
L’Europe se dote d’une arme de dissuasion contre le chantage économique

Lentement, mais sûrement, le nouvel arsenal de défense commerciale de l’Union européenne (UE) prend forme. Après l’adoption du règlement contre les subventions étrangères faussant la concurrence sur le marché intérieur, puis de celui ciblant les pays qui restreignent l’accès des entreprises européennes à leurs marchés publics, les co-législateurs de l’UE ont conclu mardi un accord final, «en trilogue», sur le projet de règlement dit «anti-coercition». L’instrument doit permettre aux Européens de contre-attaquer, par des mesures de rétorsion, lorsque l’Union, ou l’un de ses Etats membres fait l’objet d’une «coercition économique», de la part d’un pays tiers, «pour l’inciter à opérer un choix particulier». La définition est volontairement très large.
«L’UE et ses États membres sont devenus la cible d’une pression économique délibérée ces dernières années», rappelle la Commission européenne, qui a initié ce projet de règlement en novembre 2021. Sanctions extraterritoriales, embargos, restrictions au commerce et à l’investissement… sous diverses formes, les cas se sont en effet multipliés. Ils impliquent le plus souvent Washington ou Pékin, l’Europe se retrouvant prise dans l’étau d’une rivalité sino-américaine toujours plus intense. Un exemple parmi d’autres : fin 2019, Berlin faisait face à une double menace de représailles commerciales, à la fois de la part de la Chine et des Etats-Unis. Pékin cherchait à contraindre le gouvernement allemand à accepter la participation de Huawei au déploiement de la 5G, Washington voulait l’obliger à refuser. Demain, de tels chantages pourraient très bien viser la politique climatique de l’UE - son mécanisme d’ajustement carbone aux frontières typiquement -, craint-on à Bruxelles.
A compter de son entrée en vigueur officielle, sans doute à l’automne, le règlement permettra donc à l’UE de décider de contre-mesures communes : droits de douane, restrictions au commerce des services et à l’accès aux investissements directs étrangers ou aux marchés publics...
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Le caractère dissuasif reste à confirmer
Ces mesures resteront néanmoins une option de «dernier recours» à prendre seulement si une phase initiale de consultation avec le pays tiers en question s’est avérée infructueuse. Les sanctions seront d’autant moins automatiques que les Vingt-Sept ont réussi à s’octroyer un rôle central dans la gouvernance de l’instrument, aux côtés de la Commission. Le Conseil de l’UE sera appelé à voter à la majorité qualifiée à deux reprises, dans un premier temps pour approuver l’activation du règlement, lorsqu’un cas de coercition aura été identifié par la Commission, puis pour se prononcer sur les contre-mesures éventuellement proposées par l’exécutif communautaire. Les eurodéputés auraient souhaité maintenir le pouvoir décisionnel entre les seules mains de la Commission.
Pour autant, ce partage ne devrait pas affaiblir ce nouvel outil, estime Elvire Fabry, de l’Institut Jacques Delors : «C’était le point de tension principal pendant ces trilogues. La bonne nouvelle est que l’on a opté pour des votes à la majorité qualifiée, et non à l’unanimité comme le voulaient certains Etats membres. Cela risquait de décrédibiliser l’instrument, en permettant aux pays tiers de faire plus facilement pression sur chacun des Etats membres. Le vote à la majorité qualifiée va donner un poids politique aux décisions», analyse cette spécialiste de la géopolitique du commerce.
Sur le papier, l’arme est donc potentiellement puissante. Reste désormais à déterminer la pratique. «Le règlement a certes une logique de dissuasion, mais pour qu’il y ait dissuasion, il faut être crédible, et donc se montrer prêts à frapper forts, en assumant les coûts des sanctions», poursuit Elvire Fabry. La manière dont l’UE répondra au premier cas de coercition une fois l’instrument entré en vigueur sera un test important ».
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