En avant pour la transition

Scor
Sylvie Guyony
Deni Kessler, le PDG de Scor.
 -  joel SAGET

Un saut quantique ? Scor a présenté « Quantum Leap » le 4 septembre. L’agence Standard & Poor’s l’a informé que ce plan confirme sa note de solidité financière, à « AA-, perspective stable », et ses notes de crédit, à « AA-/A-1+ ». Pour Moody’s, « la notation Aa3 du groupe est soutenue par sa très bonne franchise dans le secteur de la réassurance, ainsi que par un profil d’activité diversifiée, rappelle Brandan Holmes, vice president senior credit officer. S’il est vrai qu’il y a eu une consolidation dans le secteur et que certains réassureurs moins diversifiés ont eu du mal à réussir en tant qu’entités indépendantes, notre notation reflète la position de Scor sur le marché, bien équilibrée entre assurance vie et non-vie. » Au terme de « Quantum Leap », elle pourrait l’être plus encore avec un chiffre d’affaires constitué à 54 % en réassurance vie (Scor Global Life), contre 56 % aujourd’hui.

Scor, quatrième réassureur mondial, n’a toutefois pas vu bondir son cours de bourse. Denis Kessler, son PDG depuis 2002, estime que la valeur intrinsèque du titre s’inscrit à 50 euros. C’est une des raisons pour lesquelles, il y a un an, le conseil d’administration du groupe a rejeté à l’unanimité l’offre de rachat à 100 % de Covéa, son premier actionnaire (à 8,4 %). Il était alors question d’un rapprochement amical. Mais Covéa n’a retiré son offre que lorsque Thierry Derez, administrateur à titre personnel de Scor, a été cité devant le tribunal correctionnel pour abus de confiance et recel d’abus de confiance par le réassureur. Les parties seront entendues les 5 et 6 mai prochains.

Scor a donc décidé de rester indépendant, comme il l’avait signifié fin 2015 à Sompo qui voulait passer de 8 % à 17 % du capital. L’assureur japonais s’est retiré et Covéa, actionnaire depuis 2003, est alors monté de 2 % à 8 % en s’engageant à un stand still de trois ans. Le réassureur ne veut qu’aucune tête ne dépasse les 10 % à son tour de table. Par ailleurs, s’il a réalisé huit acquisitions depuis 2002, son nouveau plan n’aborde pas le sujet de la croissance externe. Or, constate Cyrille Chartier-Kastler, président du cabinet Facts&Figures, « la taille est un facteur de performance en réassurance, que ce soit en termes de capacité de mutualisation des risques ou d’expertise technique à la souscription ».

Taille critique

Le groupe serait-il devenu une proie ? Certes, il n’y a jamais eu d’opération hostile dans le secteur. Et le régulateur pourrait s’y opposer pour éviter toute déstabilisation d’un réassureur. On l’a d’ailleurs vu intervenir dans le conflit Scor-Covéa pour pacifier la situation, en vain. « Scor peut se rapprocher d’un autre réassureur – pas forcément européen ; il pourrait aussi y avoir un acquéreur chinois au regard des besoins de ce pays et de ses moyens financiers, pointe Cyrille Chartier-Kastler. Un grand assureur international peut aussi décider de remonter dans la chaîne de valeur. Les technologies permettent un abaissement de la fréquence des sinistres (notamment en automobile), ce qui réduit progressivement les risques à couvrir d’une part et conduit à développer le volet services d’autre part. » A cet égard, Thierry Derez a expliqué à L’Agefi Hebdo (25 octobre 2018) que la montée en puissance des véhicules autonomes va conduire à la création de services complets de mobilité, proposés sur abonnement aux particuliers par les constructeurs automobiles, banques, assurances ou opérateurs téléphoniques. Ainsi, « pour les risques de fréquence de type réparations, développe le PDG de Covéa, l’opérateur n’aura pas toujours besoin d’un assureur : il pourra s’auto-assurer. En revanche, il ne conservera pas les risques d’intensité : des événements aléatoires comme les risques cyber ou climatiques. Ceux-là seront couverts et, ‘in fine’, cédés à des réassureurs. » On comprend mieux son intérêt pour Scor. D’autant que Covéa dispose à la fois d’un excédent de capitaux et de managers, souligne Cyrille Chartier-Kastler. Mais ses compétences en réassurance et à l’international sont pour le moins limitées. Le cas de figure est donc bien différent du rapprochement Axa-XL réalisé en 2018. Au demeurant, XL était à vendre.

Scor, présent dans 160 pays avec 18 % de son chiffre d’affaires réalisé en Asie et 43 % aux Etats-Unis, mise sur ses propres forces pour se développer « dans les marchés émergents, mais aussi dans les pays plus industrialisés », indique le réassureur ; l’Asie et certains marchés de la zone Europe-Moyen-Orient-Afrique pour l’assurance vie. Scor vient en outre de boucler l’acquisition de Coriolis Capital, qui doit permettre à sa branche Global investments (environ 30 milliards d’euros d’actifs sous gestion) « d’accélérer son développement dans le domaine des ILS, comme le prévoit son plan stratégique ‘Quantum Leap’ », souligne le groupe. Les titres Insurance-Linked Securities permettent de transférer les risques liés aux catastrophes naturelles des assureurs à des investisseurs sur le marché.

Le plan repose donc sur les trois métiers de Scor : P&C, Global Life et Global Investments. « L’orientation stratégique est pertinente et les actions proposées cohérentes sur les deux premiers pôles. Toutefois, on peut se poser la question de la pertinence du troisième pôle au regard des seuils de taille critique dans la gestion d’actifs », estime Cyrille Chartier-Kastler. Scor émet et achète déjà des cat bonds (obligations). Il invite aussi des tiers (clients, banques, family offices, fonds de pension, etc.) à investir dans ses fonds, où son expertise se développe, avec désormais 2,1 milliards de dollars d’actifs en ILS.

Transformation

Plus encore, son plan vise « à dessiner la société de réassurance du futur », écrit le groupe, ce qui nécessite une transformation « en profondeur ». Cela passe par un recours accru aux nouvelles technologies et 205 millions d’investissements. Un montant présenté comme important pour un secteur où il n’existe que peu de capex (dépenses d’investissements). « Robotique, ‘big data’, ‘cloud’, etc. nécessitent des investissements considérables. Une enveloppe globale de 250 millions d’euros apparaît limitée au regard des capacités des géants de la tech, tels Microsoft ou IBM, relève au contraire Cyrille Chartier-Kastler. L’évolution du secteur montre l’importance de développer des services et, pour cela, notamment de nouer des alliances avec des acteurs de la tech ». Il y a un an et demi, Swiss Re avait ainsi entamé des discussions avec le conglomérat japonais SoftBank pour tirer un avantage compétitif d’une éventuelle alliance (qui ne s’est pas nouée) dans le cadre de la révolution digitale. Le réassureur suisse maintient aujourd’hui l’objectif « d’aboutir, en 2023, à 25 % du chiffre d’affaires en Europe généré par nos solutions technologiques », a déclaré Walter Eraud, directeur général France de Swiss Re, à L’Agefi Hebdo (29 mai 2019). Scor n’a rien livré d’aussi précis.

En fait, 40 % de son enveloppe d’investissements ont déjà été engagés en perspective d’IFRS 17. Si le « saut quantique » de Scor s’achève au 31 décembre 2021, c’est pour « coïncider » avec l’adoption de cette norme comptable, dit-il. « IFRS 17 vise à présenter une vision plus économique - et donc plus précise - des résultats et de la situation financière d’un assureur. Elle aura un impact plus important sur les réassureurs ayant des expositions d’assurance à plus long terme. Étant donné que Scor est exposé à des risques importants en matière d’assurance vie et d’assurance responsabilité civile à plus long terme, nous nous attendons à ce que IFRS 17 donne une image plus précise de la situation financière et des résultats sous-jacents de Scor », explique Brandan Holmes. Pour autant, les investissements prévus par Scor devront aussi être consentis par ses concurrents.

« Cela semble davantage une transition qu’un plan d’investissement ou de transformation. Les normes comptables ne font ni une stratégie, ni des résultats », tranche Cyrille Chartier-Kastler. En outre, l’échéance de 2022 coïncide aussi avec la limite d’âge fixée par les statuts de Scor à 70 ans pour le directeur général, le DG délégué et le président. Car Denis Kessler est né le 25 mars 1952. Le conseil d’administration aurait entamé une réflexion sur sa succession. Des changements de gouvernance pourraient ainsi être annoncés lors des prochains Rendez-Vous de la réassurance à Monte Carlo, en septembre 2020.

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