
La Bourse doute toujours de la stratégie d’Engie

Après des semaines de silence, l’Etat est enfin intervenu dans la crise de gouvernance qui secoue Engie. Alors que la directrice générale du groupe d'énergie, Isabelle Kocher, pourrait être rapidement démise de ses fonctions, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a assuré hier que la décision dépendrait uniquement de critères économiques. Sans préciser lesquels. Or, les chiffres sont cruels. Isabelle Kocher a eu beau se défendre depuis des semaines en martelant que les actionnaires du groupe d’énergie avaient compris sa stratégie, son assurance ne se reflète pas dans le cours de Bourse.
Depuis sa nomination à la direction générale le 3 mai 2016, l’action Engie a progressé de 12%, bien moins que les 35% de hausse du CAC 40 sur la même période. En prenant en compte les dividendes versés sur la période, l’écart de performance est moins criant : +38% pour Engie, +53% pour l’indice de la Bourse de Paris. Mais la différence est bien réelle. Et elle l’est encore plus avec ses grands concurrents européens, l’italien Enel (+134%, toujours dividendes réinvestis) et l’espagnol Iberdrola (+95%). «La capitalisation d’Engie (38 milliards d’euros hier) est très inférieure à la valeur en somme des parties du groupe», insiste un banquier d’affaires.
«Engie traite actuellement avec une décote importante par rapport au secteur», variant de 16% à 32% en fonction des critères retenus, reconnaissent les analystes de JPMorgan, alors même que le dividende payé par le groupe d’énergie procure une rémunération supérieure à celle de ses concurrents. Un mauvais traitement «injustifié» selon la banque américaine, mais qui résulte d’une incompréhension persistante entre Isabelle Kocher et le marché.
Depuis sa prise de fonction il y a bientôt quatre ans, la directrice générale a profondément transformé le visage d’Engie. Les trois premières années de son mandat ont été consacrées à éloigner le groupe des activités de marchés, trop soumises aux évolutions des cours de l’énergie, pour aller vers des actifs régulés afin de profiter de prix fixés contractuellement. L’objectif était simple : réorienter les moyens vers des activités en croissance et moins gourmandes en capitaux, comme les services aux entreprises. Isabelle Kocher y est allé franco, à coups de cessions d’actifs (16,5 milliards d’euros), n’hésitant pas à défaire ce que son prédécesseur à la direction du groupe, Gérard Mestrallet, avait mis des années à construire. D’où quelques inimitiés en interne.
Lors de l’actualisation de sa feuille de route fin février 2019, Isabelle Kocher est même allée jusqu’à parler d’«energy as a service» pour qualifier l’activité du groupe, à l’image des éditeurs de logiciels qui vendent leurs produits en fonction des besoins du clients («software as a service»). Un choc pour un groupe bâti en grande partie sur les actifs gaziers de Gaz de France. Une stratégie «peut-être trop conceptuelle pour le marché pour pouvoir lui attribuer une valeur», reconnaissaient alors les analystes d’UBS.
Plus rentable et moins risquée financièrement, cette stratégie dite asset light fait d’Engie «le premier groupe d’énergie (utility) à s’adapter au nouveau monde», soutenaient la semaine dernière les analystes de JPMorgan dans une note favorable. Mais elle tarde à porter ses fruits. Les cessions d’actifs ont mécaniquement amputé le chiffre d’affaires et l’Ebitda du groupe. Et les nouveaux métiers mettent du temps à prendre le relais alors que dans le même temps un groupe comme Enel investit quatre fois plus qu’Engie dans les énergies renouvelables. «Engie est encore très complexe, bien plus que ses comparables européens. Le développement dans les services, dans des métiers aussi divers que la gestion énergétique, l’entretien d’espaces verts ou les uniformes de l’armée, a entretenu ces interrogations», explique un banquier.
L’Etat reste coincé au capital
Dévoilée l’an dernier, la zone d’atterrissage du bénéfice net d’Engie en 2021, entre 3 et 3,2 milliards d’euros, censée refléter le fonctionnement du groupe à pleine puissance avait ainsi été jugée trop peu ambitieuse.
En ne permettant pas une nette remontée de l’action, la stratégie d’Isabelle Kocher a créé un autre point de crispation. Le cours de Bourse actuel ne permet pas à l’Etat d’envisager une cession d’actions Engie dans de bonnes conditions. Or, depuis le vote l’an dernier de la loi Pacte, qui l’autorise à passer sous le tiers des droits de vote, l’Etat piaffe d’impatience pour s’alléger chez Engie afin, notamment, d’alimenter le Fonds pour l’innovation et l’industrie. A 15,55 euros hier soir, le titre Engie est seulement 12% plus haut que le prix de 13,80 euros auquel l’Agence des participations de l’Etat avait vendu pour la dernière fois des actions du groupe d’énergie en septembre 2017.
L’une des premières missions du président Jean-Pierre Clamadieu avait été de trouver un nouvel actionnaire de référence pour Engie, capable de prendre le relais de l’Etat. Les recherches n’ont pas abouti, alimentant l’impatience d’un conseil d’administration qui avait pourtant unanimement soutenu la nouvelle feuille de route présentée l’an dernier.
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