L’ère du financement à bon marché des entreprises est terminée

La hausse des coûts liés au bond des taux et à l’écartement massif des ‘spreads’ est déjà bien visible sur le marché primaire obligataire.
Xavier Diaz
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Après plusieurs semaines de faible activité, le marché primaire corporate euro vient de réaliser l’une de ses meilleures semaines de l’année. Les entreprises ont profité d’une fenêtre favorable, en début de semaine : Suez, Bouygues ou RWE ont saisi cette opportunité. Elis, un émetteur noté crossover (entre investment grade et high yield) est également parvenu à émettre 300 millions d’euros.

Cette offre de papier a été couronnée de succès, avec des carnets d’ordres fournis, la demande dépassant parfois quatre fois l’offre et même dix fois dans le cas d’Elis. Les investisseurs, qui sont restés en retrait du marché ces dernières semaines en raison des nombreuses incertitudes (inflation, politiques monétaires, ralentissement économique, Covid en Chine, guerre en Ukraine…), ont profité de ce flux de papier alors que le marché secondaire reste peu liquide. Mais la vraie raison de cet engouement est le retour à des rendements attractifs et en tout cas suffisants pour un grand nombre d’investisseurs, dont les compagnies d’assurances, après des années de taux négatifs. Le revers de la médaille, pour les entreprises, est un coût de financement plus élevé.

Depuis le début de l’année, l’ajustement sur les marchés de taux et de crédit, qui avait déjà démarré dans les derniers mois de 2021, s’est accentué avec le conflit en Ukraine et l’accélération de l’inflation, le ton nettement plus restrictif des banques centrales, et désormais les risques sur la croissance qui pèsent sur les primes de risque. Les taux courts (corrélés à la politique monétaire) et longs (à l’inflation et au cycle économique) ont nettement augmenté, y compris en zone euro, où une grande partie des courbes d’emprunts souverains sont sorties du territoire négatif. Parallèlement, les spreads se sont écartés pour prendre en compte ce changement de paradigme et l’augmentation du risque.

Les taux euro ont grimpé depuis début septembre 2021, point culminant des marchés de taux et du crédit en zone euro. De plus d’une centaine de points de base (pb) sur les parties longues et intermédiaires de la courbe : +133 pb pour le Bund et +142 pb pour l’OAT 10 ans, +130 pb pour les rendements à 5 ans. Mais aussi sur les maturités plus courtes : +80 pb environ à 2 ans.

Les spreads, la prime de risque, se sont également écartés sur l’ensemble des catégories de notation, doublant quasiment sur la période. Celui de l’IG est à près de 180 pb et celui du HY à 550 pb (indices iBoxx). Du A au CCC, le mouvement est identique. Une société notée BBB souhaitant émettre des obligations à 5 ans devra payer, en moyenne, un coupon de 3% contre 0,4% environ en septembre dernier. Le taux à 10 ans sera de 3,2% au lieu de 1,05% il y a neuf mois. Sur le high yield, la prime est encore plus conséquente. D’autant que le marché est difficilement accessible, sauf à payer une forte prime comme dans le cas de Miller Homes qui a dû concéder des rendements et une décote plus importante qu’initialement prévu.

Retour des primes d’émission

A l’effet de taux et de spread, sur le marché primaire s’ajoutent des décotes et des primes d’émission par rapport à la courbe secondaire: plusieurs dizaines de pb alors qu’elles avaient disparu quand le marché était au plus haut. L’opération d’Elis la semaine passée a vu sa prime d’émission fortement diminuer en raison de l’importance du carnet d’ordres. De 80 pb au moment du lancement de la transaction, elle a été ramenée à 20 pb à l’émission, indique Matthieu Bailly, gérant chez Octo AM.

Le spécialiste du nettoyage a vu le coût de son financement plus que doubler par rapport sa dernière émission obligataire, en septembre 2021. La société avait alors émis 200 millions d’euros à 7 ans sur la base d’un rendement de 1,625% (coupon de 1,6%). L’obligation placée la semaine passée, d’un montant de 300 millions à 5 ans, offre un rendement de 4,25% pour coupon de 4,125%, soit un coût supplémentaire de 40 millions d’euros sur 5 ans par rapport à septembre.

La hausse des coûts de financement se compte par dizaines de millions d’euros voire centaine de millions. Telefonica Emisiones (noté BBB/Baa3), la société émettrice de l’opérateur téléphonique espagnol, était sur le marché primaire la semaine passée avec une émission d’un milliard d’euros à 9 ans à un rendement de 2,59%. En janvier 2020, la société avait placé 1 milliard d’euros d’obligations à 10 ans avec un rendement et un coupon de 0,66%. Le coût supplémentaire de la nouvelle dette est de près de 170 millions d’euros sur la durée de l’obligation.

Lors de sa dernière émission début mai, le groupe Philips a vu son coût de financement augmenter par rapport à la dernière opération réalisée en mars 2020. Cette hausse a été identique sur les maturités intermédiaires et longues (5 ans et 10 ans) de l’ordre de 20 millions d’euros avec des rendements passés de 1,47% à 1,99% à 5 ans et de 2,09% à 10 ans à 2,68% à 11 ans. Les émissions d’obligations vertes réalisées par RWE et Tennet en mai coûtent également plusieurs millions d’euros d’intérêts supplémentaires chaque année, le double pour Tennet par rapport à un emprunt réalisé en novembre.

Le placement proposé par Bouygues (A/A3) a été largement sursouscrit grâce à des rendements de 2,33% pour la tranche à 7 ans et de 3,34% pour celle à 15 ans. En novembre dernier, le groupe avait émis 800 millions d’euros à 8 ans avec un rendement de 0,53% et des spreads de 40 pb au-dessus des midswaps et 80,5 pb au-dessus de l’emprunt d’Etat de référence : ils atteignent +75 pb et +147 pb respectivement pour l’émission à 7 ans du 17 mai. En mai 2020, Kering, qui n’était alors pas noté (désormais noté A), avait placé deux emprunts à 3 ans et 8 ans offrant des rendements de 0,3% et 0,82% respectivement. Le 11 mai, le groupe de luxe a placé deux nouvelles obligations sur les mêmes maturités mais avec des rendements de 1,3% et 1,94%.

Ces coûts de financement plus élevés risquent encore d’augmenter, de nombreux stratégistes anticipant une poursuite de l’écartement des spreads.

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