
Les coûts visibles et cachés du manque d’espace budgétaire des Etats

William de Vijlder, directeur de la recherche économique de BNP Paribas
La forte hausse de l’endettement du secteur public, due à la pandémie de Covid-19, était une conséquence inévitable des stabilisateurs automatiques étant donné leur fonction. Elle était aussi souhaitable, voire nécessaire, eu égard au rôle clé des décisions prises par les Etats pour soutenir les acteurs économiques et relancer la demande. Cette hausse pose toutefois la question de la voie à suivre en matière de politique budgétaire.
Dans les prochains mois, cette question deviendra de plus en plus brûlante avec, au niveau de l’Union européenne, un débat sur les règles budgétaires, mais aussi la perspective d’une réduction des achats de titres par les banques centrales (tapering). Ce débat portera sur la soutenabilité de la dette et la présence, ou absence, d’un espace budgétaire. Le premier point fait référence au rapport entre endettement public et PIB nominal, tandis que le second est axé sur la politique discrétionnaire, à savoir la capacité des Etats à prendre des mesures dans le cadre des plans existants sans mettre en péril l’accès au marché et la soutenabilité de la dette publique.
Ces deux concepts sont, en toute logique, étroitement liés. Un manque d’espace budgétaire refléterait un niveau d’endettement à la limite – voire au-delà – de la soutenabilité, une situation qui compliquerait aussi l’accès au marché avec une prime de risque de plus en plus élevée. La baisse importante des taux obligataires a peu à peu conduit à une réduction du coût moyen de la dette existante et à une baisse de la différence entre ce coût (r) et le taux de croissance à long terme du PIB nominal (g). Cette dynamique a réduit l’excédent budgétaire hors charges d’intérêt (excédent primaire) nécessaire aux pays pour stabiliser le rapport entre dette et PIB, lorsque r est supérieur à g, ou a augmenté le déficit primaire autorisé dans le cas inverse.
Un manque d’espace budgétaire engendre des coûts visibles : une notation moins bonne de la dette souveraine et donc un coût de financement plus élevé, mais aussi un sentiment latent d’inconfort des agents économiques, conscients de la difficulté du gouvernement à soutenir l’économie en cas de nouvelle crise économique. La politique d’assouplissement quantitatif (QE) a réduit ces coûts visibles. En zone euro, nous avons assisté à une compression des spreads souverains (le surcoût d’une notation moins bonne a baissé) tandis que le QE, via son influence sur les taux longs, a créé une marge budgétaire, ce qui fait dire à certains que l’on peut se contenter de stabiliser l’endettement public plutôt que de procéder à une consolidation budgétaire. Une telle recommandation suppose implicitement que la banque centrale réinvestira toujours les échéances, qu’elle procédera à du QE en cas de nouvelle récession, qu’il n’y aura pas de chocs risquant de durablement réduire le taux de croissance, etc.
Un manque d’espace budgétaire peut aussi créer des coûts cachés ou peu visibles. Ainsi, la nécessité de fixer un niveau élevé d’imposition, comparé à d’autres pays, peut influencer la croissance ou encore la localisation de nouvelles activités, et donc de création de valeur ajoutée. Un endettement élevé peut impliquer un coût d’opportunité, notamment une croissance du PIB potentiel moindre en raison de l’incapacité à financer des programmes structurels (enseignement, recherche, investissements dans le cadre du changement climatique, etc.). Il peut rendre les secteurs économiques plus sensibles à certains chocs car ils y sont directement exposés (c’est-à-dire des banques qui auraient des positions importantes en dette souveraine) ou parce que le gouvernement ne dispose pas de marge de manœuvre pour soutenir l’activité lors d’une récession.
Ce dernier point a été traité dans un papier de recherche de la Bundesbank. Les auteurs ont analysé le comportement de vendeurs à découvert d’actions lors de l’éruption de la crise Covid-19 au printemps 2020. Concrètement, ils se sont demandé si le comportement des investisseurs diffère selon qu’ils analysent la situation d’entreprises avec peu de trésorerie dont le siège se trouve dans un pays avec une faible notation de la dette souveraine, ou celle d’entreprises affichant les mêmes caractéristiques mais établies dans un pays avec une bonne notation. Il s’avère qu’un espace budgétaire faible (représenté par la notation de la dette souveraine) est surtout préjudiciable aux entreprises avec une faible trésorerie. La transmission se fait via le cours boursier. Ainsi, les auteurs ont constaté que, bien avant la forte baisse du marché le 24 février 2020, les vendeurs à découvert avaient constitué des positions à la baisse sur des valeurs financièrement fragiles dans des pays à faible marge de manœuvre budgétaire. On pourrait avancer que les périodes de crise sont relativement rares et que les conséquences économiques de ces constats ne devraient pas être pérennes. En revanche, les coûts visibles et cachés d’un manque d’espace budgétaire montrent bien l’importance de l’effort à fournir pour le reconstituer lorsque, après une crise, il est épuisé.
Plus d'articles du même thème
-
L’automne s’annonce risqué pour les taux longs
Les obligations souveraines à long terme ont subi une nouvelle correction violente début septembre. Les facteurs fondamentaux comme les facteurs techniques ne permettent pas d’envisager un changement de la tendance. -
La France réussit encore ses adjudications de dette à long terme
Les investisseurs ont continué à soutenir les obligations françaises avant le vote de confiance attendu lundi : pour la première adjudication depuis l’annonce de François Bayrou, l’Agence France Trésor a pu emprunter 11 milliards d’euros dans d’assez bonnes conditions malgré un taux de sursoucription bien au-dessous de la moyenne des derniers mois. -
La consommation et l'inflation en France ralentissent
Les publications de vendredi ont confirmé une hausse du modérée du PIB au deuxième trimestre, mais aussi un ralentissement de la consommation en juillet et de l’inflation en août.
ETF à la Une

BNP Paribas AM se dote d’une gamme complète d’ETF actifs
- A la Société Générale, les syndicats sont prêts à durcir le ton sur le télétravail
- Boeing essaie de contourner la grève en cours dans ses activités de défense
- Revolut s’offre les services de l’ancien patron de la Société Générale
- Mistral AI serait valorisé 12 milliards d’euros par une nouvelle levée de fonds
- Les dettes bancaires subordonnées commencent à rendre certains investisseurs nerveux
Contenu de nos partenaires
-
Fiat lux
Matignon : Pourquoi Emmanuel Macron a choisi Sébastien Lecornu
Le chef de l'Etat prend un risque en désignant à Matignon un fidèle si proche de lui qu'il ne pourra pas jouer les paratonnerres -
Automobile : l'Allemagne demande plus de "flexibilité" sur l'interdiction européenne des ventes de voitures thermiques en 2035
Munich - Le chancelier allemand Friedrich Merz a réclamé mardi plus de «flexibilité» dans la réglementation européenne qui prévoit une interdiction des ventes de voitures thermiques après 2035, un calendrier décrié par l’industrie automobile, secteur-clé plongé dans la crise. «Nous tenons bien sûr fondamentalement à la transition vers la mobilité électrique», mais «il nous faut une réglementation européenne intelligente, fiable et souple», a déclaré le chancelier, en inaugurant le salon international de l’automobile à Munich. Lors de son tour du salon le faisant passer par le stand de l'équipementier allemand Mahle, il a insisté : «ce que nous devons fixer comme objectif, c’est la neutralité climatique. Mais c’est à vos ingénieurs et ingénieures de trouver le moyen d’y parvenir». Le message résonne auprès des géants allemands BMW, Mercedes et Volkswagen, qui remettent ouvertement en cause l’objectif de 2035 fixé par Bruxelles. Devant le chancelier, Arnd Franz, PDG de Mahle, a exhorté Bruxelles à «laisser de la liberté aux idées et à la concurrence des technologies». M. Merz a confirmé ses réserves sur le choix d’une seule technologie pour mener à bien la transition climatique. Celle-ci doit se produire, selon lui, de la manière la plus rentable possible en restant flexible sur les technologies. Le secteur de l’auto mise sur l'électrique, mais estime que le virage, en termes de ventes de modèles neufs en Europe, est trop lent pour atteindre pleinement le cap fixé d’ici 10 ans. Concurrence chinoise Plus de 150 entreprises - constructeurs de véhicules électriques, fabricants de batteries ou opérateurs de recharge - voient les choses différemment, exhortant lundi la présidente de la Commission européenne à «ne pas reculer». Au sein de la coalition au pouvoir à Berlin, le parti social-démocrate (SPD) a mis en garde mardi contre un recul sur les objectifs climatiques. «Remettre en question la sortie des moteurs thermiques met en danger la compétitivité à long terme et déstabilise notre économie», a déclaré Armand Zorn, vice-président du groupe SPD au Bundestag. Les constructeurs européens rencontreront vendredi Ursula von der Leyen à Bruxelles pour discuter de l’avenir du secteur face aux défis de l'électrification, de la concurrence et des tensions commerciales. Jan Vlasak, 35 ans, qui travaille chez un constructeur allemand dont il ne veut pas dire le nom, dit espérer que l’UE cèdera. «Je pense que (la date de 2035) devrait être revue, repoussée de cinq ou dix ans, ce serait bien», confie-t-il à l’AFP, dans les couloirs du salon. L'économie européenne est «dans une impasse», contrairement à la Chine, maîtresse dans l’art du véhicule électrique à coût raisonnable, abonde Markus Sigmund, employé chez un grand fournisseur. Le salon de Munich accueille une centaine d’exposants chinois sur environ 700, soit 40% de plus qu’en 2023. Mais M. Merz n’en a visité aucun pendant son passage. «Misérable» Allemagne Alors que le géant chinois BYD a présenté sa compacte Dolphin Surf à 20.000 euros, produite dès 2025 en Hongrie pour contourner les droits de douane, Volkswagen a répliqué avec trois marques (VW, Cupra, Škoda) et des modèles d’entrée de gamme à 25.000 euros, qui seront lancés en 2026. L’objectif ? Capter environ 20% du segment des petites voitures électriques en Europe, soit plusieurs centaines de milliers de véhicules par an. Un absent de marque à Munich: l’Américain Tesla, présent il y a deux ans, et dont les ventes européennes, grevées par le soutien d’Elon Musk à l’extrême droite du Vieux Continent, ont chuté de 43% au premier semestre. M. Merz a rappelé la tenue d’une prochaine «concertation» sur l’avenir de l’industrie automobile allemande, impliquant régions et syndicats, alors que le secteur a perdu plus de 50.000 emplois en un an sur un total d’environ 800.000, selon EY. Volkswagen va se séparer de 35.000 employés d’ici 2030 et arrêter la production dans deux usines allemandes, quand Porsche, Audi et des centaines de sous-traitants dégraissent également leurs effectifs. «La situation est misérable pour l'économie allemande», résume Ferdinand Dudenhöffer, expert du secteur. Louis VAN BOXEL-WOOLF © Agence France-Presse -
Brésil : les juges de la Cour suprême commencent à voter le verdict du procès de Jair Bolsonaro
Brasilia - Cinq juges de la Cour suprême du Brésil ont commencé à voter mardi pour condamner ou acquitter l’ancien président d’extrême droite Jair Bolsonaro, accusé de tentative de coup d’Etat dans un procès historique qui suscite la colère de Donald Trump. Si l’ex-chef de l’Etat brésilien (2019-2022), 70 ans, joue son avenir, l’enjeu est grand aussi pour la première puissance économique d’Amérique latine, entre guerre commerciale lancée par Washington en représailles au procès et pressions croissantes du camp conservateur pour une amnistie. M. Bolsonaro, qui se dit innocent, est accusé d’avoir conspiré pour son «maintien autoritaire au pouvoir» malgré sa défaite face au président actuel de gauche Luiz Inacio Lula da Silva lors de l'élection de 2022. «Le Brésil a failli revenir à une dictature», a déclaré le juge Alexandre de Moraes, avant de se prononcer pour une condamnation. Rapporteur du procès, il est le premier des cinq juges à voter dans cette audience publique retransmise en direct par les médias à travers le pays. Avec sept coaccusés, parmi lesquels d’anciens ministres et militaires haut gradés, M. Bolsonaro risque jusqu'à 43 ans de prison. - «Lynchage judiciaire» - Le verdict est attendu d’ici vendredi. Une majorité simple de trois des cinq juges suffira. En cas de condamnation, qui peut être contestée en appel, les magistrats fixeront ensuite les peines de chacun des accusés. Le juge Moraes a décrit une «organisation criminelle sous le leadership» de l’ancien chef de l’Etat qui, bien avant la présidentielle de 2022 et jusqu’après le scrutin, aurait tenté d’"empêcher une alternance du pouvoir». Rapporteur du procès, le juge Moraes est visé par des sanctions des Etats-Unis, qui l’accusent d’avoir des motivations politiques. Il se trouve en outre dans la situation particulière d'être à la fois juge et victime potentielle dans ce dossier. Le supposé plan putschiste prévoyait en effet son assassinat ainsi que celui de Lula, selon l’accusation. C’est la première fois qu’un ancien chef de l’Etat brésilien est jugé pour un projet présumé de coup d’Etat depuis la fin de la dictature militaire (1964-1985). Déjà inéligible jusqu’en 2030 pour désinformation électorale, M. Bolsonaro se dit victime d’une «persécution politique», à un peu plus d’un an de la présidentielle de 2026. Son fils aîné, le sénateur Flavio Bolsonaro, a dénoncé mardi sur le réseau social X un «lynchage judiciaire» contre son père, le décrivant en «défenseur de l’ordre et de la légalité». «Mesures appropriées» En résidence surveillée à Brasilia depuis début août pour des soupçons d’entrave à la justice, M. Bolsonaro n’est pas présent mardi au tribunal, a constaté un journaliste de l’AFP. Sa défense invoque des raisons de santé. Elle a d’ailleurs demandé qu’il puisse quitter son domicile brièvement dimanche prochain pour subir une intervention médicale. La société brésilienne, polarisée, se montre divisée sur le procès: si 53% des personnes interrogées estiment que le juge Moraes applique les lois, 39% perçoivent des motivations politiques, selon un sondage de l’institut Datafolha publié en août. L’affaire Bolsonaro est en outre au coeur d’une crise sans précédent entre Brésil et Etats-Unis. Dénonçant une «chasse aux sorcières» contre son allié, le président américain Donald Trump a imposé depuis le 6 août une surtaxe punitive de 50% sur une part importante des exportations brésiliennes. A l’approche du dénouement judiciaire, son administration adopte un ton menaçant. «Concernant le juge Moraes et les individus dont les abus de pouvoir ont sapé (les) libertés fondamentales, nous continuerons à prendre les mesures appropriées», a prévenu lundi un responsable du Département d’Etat américain. Anticipant une condamnation, le camp Bolsonaro s’active pour sa part au Parlement pour faire voter un projet d’amnistie au bénéfice de son leader. Ce mot d’ordre a été repris dimanche par des dizaines de milliers de ses sympathisants lors de rassemblements à travers le pays, à l’occasion de la fête de l’indépendance. Ramon SAHMKOW © Agence France-Presse