
Le marché du crédit atteint la zone limite

Le marché du crédit a enregistré en février des performances négatives malgré des spreads qui ont poursuivi leur resserrement. La prime de risque crédit a encore diminué de 22 points de base (pb) pour l’investment grade (IG) euro et de 4 pb pour le high yield (HY), tandis qu’elle a perdu 8 pb pour le HY américain. Seul le spread de l’IG en dollar s’est écarté de 7 pb, la première hausse mensuelle depuis septembre 2022, selon les données compilées par les stratégistes de Deutsche Bank.
Les obligations corporate IG en dollar ont perdu 3,5% le mois dernier principalement en raison du réajustement à la hausse des taux. L’IG euro limite son recul à 1,6% grâce au resserrement des spreads. Le HY euro est stable grâce à une plus faible duration et au nouveau resserrement des spreads.
Depuis octobre 2022, les primes de risque crédit ont chuté après avoir atteint un pic de plusieurs années (hors période du Covid en 2020). Le fort resserrement des derniers mois, alimenté par la forte demande des investisseurs pour des rendements à nouveau attractifs, les bons fondamentaux des entreprises, la résilience de l’économie et l’espoir d’une baisse rapide de l’inflation, a permis au marché de revenir sur ses niveaux de début 2022. Des niveaux considérés par de nombreux opérateurs comme tendus. Ils se montrent désormais plus prudents sur la classe d’actifs.
Alexandre Hezez, stratégiste chez Richelieu Banque, a réduit son exposition au crédit, estimant que la baisse des spreads devrait se modérer. «L’engouement pour le crédit BBB en dollar a été tel que les niveaux de spreads sont si bas qu’ils ne compensent plus pour le risque de hausse des taux», souligne-t-il, précisant que les défaillances d’entreprises commencent à toucher les segments du marché les plus risqués. Il se dit également prudent sur le HY euro.
Une prudence qui se diffuse
Une prudence qui commence à se diffuser dans le marché. A 76 pb pour l’iTraxx Main euro et 397 pb pour le Crossover sur le marché des dérivés (credit default swaps) et à 146 pb et 397 pb respectivement sur le marché cash, le crédit est désormais dans une fourchette d’évolution étroite. «Bien qu’il ne s’agisse pas d’une préoccupation imminente, le marché doit éventuellement se préparer à une récession mondiale induite par les politiques monétaires fin 2023 ou 2024, relèvent les stratégistes de JPMorgan qui viennent de relever leur prévision de spread IG sur le marché euro cette année à 200 pb. Tant l’expansion que la force actuelle du marché sèment les graines de leur propre destruction.»
La force de l’ajustement dépendra de la réaction de banques centrales qui semblent vouloir accentuer leur lutte contre l’inflation.
Volatilité élevée
Si les bonnes surprises économiques, et les fondamentaux positifs des entreprises (marges élevées et levier en baisse) ont pu soutenir encore la classe d’actifs ces dernières semaines, l’ajustement sur les taux des banques centrales limite désormais clairement le potentiel de resserrement des spreads.
Un taux terminal de la Banque centrale européenne à 4% est potentiellement négatif, indiquaient les stratégistes de Société Générale CIB dans leurs perspectives pour le deuxième trimestre publiées mi-février. Ce qu’anticipe désormais le marché. «Le 13 octobre 2022 a marqué le pic des spreads IG euro à près de 230 pb. Ils sont aujourd’hui sensiblement plus serrés. Les marchés du crédit devaient refléter un changement de régime», notent les stratégistes de Bank of America (BoA).
A 4%, les taux de la BCE atteindraient un plus haut historique à un moment où le potentiel de croissance est faible, poursuivent ces derniers pour qui le risque d’accident sur marché augmente car des taux plus élevés plus longtemps posent d’abord un risque d’éviction de ce marché et ensuite un risque pour la rentabilité des entreprises les plus endettées.
Tant que les anticipations du marché sur les taux ne se seront pas stabilisées, la volatilité sur les taux restera élevée et avec elle l’évolution des spreads de crédit qui y sont très corrélés. En 2022, les entreprises notées CCC, les obligations hybrides et les dettes financières HY ont ainsi été les plus touchées sur ce marché.
Les stratégistes de BoA notent par ailleurs qu’une autre des leçons de la correction de 2022 sur le crédit a été que les flux vers la classe d’actifs étaient directement liés à la performance. «Nous voyons un risque d’affaiblissement des flux de crédit à terme, ce qui pourrait empêcher le marché de performer», affirment ces derniers. Les stratégistes de JPMorgan estiment également que les investisseurs, notamment retail, pourraient arbitrer en faveur du cash qui pourrait offrir 4% dans les prochains mois. Un investisseur n’ayant aucune contrainte pour détenir de la duration longue peut s’interroger sur l’intérêt d’investir dans des obligations d’entreprises offrant 4,4% par rapport à du cash sans risque.
A lire aussi: La volatilité des marchés rattrape le primaire corporate
Signes d’engorgement
Le marché du crédit sera dominé par ces facteurs techniques. A cette baisse de la demande, les stratégistes de JPMorgan craignent aussi l’impact négatif d’un marché primaire toujours actif, comme cette semaine.
Les signes d’un engorgement sont même déjà visibles avec des carnets d’ordres en baisse et des primes d’émissions plus conséquentes, comme dans le cas de BASF la semaine passée. Le retrait progressif de la Banque centrale européenne (BCE) du marché ajoutant à cette tendance négative.
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