Le secteur bancaire inquiète toujours les marchés

La situation des banques semble instable et la crainte d’une crise bancaire continue de peser sur les marchés avec en toile de fond un risque économique. Les banques centrales ont annoncée dimanche une intervention coordonnée.
Marchés
L’indice EuroStoxx des banques a encore perdu 2,8% vendredi et près de 15% sur la semaine, la confiance est rompue  -  Bloomberg

Le sauvetage en catastrophe de Credit Suisse, négocié durant le week-end, et l’intervention coordonnée des principales banques centrales ramèneront-t-ils le calme autour des valeurs bancaires? La Réserve fédérale américaine (Fed), la Banque centrale européenne (BCE), la Banque d’Angleterre, la Banque du Japon, la Banque nationale Suisse et la Banque du Canada ont annoncé dimanche qu’elles offriraient des prêts quotidiens en dollars à leurs banques à partir de lundi pour améliorer la liquidité et éviter les tensions sur le marché du financement après le sauvetage d’urgence de Credit Suisse. Cette décision coordonnée rappelle la crise financière de 2008 et souligne la profonde inquiétude des banquiers centraux face aux turbulences sur le système financier de part et d’autre de l’Atlantique. «Pour améliorer l’efficacité des lignes de swap dans la fourniture de financements en dollars américains, les banques centrales proposant actuellement des opérations en dollars américains ont convenu d’augmenter la fréquence des opérations à échéance de 7 jours d’hebdomadaire à quotidienne», ont déclaré les banques centrales dans un communiqué conjoint. Les enchères quotidiennes auront lieu au moins jusqu'à la fin avril.

Signe de l’inquiétude persistante des investisseurs autour du secteur bancaire, le rebond de début de séance vendredi dernier, dans le sillage de l’injection de liquidités par les grandes banques américaines à la banque régionale en difficulté First Republic, n’aura en effet duré que quelques heures. Les places boursières européennes ont terminé en forte baisse après une semaine cauchemardesque, Wall Street évoluant également dans le rouge. La situation est loin d’être stabilisée, et l’action de la banque californienne First Republic a chuté de 33% et perdait encore 15% dans les échanges hors séance, après avoir déjà perdu 60% depuis la défaillance de Silicon Valley Bank.

Malgré les efforts des régulateurs et des banquiers centraux, les investisseurs estiment que le risque de crise bancaire n’est pas totalement écarté. Bill Ackman, le patron du hedge fund Pershing Square, s’est montré très critique : «La secrétaire au Trésor Janet Yellen a apparemment poussé les banques systémiques à recycler certains des dépôts qu’ils ont reçus de First Republic (FRB) dans FRB pendant 120 jours. Le résultat est que le risque de défaut de FRB est désormais réparti sur nos plus grandes banques», a-t-il posté sur Twitter.

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Craintes systémiques

La situation est tendue aux Etats-Unis mais elle l’est tout autant en Europe. Les investisseurs craignent qu’il y ait d’autres mauvaises nouvelles dans le secteur bancaire, voire chez d’autres opérateurs du marché comme les fonds de pension. Les montants engagés, bien que supérieurs en absolu à ce qui avait été mis sur la table par la Fed et le Trésor américain en 2008 avec 154 milliards de dollars déjà empruntés par les banques, ne seraient pas suffisants face au risque de crise financière.

Lors d’une réunion extraordinaire de son conseil sur la situation du secteur bancaire, vendredi la Banque centrale européenne (BCE), qui supervise les grandes banques, a constaté que les dépôts étaient stables dans la zone euro et que l’exposition à Credit Suisse était négligeable, selon Reuters. «Credit Suisse va mal depuis un moment et toutes les grandes banques ont réduit leurs expositions», relativise le patron d’une grande banque française interrogé samedi par L’Agefi.

«Depuis 2008, les grandes banques n’ont plus la capacité de se relier entre elles par les prêts monétaires comme nous le faisions dans le passé», a déclaré samedi matin sur France Inter le président de la Fédération bancaire française et directeur général de Crédit Agricole SA, Philippe Brassac.

«Nous trouvons les craintes d’une crise financière mondiale exagérées, car le système bancaire est dans une bien meilleure situation qu’avant la crise financière de 2008, confirme Emmanuel Cau, stratégiste chez Barclays. Les indicateurs classiques de stress (spreads OIS, notamment), restent relativement ordonnés par rapport aux épisodes passés, indiquant que le système de liquidité interbancaire fonctionne toujours. Après l’action décisive de la Fed au cours du week-end du 11 mars pour empêcher les sorties de dépôts, tant la BNS que la BCE ont clairement indiqué qu’elles peuvent fournir suffisamment de liquidités si nécessaire

Mais le stratégiste reconnaît que les valeurs bancaires, qui bénéficient encore d’un positionnement long élevé des investisseurs, peuvent rester sous pression.

Risque économique d’une crise bancaire

L’autre risque est économique. «Même si nous pensons qu’une crise bancaire sera évitée, l’évolution des prix du marché n’est pas surprenante car une crise bancaire – même s’il s’agit d’un risque extrême – aurait des conséquences très graves pour la croissance», note Adam Slater, économiste chez Oxford Economics. Les canaux de diffusion sont variés : effets de richesse, durcissement des conditions financières, baisse de la production de crédit… l’un des liens les plus immédiats avec l’économie étant l’immobilier, notamment commercial.

«Les Etats-Unis s’empressent d’éviter un profond resserrement du crédit, relève Robin Brooks, chef économiste de l’Institute of International Finance (IIF). Les banques régionales américaines ont été des prêteurs particulièrement importants dans l’immobilier résidentiel et commercial, ainsi que dans les prêts à la consommation.» Pour l’économiste, un tarissement du crédit se profile.

«Historiquement, les crises bancaires ont tendance à frapper durement la production, ajoute Adam Slater. Les effets initiaux peuvent être substantiels et des dommages durables sont également possibles - certaines estimations de la réduction du produit intérieur brut (PIB) à long terme se situent entre 5% et 10%.» Ce dernier relève également que même les crises centrées sur les petites banques peuvent avoir un impact négatif substantiel.

La nouvelle chute des rendements des emprunts d’Etat américains et de la zone euro confirme ces craintes. Le rendement des Treasuries à 10 ans se resserrait de 16 pb vendredi à 3,42%, celui du Bund de même maturité reculant de 12 pb, à 2,12%. Au-delà de la recherche d’actifs de qualité, les investisseurs se ruaient aussi sur le marché des options pour protéger leurs portefeuilles. Les indices de volatilité, qui reflètent ces mouvements d’aversion pour le risque, bondissaient de nouveau vendredi, le VStoxx de volatilité de l’indice EuroStoxx 50 évoluait à 29,7 après avoir atteint 31,3 dans la journée de vendredi non loin des plus hauts de mai 2022 à 35. L’indice Vix à Wall Street se tendait également à 25,5. L’indice Nations TailDex, qui mesure le coût de la couverture contre un mouvement démesuré du SPDR S&P 500 ETF Trust, le plus important ETF sur l’indice phare américain, a atteint son plus haut niveau depuis mai cette semaine.

Spirale de la perte de confiance

Une des questions est de savoir quelle forme pourrait prendre une hypothétique crise bancaire. Pour le moment, les tensions ont surtout été liées à des problématiques de liquidité. Si la réaction des banques centrales (Fed et BNS) en déployant des outils capables d’assurer la liquidité limite les tensions à court terme, le risque est toutefois de voir ces tensions se muer en crise de solvabilité, quand des banques doivent céder des actifs à perte.

Pour Megan Greene, cheffe économiste de Kroll, «la surréaction des marchés de ces derniers jours augmente le risque que les investisseurs déclenchent une véritable crise bancaire, en suivant une prophétie autoréalisatrice». «Les bilans ont beau être solides, une fois que la crise de confiance dans le secteur bancaire est enclenchée, on peut difficilement faire marche arrière», confiait en pleine tourmente sur Credit Suisse un investisseur préférant garder l’anonymat tant le sujet est sensible.

Les régulations mises en place après 2008 sont censées assurer la solvabilité des acteurs et limiter le risque de pertes importantes sur les actifs détenus par le secteur bancaire. Notamment en Europe, où les règles de Bâle 3 sont appliquées bien plus largement qu’aux Etats-Unis. «Les banques européennes ont des centaines de milliards d’euros d’actifs liquides détenus dans le cadre des ratios réglementaires, poursuit le grand banquier français. Nous couvrons ces titres contre le risque de taux d’intérêt, à la différence des banques régionales américaines comme SVB. Nous pouvons tenir très longtemps». Ce dernier relativise aussi la correction boursière des derniers jours. «La baisse des prix des actions pénalise nos actionnaires, pas nos fonds propres. Le vrai sujet d’inquiétude viendrait d’une perte de confiance des déposants, mais nous n’avons constaté aucun retrait de la part de nos clients».

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