
- Tribune
Les Français, plus fourmis que jamais

Avant la pandémie de Covid, les ménages consacraient en moyenne 85% de leur revenu disponible à la consommation, laissant un taux d’épargne d’environ 15%. Au moment de la crise sanitaire, les ménages ont accumulé un sur-matelas d’épargne ; confinés chez eux, ils n’ont pas pu consommer comme à leur habitude, tandis que leur revenu a été largement protégé par les mesures d’urgence mises en place par les pouvoirs publics. Le taux d’épargne des ménages a atteint un niveau record de 26,5% du revenu disponible lors du grand confinement du printemps 2020. Après la réouverture de l’économie, la consommation a rebondi, le taux d’épargne a nettement baissé, bien qu’il soit resté plus élevé qu’avant la pandémie. Les ménages n’ont donc pas compensé l’absence de consommation de 2020 par une surconsommation ; ils ont même préféré maintenir un important effort d’épargne, sauf pour les plus modestes d’entre eux qui ont dû puiser dans leurs maigres économies pour faire face au choc inflationniste post-Covid.
Entre 2020 et 2023, le taux d’épargne des ménages a été ainsi en moyenne de quatre points supérieurs à sa tendance pré-Covid et reste élevé à 18,2% du revenu disponible au T3 2024. Cette augmentation du taux d’épargne ne s’est pas accompagnée d’une hausse de l’investissement des ménages. Les achats de logements neufs et les travaux d’entretien et d’amélioration de l’habitat ont en effet ralenti en raison de la hausse des taux d’intérêt et de la faible disponibilité du crédit. En revanche, l’augmentation des coûts de financement a freiné les achats de biens durables souvent financés par des crédits à la consommation, ce qui a pesé sur les dépenses globales. Ainsi, l'épargne financière, qui représente la portion du revenu des ménages restant après toutes leurs dépenses, y compris la consommation et l’investissement, a été le principal moteur de l’augmentation du taux d'épargne.
Le salaire par tête reste en retard
Plusieurs facteurs sont susceptibles d’expliquer cette hausse du niveau d’épargne financière. Si le revenu global ajusté de l’inflation a dépassé son niveau d’avant la pandémie, le salaire réel par tête n’a pas encore effacé la perte subie depuis fin 2019. Ce sont les prestations sociales, notamment les pensions de retraite, mais aussi les revenus du patrimoine, qui ont soutenu le pouvoir d’achat. En 2023, la hausse de 5% du pouvoir d’achat s’explique à plus de 40% par l’augmentation des revenus de la propriété. Or, ces revenus, concentrés sur les ménages aisés ayant une forte propension à épargner, sont peu consommés et sont en partie mis de côté, par défaut, en raison d’un effet de capitalisation [1].
De plus, l'érosion passée de la valeur du patrimoine lors du pic d’inflation a probablement incité les épargnants à réinvestir davantage les revenus financiers, voire à consentir un effort d’épargne supplémentaire pour recouvrer la valeur réelle de leurs avoirs (effet d’encaisse réelle). Le patrimoine financier des ménages, qui est aujourd’hui proche de 6.300 milliards d’euros en valeur nominale, a progressé de 16% depuis 2019, une hausse quasi équivalente à l’inflation cumulée, l’effort supplémentaire de placement ayant tout juste compensé la taxe inflationniste.
Ces tendances paraissent réversibles dans un contexte de reflux de l’inflation et de diminution progressive des taux d’intérêt. Alors que le salaire réel a repris le chemin de la hausse, les revenus de la propriété pourraient marquer le pas à mesure de la détente monétaire. Ce rééquilibrage des sources de revenus en faveur des salaires, plus susceptibles d’être consommés, pourrait avoir un impact négatif sur l’épargne. Par ailleurs, les effets d’encaisses réelles joueraient moins avec une inflation durablement inférieure à 2%.
Du côté des dépenses, la reprise anticipée du marché immobilier pourrait stimuler les dépenses d’équipement du logement, tandis qu’une meilleure accessibilité aux crédits à la consommation pourrait encourager les achats de biens durables, sauf peut-être en ce qui concerne la demande automobile, toujours déprimée, avec une transition lente vers l’électrique.
Equivalence ricardienne ?
Avec la désinflation, le taux d’épargne aurait déjà dû refluer alors, qu’en réalité, il a eu tendance à augmenter et a même gagné un point entre fin 2023 et le troisième trimestre de 2024. L’inflation laisse des traces, avec des anticipations qui s’ajustent avec retard, ce qui peut expliquer au moins temporairement le maintien d’un taux d’épargne élevé. On peut également invoquer le dérapage incontrôlé du déficit budgétaire, lequel a dépassé 6% du PIB en 2024. Selon la théorie dite d’équivalence ricardienne, les ménages, face à la dégradation des finances publiques et à l’augmentation inévitable de la pression fiscale, épargneraient un montant équivalent aux hausses d’impôts anticipées. Bien que la validité de cette théorie ne soit pas empiriquement démontrée et fasse l’objet d’analyses contradictoires, les incertitudes politiques et fiscales actuelles encouragent l’attentisme et la constitution d’une épargne de précaution.
Certains facteurs pourraient également contribuer à élever le taux d’épargne de manière structurelle. Le vieillissement progressif de la population devrait favoriser l'épargne accumulée pendant la période d’activité. Ce d’autant que le débat sur la réforme des retraites et les doutes sur la soutenabilité du régime par répartition ou le niveau futur des pensions devraient continuer à encourager les ménages à garnir leur bas de laine. Par ailleurs, les retraités, qui sont censés en théorie désépargner, continuent en pratique à mettre de côté. Enfin, face aux impératifs écologiques, les ménages sont probablement amenés à adopter des comportements de consommation plus sobre pour atteindre un mode de vie durable.
[1] C’est le cas notamment des contrats d’assurance-vie en euros où les intérêts sont capitalisés.
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Immigration clandestine : raid policier dans une usine Hyundai-LG aux Etats-Unis, près de 500 arrestations
Washington - Près de 500 personnes, dont une majorité de Sud-Coréens, ont été arrêtées par la police de l’immigration dans une usine de fabrication de batteries des groupes sud-coréens Hyundai et LG dans l’Etat de Géorgie (sud-est), soupçonnées de travailler illégalement aux Etats-Unis. Le raid, mené jeudi, résulte d’une «enquête pénale liée à des accusations de pratiques d’embauche illégales et à de graves infractions fédérales», a expliqué vendredi Steven Schrank, un agent du service d’enquêtes du ministère américain de l’Intérieur, au cours d’une conférence de presse. Il s’agit de «la plus importante opération des forces de l’ordre sur un même site de toute l’histoire du service des +Homeland Security Investigations+ (+Enquêtes sur la sécurité intérieure+)», a-t-il affirmé, s’exprimant d’Atlanta, dans l’Etat de Géorgie. Les 475 personnes arrêtées dans cette usine, située dans la ville d’Ellabell, se «trouvaient aux Etats-Unis de manière illégale» et «travaillaient illégalement», a affirmé M. Schrank, soulignant que la «majorité» d’entre elles étaient de nationalité sud-coréenne. Sollicité par l’AFP aux Etats-Unis, le constructeur automobile a répondu être «au courant du récent incident» dans cette usine, «surveiller étroitement la situation et s’employer à comprendre les circonstances spécifiques» de cette affaire. «A ce stade, nous comprenons qu’aucune des personnes détenues n'était directement employée par le groupe Hyundai», a-t-il poursuivi, assurant donner «priorité à la sécurité et au bien-être de quiconque travaille sur ce site et au respect de toutes les législations et réglementations». De son côté, LG Energy Solution a affirmé suivre «de près la situation et recueillir toutes les informations pertinentes». «Notre priorité absolue est toujours d’assurer la sécurité et le bien-être de nos employés et de nos partenaires. Nous coopérerons pleinement avec les autorités compétentes», a ajouté cette entreprise. La Corée du Sud, la quatrième économie d’Asie, est un important constructeur automobile et producteur de matériel électronique avec de nombreuses usines aux Etats-Unis. Mission diplomatique Une source proche du dossier avait annoncé quelques heures plus tôt, de Séoul, qu’"environ 300 Sud-Coréens» avaient été arrêtés pendant une opération du Service de l’immigration et des douanes américain (ICE) sur un site commun à Hyundai et LG en Géorgie. De son côté, l’agence de presse sud-coréenne Yonhap avait écrit que l’ICE avait interpellé jusqu'à 450 personnes au total. Le ministère sud-coréen des Affaires étrangères avait également fait d'état d’une descente de police sur le «site d’une usine de batteries d’une entreprise (sud-coréenne) en Géorgie». «Plusieurs ressortissants coréens ont été placés en détention», avait simplement ajouté Lee Jae-woong, le porte-parole du ministère. «Les activités économiques de nos investisseurs et les droits et intérêts légitimes de nos ressortissants ne doivent pas être injustement lésés dans le cadre de l’application de la loi américaine», avait-il poursuivi. Séoul a envoyé du personnel diplomatique sur place, avec notamment pour mission de créer un groupe de travail afin de faire face à la situation. Les autorités sud-coréennes ont également fait part à l’ambassade des Etats-Unis à Séoul «de (leur) inquiétude et de (leurs) regrets» concernant cette affaire. En juillet, la Corée du Sud s'était engagée à investir 350 milliards de dollars sur le territoire américain à la suite des menaces sur les droits de douane de Donald Trump. Celui-ci a été élu pour un second mandat en novembre 2024, en particulier sur la promesse de mettre en oeuvre le plus important programme d’expulsion d’immigrés de l’histoire de son pays. Depuis, son gouvernement cible avec la plus grande fermeté les quelque onze millions de migrants sans papiers présents aux Etats-Unis. Au prix, selon des ONG, des membres de la société civile et jusqu’aux Nations unies, de fréquentes violations des droits humains. D’Atlanta, le Bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et des explosifs (ATF) a expliqué sur X avoir participé à l’arrestation d’environ 450 «étrangers en situation irrégulière» au cours d’une opération dans une usine de batteries, une coentreprise entre Hyundai et LG. Selon son site internet, Hyundai a investi 20,5 milliards de dollars depuis son entrée sur le marché américain en 1986 et compte y investir 21 milliards supplémentaires entre 2025 et 2028. L’usine d’Ellabell a été officiellement inaugurée en mars, avec l’objectif de produire jusqu'à 500.000 véhicules électriques et hybrides par an des marques Hyundai, Kia et Genesis. Elle devrait employer 8.500 personnes d’ici à 2031. © Agence France-Presse