Les économistes saluent un accord paneuropéen gagnant-gagnant

Au-delà des politiques, les spécialistes de la finance parlent eux aussi d’un accord européen «historique».
Fabrice Anselmi
Le président du Conseil européen, Charles Michel, lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion du 17 au 20 Juillet 2020.
Le président du Conseil européen, Charles Michel, lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion du 20 Juillet 2020.  -  Crédit European Union

Au-delà des dirigeants politiques de l’Union européenne (UE) qui n’ont pas manqué de s’attribuer un accord «historique», les économistes ont également plutôt bien accueilli le plan de relance commun de 750 milliards d’euros décidé mardi à l’aube pour sortir de la crise du coronavirus. L’accord prévoit donc, à côté d’un budget pluriannuel 2021-2027 (MFF) de 1.074 milliards d’euros financé à hauteur de 1,40% du PIB par pays, un fonds de relance (Next Generation EU) réparti entre 390 milliards de subventions, au lieu de 500 milliards d’euros proposés initialement, et 360 milliards de prêts.

Alors que les subventions se répartissaient entre le mécanisme de relance (RRF) et un certain nombre d’autres programmes paneuropéens dans la proposition de la Commission européenne (CE) en mai, elles se concentreront finalement sur la facilité RRF (312,5 milliards), les autres programmes ayant été réduits de 190 à 77,5 milliards. Cette décision a donc pu décevoir. «Mais l’enjeu était ailleurs : il s’agit d’un pas important vers plus de solidarité financière en Europe, tout en posant les premier jalons d’un fédéralisme budgétaire», réagit l’économiste Florence Pisani chez Candriam. «C’est une différence majeure avec la précédente crise de l’euro, cela renforce l’intégration européenne, même si un tel compromis à l’unanimité des 27 est toujours difficile et amène à juger qu’on aurait pu aller encore plus loin», ajoute Samy Chaar, chef économiste de Lombard Odier. Il regrette un peu la baisse du montant global – «qui rogne de manière sous-optimale des investissements comme la santé», une gouvernance peu fluide – «sans veto mais avec la possibilité pour un pays de communiquer son inquiétude sur le transfert de fonds vers un autre pays», et le maintien de rabais sur le budget – «alors que le Brexit donnait l’occasion de supprimer ces avantages dont le Royaume-Uni s’accommodait particulièrement». Ces réductions brutes forfaitaires fondées sur le revenu national brut bénéficieront aux Pays-Bas, Danemark, Suède ainsi qu'à l’Allemagne et l’Autriche, pour plus de 53 milliards répartis sur sept ans.

Au bout du compte, l’Italie (avec a priori 81 milliards de subventions), l’Espagne (72), la France (39) et la Pologne (38) ressortent «gagnants» en valeur absolue, la clé de répartition étant établie selon le PIB/habitant et le taux de chômage avant la pandémie pour 2021-2022 (conformément à la proposition initiale de la CE), puis selon la perte de PIB réel et cumulée observée post-pandémie pour 2023.

En valeur relative, la Grèce s’en sort plutôt bien (23 milliards soit 11% du PIB), alors que la Belgique, pays le plus touché de l’UE en nombre de victimes/population, recevra à peine 1%. «Il fallait surtout un geste fort pour les grandes économies comme l’Italie et l’Espagne, qui vont donc percevoir entre 4,4% et 5,5% du PIB en subventions réparties sur trois ans, et vont tirer les autres vers le haut, insiste Samy Chaar. De ce point de vue, il n’y aura pas de perdants.»

Relais de croissance européen

La facilité RFF sera distribuée à 70% au cours des années 2021 et 2022 et les 30% restants seront intégralement engagés d’ici à la fin 2023. «C’est très intéressant car cela arrivera après le premier filet de sécurité fourni par les Etats, au moment où l’économie devra combler l’écart avec la croissance d’avant-crise et où il ne faudra pas relâcher les politiques de soutien», poursuit Samy Chaar, insistant sur le revirement de l’Allemagne dans sa perception du besoin d’intervention publique.

«L’accord est probablement plus important d’un point de vue politique et symbolique : avec des subventions inférieures à 0,4% du PIB par an jusqu’en 2027, il ne peut pas être un substitut complet aux efforts budgétaires nationaux», nuance Gilles Moec, chef économiste d’Axa IM. «Le fonds est encore relativement petit compte tenu de la gravité de la crise» et son calendrier obligera «les pays dans le besoin à s’appuyer sur d’autres options comme le Mécanisne européen de stabilité (MES)», écrivent même les économistes d’ING, pour qui il aurait peut-être été «préférable de séparer les négociations sur le mécanisme de relance et le budget pluriannuel» voire de faire de «la RRF un projet de la zone euro plutôt qu’un projet de l’UE».

Du côté des ressources, la CE se financera et se refinancera - sans problème avec sa notation AAA et en partie auprès des programmes d’achats de la Banque centrale européenne (BCE) qui ont été adaptés pour cela - en émettant des obligations sur les marchés de capitaux. Sachant que les plus grands Etats solliciteront peu les 360 milliards de prêts s’ils peuvent se financer seuls à bon compte. «Le mode de financement de ce programme - par des recettes futures à définir mais avec les garanties données par chaque Etat membre - est novateur et devrait inspirer d’autres institutions supranationales au vu des importants besoins d’investissements actuels (pays émergents, lutte contre le réchauffement climatique)», remarque Florence Pisani. Les dirigeants de l’UE ont prévu en plus une taxe sur le plastique en 2021 et pourraient, sur proposition de la CE, revoir le système d'échanges de quotas de CO2 (ETS) et introduire une redevance numérique en 2023 afin de renforcer les ressources propres et de rembourser des emprunts contractés dans le cadre de Next Generation EU.

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