
L’écart grandit entre «sentiment» et «réalité» économiques

Incohérences ? «Les données d’enquête se détériorent rapidement et pointent vers un avenir économique compliqué voire franchement catastrophique alors que, à l’opposé, les données ‘en dur’ montrent une forte résilience : cet écart entre ‘sentiment’ et ‘réalité’ est aussi préoccupant qu’inhabituel», remarque Stéphane Déo, directeur des Stratégies de marché chez Ostrum AM.
En zone euro, si les indices PMI auprès des directeurs d’achat, en contraction depuis cet été, indiquent une baisse d’activité de l’ordre de -0,25 point de PIB pour le quatrième trimestre 2022, d’autres indicateurs sont encore plus noirs, comme la différence entre les attentes futures et les conditions actuelles dans l’indice allemand IFO (IFO gap), qui anticipe un effondrement à moyen terme bien pire qu’en 2008 ou en 2020. Aux Etats-Unis, les indices PMI composite et des services sont aussi sous 50 (à l’inverse de l’ISM manufacturier) et les indicateurs de sentiment (investisseurs, consommateurs) montrent une baisse de confiance au niveau des grandes crises.
Et pourtant ! A rebours de ces anticipations pessimistes, la mesure de l’activité effective reste plutôt bien orientée avec des chiffres de croissance qui ont surpris au troisième trimestre de part et d’autre de l’Atlantique (+0,2% en zone euro ; +0,65% aux Etats-Unis), et des données sur l’emploi qui ne diminuent pas (6,6% et 3,7% de chômage), comme sur la consommation, même en valeur réelle. «Selon l’enquête trimestrielle d’Eurostat, plus du quart des entreprises sondées disent qu’elles n’augmentent pas leur production à cause d’un manque de main d’œuvre ! Il y a donc toujours bel et bien encore la volonté de créer des emplois, donc de parier sur le futur malgré le pessimisme actuel», poursuit Stéphane Déo. Le même raisonnement vaut pour l’investissement. «Les commandes de biens durables atteignent des niveaux historiques en niveau aux Etats-Unis. Et, malgré l’absence d’informations récentes, nous pensons que la tendance peut être extrapolée à l’Europe pour deux raisons. Premièrement, le cycle des dépenses en immobilisations est en grande partie dicté par un facteur mondial commun. Deuxièmement, les décisions d’investissement sont généralement très corrélées avec les décisions de création d’emplois, elles ont les mêmes moteurs et le même but : augmenter la production à venir.» Au-delà de la «grande démission», à l’origine de la pénurie de main d’œuvre dans certains secteurs très spécifiques, «les économies avancées connaissent une baisse désormais régulière de la population en âge de travailler», rappelle aussi Bastien Drut, stratégiste senior de CPR AM, pour expliquer la résilience du marché de l’emploi malgré tout.
Quelles explications ?
L’économiste d’Ostrum AM relève que les indicateurs de surprises économiques (données publiées/attentes des économistes) de Citi sont actuellement très positifs, avec surtout une importante différence «très paradoxale» entre les mauvaises surprises sur les enquêtes (-58 en zone euro et -22 aux Etats-Unis) et les très bonnes surprises sur les données réelles (+78 et +28). «Les données ‘en dur’ ont donc très nettement surpris à la hausse récemment, mais l’écart ‘soft/hard’ est très inhabituel, estime Stéphane Déo. Entre guerre en Ukraine et autres mauvaises nouvelles en provenance de Chine, les enquêtes auprès des agents économiques semblent sous l’influence du ‘bruit médiatique’. Elles peuvent envoyer un signal extrêmement anxiogène, alors que la réalité semble plus mesurée, en particulier du côté des entreprises qui continuent à prendre des décisions les engageant pour le futur malgré leur pessimisme.» Il conseille de se référer à la «théorie des préférences révélées» de Paul Samuelson : plutôt regarder les choix concrets des agents économiques que leur demander leurs préférences.
Pour les six prochains mois, une récession économique paraît très difficile à éviter en zone euro comme aux Etats-Unis. La question est celle de son ampleur. «Si on en croit le comportement actuel des entreprises, elle pourrait rester modérée, poursuit Stéphane Déo. Malgré l’énorme resserrement monétaire en cours, on voit les différents gouvernements de la zone euro continuer à fournir un important soutien budgétaire, a priori suffisant pour éviter un effondrement.» Mais la période est particulière, comme l’a montré la difficulté des banques centrales et des économistes à anticiper l’inflation depuis 2020 : «Les modèles économétriques ne semblent pas être en mesure d’intégrer des changements aussi violents, et c’est également le cas pour le resserrement monétaire particulièrement brutal qui vient de commencer, le plus fort depuis les années 80. Les bonnes surprises sur les données réelles vont peut-être se retourner plus fortement que d’habitude», conclut Bastien Drut.
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