
Le secteur financier bataille en Europe pour un régime d’exception


La finance a gagné une bataille, mais pas la guerre. Victorieuse en décembre dernier lors du vote du compromis des Vingt-Sept sur le projet de directive relatif au devoir de vigilance des entreprises en matière sociale et environnementale, le secteur financier doit à présent composer avec le Parlement européen. Une majorité paraît s’y dégager pour aller plus loin que la proposition initiale de la Commission européenne. Alors que le Conseil, sous l’impulsion de la France, a adopté un compromis laissant l’option à chaque Etat membre d’appliquer ou non un devoir de vigilance significatif au secteur financier, les eurodéputés optent au contraire pour un champ d’application plus large et harmonisé.
Au concept de «chaîne d’activités» sur lequel se base le Conseil et qui se limite à l’amont de la chaîne de production, excluant de facto les services financiers, les parlementaires sont ainsi en voie d’opposer celui bien plus large de «chaîne de valeur». Son champ serait lui aussi plus large, incluant les entreprises de plus de 250 employés avec un chiffre d’affaires mondial de plus de 40 millions d’euros, comme en témoignent les premiers votes des commissions parlementaires appelées à se prononcer pour avis. Sans aller jusqu’à la responsabilité civile des dirigeants, les parlementaires s’orientent par ailleurs vers une obligation de vérification de l’absence d’atteinte aux droits humains et à l’environnement, et de désengagement le cas échéant.
Que ce soit en commission des affaires économiques, du commerce international ou de l’environnement, le constat est le même: le groupe PPE (conservateurs) n’a pas réussi à faire passer ses amendements souvent proches des positions des organisations patronales, et s’est retrouvé isolé face à une majorité incluant le groupe centriste Renew et tout le bloc de gauche. «Depuis que ces commissions se sont positionnées, le lobbying devient de plus en plus agressif, témoigne une source parlementaire proche du dossier. Mais il faut aussi noter que certaines structures professionnelles, notamment au nord de l’Europe, sont plus progressistes. Par exemple, en matière financière, des fonds de pensions néerlandais ou danois vont plutôt dans le sens du Parlement, tout en s’interrogeant sur la mise en oeuvre ».
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Timing serré
Pas sûr, toutefois, que la position finale du Parlement européen reflète in fine celle exprimée par les premiers votes en commission. Car si ces critères ambitieux correspondent bien aux convictions de l’eurodéputée sociale démocrate néerlandaise Lara Wolters, rapporteur principale sur le texte et future négociatrice du Parlement avec le Conseil, cette dernière semble vouloir trouver une majorité solide incluant le PPE, afin de mieux peser face aux Etats membres ensuite. Ce qui devrait l’obliger à mettre de l’eau dans son vin lors des votes finaux sur la position du Parlement, d’abord en commission des affaires juridiques puis en plénière.
Le processus pourrait en outre dérailler du fait du timing serré, à seulement 14 mois des élections européennes. «J’espère que la commission des affaires juridiques adoptera sa position en avril ou mai et que le texte sera voté en plénière en juin ou juillet, explique Blazej Blasikiewicz, directeur des affaires légales, internationales et publiques de la Fédération bancaire européenne. Ainsi, il y aura suffisamment de temps pour trouver un accord final en trilogue avant les élections européennes». D’autres lobbies pourraient toutefois préférer jouer la montre, afin de reporter l’adoption du texte à la prochaine législature.
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