L’Europe toujours empêtrée dans le casse-tête de la compensation en euro

Entre volonté politique de rapatriement et résistance opérationnelle, la situation pourrait présenter un risque systémique.
Fabrice Anselmi
(Le Parlement européen à Strasbourg.)
Le Parlement européen a adopté fin mars un rapport sur le Rôle international de l’euro,  -  EP

Alors que le protocole d’accord (MoU) entre le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE) doit être publié prochainement, le Parlement européen (PE) a adopté fin mars un rapport sur le Rôle international de l’euro, où il réaffirme la volonté politique forte de rapatrier la compensation des produits dérivés en euros dans l’UE. Tout en reconnaissant la concentration de la compensation centralisée des dérivés de taux en euros et l’équivalence accordée pour dix-huit mois par la Commission européenne (CE) aux trois chambres de compensation (CCP) britanniques post-Brexit, les députés soutiennent les efforts des CCP et des autorités européennes pour encourager le transfert vers l’UE sur des «expositions excessives».

Dumping réglementaire

En théorie, les équivalences avec des CCP de pays tiers devant désormais s’appuyer sur les similitudes des règlements, elles devraient permettre une extension au-delà. En pratique, les relations sont très tendues entre Londres et Bruxelles, qui voudra s’assurer que les autorités britanniques ne se lancent pas dans du dumping réglementaire avant d’accorder des équivalences sur les services financiers. «Pour la compensation en euro, cela va au-delà : la volonté de rapatriement est trop forte, estime un ancien trader français. Il y a la logique de stabilité financière et de ne pas dépendre d’un marché régulé par un pays tiers pour la raison officielle ; il y a aussi la logique politique, d’activité stratégique pour renforcer les places financières européennes.»

Pour autant, «si les équivalences devaient ne pas être reconduites après juin 2022, nous devrions être avisés au plus tard début 2022 pour éviter de couper nos positions tous en même temps sans causer des remous dévastateurs pour les marchés concernés : un mouvement soudain sur ces stocks de dérivés pourrait avoir des conséquences systémiques», note, inquiète, la salle de marché d’une banque française à Londres.

Pour rappel, LCH SA, la filiale européenne de LCH Clearnet, avait basculé dès 2019 à Paris 100% de la compensation des prêts en euros à court terme avec «mise en pension» (repo), mais pas les swaps de taux (IRS), qui peuvent courir jusqu’à 30 ans et représentaient 400.000 milliards d’euros de notionnel fin 2019, ni les swaps de change en euros, qui concernent 27 autres devises rattachées à d’autres régulateurs avec des licences spécifiques. Ces swaps en euros restent compensés à près de 90% sur LCH SwapClear à Londres, «même si Eurex avait trouvé des incitations pour faire un peu décoller sa compensation sur IRS en euro en 2018, note Antoine Pertriaux, responsable d’Adamantia Research Institute. Depuis, la filiale de Deutsche Börse n’a pas progressé tellement au-dessus de 11%.» «Il faut rappeler que, en tant que membres-compensateurs des CCP, nous n’avons pas vraiment la main sur ces transferts, rappelle la banque précitée. Ce sont nos clients qui décident sur quelles CCP nous devons compenser leurs dérivés dont nous sommes contrepartie, et cela a aussi un effet sur nos opérations de couverture.»

Double discours

Ajoutons à cela que les banques européennes peuvent avoir des clients non européens qui souhaitent continuer à rester sur LCH SwapClear parce qu’ils y traitent d’autres devises (46 en tout), et qu’elles et la CCP peuvent abonder dans ce sens pour une meilleure gestion d’éventuels défauts.

«Les enjeux de liquidité sont majeurs. Une solution pourrait être que LCH décide elle-même le transfert des swaps de taux et de change en euros de Londres à Paris, mais elle n’a aucun intérêt économique à le faire alors que la plupart de ses membres souhaitent rester à Londres pour bénéficier des effets d’échelle», poursuit Antoine Pertriaux. En tous cas, pas immédiatement, juste pour une seule devise, alors que les développements d’infrastructures et obtentions de licences sont longs et coûteux. La CE pourrait peut-être prendre en compte ces contraintes et organiser un calendrier de transfert plus lointain, avec extension des équivalences en attendant. «Mais cela lèserait certains clients qui se sont déjà transférés sur Eurex par précaution, et cela imposerait d’embarquer toutes les banques dans le même sens, alors que certaines tiennent un double discours, plus politique à Paris ou à Bruxelles, et plus financier à Londres», conclut l’ancien trader.

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