rapportées par Natixis dans une note récente. Selon BNP Paribas Exane, les rachats ont représenté au troisième trimestre 2022 0,7 % de la capitalisation du S&P 500 contre 0,5% côté européen.

De fait, les rachats d’actions ne se cantonnent pas à la neutralisation de l’effet dilutif lié à l’attribution d’actions gratuites aux équipes dirigeantes, aux porteurs de risque, et même aux salariés lors d’opération d’épargne-salariale. Ils sont surtout majoritairement utilisés - par le jeu des annulations des actions acquises - pour augmenter le bénéfice par action et améliorer la rentabilité nominale des fonds propres.

La principale critique concerne l’effet de dissuasion des rachats d’actions sur les investissements des entreprises. Ils sont ainsi accusés de ne pas être contracycliques, c’est-à-dire d’intervenir surtout quand les cours des actions sont hauts. Ils seraient aussi destructeurs de valeur puisqu’ils n’alimentent pas de nouveaux investissements de la part des entreprises qui les exécutent.

L’argument ne convainc pas Pascal Quiry, professeur de finance à HEC. «Les sociétés cotées se portent généralement très bien dans leurs secteurs, avec des marges historiquement au plus haut et elles sont de surcroît peu endettées. Que voulez-vous qu’elles fassent de cette situation ?», convient le co-auteur du Vernimmen, l’un des ouvrages de référence en matière de finance d’entreprise. Il estime que les rachats d’actions permettent de «réallouer des capitaux propres de secteurs qui en ont trop vers d’autres secteurs qui en ont besoin.» Dans les années soixante, la réponse aurait à coup sûr été la diversification vers d’autres secteurs.

Création ou destruction de valeur ?

Mais, désormais, la disparition des grands conglomérats et les décotes boursières qui frappent ceux qui persistent dans cette voie illustrent bien la méfiance des investisseurs. Ceux-ci aiment privilégier des profils boursiers plus purs. A défaut de pouvoir investir davantage dans son métier, le retour aux actionnaires sous forme de rachat d’actions prend alors tout son sens. D’autant que la démarche permet d’éviter l’effet-cliquet induit par une augmentation du dividende. De quoi ménager le plus de marges de manœuvre face à une conjoncture qui reste peu lisible.

Si les rachats d’actions alimentent les critiques, c’est notamment parce qu’ils incarneraient un capitalisme qui détruit du capital. Pour Pascal Quiry, l’accusation ne tient pas. «Cela n’a guère de sens et cela revient à oublier que le résultat net d’une société, c’est déjà du capital supplémentaire. Il peut être conservé dans la société, ou distribué sous forme de dividendes ou de rachat d’actions. Une société ne fait de rachat d’actions que si elle a trop de capital excédentaire».

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Des entreprises dissuadées d’investir ?

Mais pour Patrick Artus, la question du match entre investissements contre rachat d’actions se pose. «Les défenseurs des rachats d’actions avancent l’idée qu’une entreprise qui manque de projets efficaces d’investissement doit racheter ses actions, ce qui permet à ses actionnaires d’investir dans des entreprises ayant de meilleurs projets. La corrélation entre les rachats d’actions et les investissements des entreprises est d’ailleurs observée», acquiesce le conseiller économique chez Natixis.

Dans une étude récente de la banque, il souligne que leur mise en œuvre ne répondrait pas seulement à une absence de piste d’investissement, mais à une volonté des entreprises de ne pas s’engager vers des projets dont la rentabilité est insuffisante au regard de leurs engagements vis-à-vis du marché, avec le risque de diluer les actionnaires. «Cela est inquiétant compte tenu des besoins d’investissement liés à la transition énergétique et de leur rentabilité financière assez faible dans beaucoup de cas», poursuit Patrick Artus.

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La tentation d’une fiscalité alourdie

Ni la perspective d’une imposition alourdie, ni la hausse des taux ne semblent pour l’heure ralentir la tendance. Outre-Atlantique, le débat a pris une tournure fiscale. La Maison Blanche propose de relever sa taxe de 1 % sur les rachats d’actions – instaurée à l’occasion de l’Inflation Reduction Act en 2022 – pour la porter à 4 %. Assez pour gripper la machine et réduire l’intérêt pour les entreprises ? Probablement pas. «Ça ne changera rien sur le fond», estime Pascal Quiry.

La hausse des taux est-elle en revanche de nature à donner un coup de frein aux rachats d’actions ? «Jusqu’à présent, le changement n’est pas vraiment perceptible. Mais en rendant l’argent plus cher, la hausse des taux poussera les entreprises à des arbitrages dans leur stratégie d’allocation du capital. De quoi nourrir leurs réflexions sur leur stratégie en matière de M&A et investissements pour leur croissance organique mais aussi sur le thème du partage de la valeur entre leurs différentes parties prenantes», souligne Bénédicte Thibord, responsable des activités corporate cash equity chez BNP Paribas Exane.

L’efficacité des rachats pèse, il est vrai, lourd dans la balance. D’autant que jusqu’ici la surperformance boursière est au rendez-vous. Selon BNP Paribas Exane, l’indice S&P Europe 350 «rachat d’actions» a battu son indice de référence de 119 % depuis 2000. Et pour la seule année 2022, elle a atteint 7,3 % par rapport au marché. Spectaculaire ! Cette tendance est également confirmée outre-Atlantique. Selon Bank of America, 55 % des 2.997 entreprises ayant racheté des actions ont vu leur cours progresser durant les cinq dernières années.

Selon BNP Paribas Exane, ce marché des rachats devrait rester dynamique en 2023 en termes de nombre de compagnies actives comme de recours aux grands programmes, supérieurs à plus d’un milliard. D’autant qu’ils servent aussi à désamorcer certaines campagnes d’investisseurs activistes dont le retour aux actionnaires est le principal angle d’attaque.

A la fois vitamine pour les cours de Bourse, outil de manœuvrabilité financière et antidote à l’activisme actionnarial, les rachats d’actions méritent bien leur statut de couteau suisse pour les entreprises cotées.

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