
L’Autorité bancaire veut s’attaquer aux fraudes liées aux dividendes

Deux ans après l'éclatement des scandales liés aux dividendes «cum-cum» et «cum-ex», l’Autorité bancaire européenne (EBA), qui avait été mandatée en novembre 2018 par le Parlement européen pour enquêter sur le sujet, a rendu sa copie sur les arbitrages de dividendes. A l’époque, un consortium de 19 médias européens avait révélé ces montages litigieux ou frauduleux découverts en 2012 en Allemagne, et qui ont pris ensuite une ampleur européenne au point de léser d’au moins 55 milliards d’euros d’impôts une dizaine de pays de l’Union européenne (UE) en quinze ans.
La pratique considérée comme frauduleuse par les autorités fiscales allemandes («cum-ex») consistait à acheter puis revendre des actions autour du jour de versement du dividende, vite en jouant sur les dates de valeurs/de propriété et les mécanismes de prélèvement et de gestion des certificats de crédit d’impôt, de telle sorte que des investisseurs pouvaient revendiquer plusieurs fois le même crédit d’impôt. En effet, certains pays permettent aux investisseurs étrangers de se faire rembourser la taxe sur les dividendes prélevée à la source. Entre 2007 et 2012, faute de systèmes performants de traçabilité des titres et des flux, l’Allemagne aurait ainsi perdu plus de 7 milliards d’euros d’impôts. Après les enquêtes fiscales menées en 2011, les opérateurs auraient délocalisé ces pratiques dans les pays voisins, avant d’être repris par la Justice, qui en a poursuivi une dizaine en Allemagne en 2018, dont la Société Générale qui a fait appel.
Les optimisations «cum-cum» représenteraient cependant le gros de la facture: elles consistent à jouer sur la fiscalité différenciée entre investisseurs nationaux et étrangers, en transférant la propriété juridique des actions quelques jours avant de percevoir les dividendes – via une cession avec un instrument de couverture ou un prêt de titres – à une contrepartie capable de recevoir le dividende sans que celui-ci ne soit réduit d’une retenue à la source. Ces opérations généralement complexes sont plus ou moins répréhensibles juridiquement selon la structure du transfert et de la commission. Très courantes il y a encore cinq ans dans les grandes banques et sociétés de gestion européennes – l’Autorité des marchés (Esma) doit également rendre des conclusions sur le sujet –, elles le seraient désormais moins, notamment en Allemagne (depuis 2016) et en France (depuis 2018) où des lois les auraient limitées. «Dans l’Hexagone, suite aux ‘cum-ex files’, le législateur a introduit une mesure spécifique à l’article 119 bis A du CGI en imposant que la contrepartie française d’une opération de cession temporaire ou similaire qui restitue le titre avec le coupon reçu soumette les versements ainsi opérés à une retenue à la source», note Cyril Boussion, associé fiscaliste du cabinet Linklaters.
Absence de coordination
Après son enquête, l’EBA, qui est chargée depuis janvier de coordonner les politiques européennes de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT), conclut que ces «systèmes d’arbitrage sur les dividendes» ont été permis par d’importantes différences de régimes fiscaux et d’appréciation des autorités nationales entre les Etats-membres, également pour des questions d’attractivité vis-à-vis des investisseurs étrangers. Huit superviseurs LCB-FT interrogés ont confirmé que les montages «cum-ex» étaient bien des délits au sens de l’article 3 de la directive anti-blanchiment, quand un a suggéré le contraire! Les autres ont indiqué que les arbitrages sur dividendes – sans distinction entre «cum-ex» et «cum-cum» – n'étaient pas strictement des délits au regard de leur droit national, mais pouvaient être requalifiés comme tels via la jurisprudence. «Les arbitrages sur dividendes ne sont pas possibles dans certaines juridictions et, lorsqu’ils le sont, ils ne sont pas toujours traités comme des délits fiscaux», note l’Autorité. Elle relève que, même si ces montages «portent atteinte à l’intégrité du système financier» de l’UE, «les superviseurs LCB-FT n’ont pris aucune mesure spécifique» du fait d’affaires pénales en cours, et que les superviseurs prudentiels, dont neuf indiquent avoir eu peu de données sur les enquêtes fiscales, ont peu considéré les risques pour la gestion des banques concernées.
Tentant de pallier «un manque de coordination» évident entre Etats et entre autorités, l’EBA demande aux superviseurs LCB-FT d’améliorer l’échange avec les autorités fiscales, et aux superviseurs prudentiels et aux institutions financières d’adopter «une vision plus globale des risques». Son plan d’action est détaillé en dix mesures: des amendements à venir dans ses Guidelines (gouvernance, évaluation du management, évaluation prudentielle SREP, supervision et risques LCB-FT), des évaluations des améliorations au travers de ses rapports (convergence de la surveillance, règles LCB-FT, collèges LCB-FT des banques), des réponses à sa consultation en cours sur les risques LCB-FT et d’une enquête formelle sur les mesures spécifiques prises par les institutions financières et les autorités.
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Munich - Acheter une voiture chinoise sur les Terres de Volkswagen, BMW et Mercedes? «Et pourquoi pas?», sourit la designeuse allemande Tayo Osobu, 59 ans, déambulant dans la vieille ville de Munich, devenue vitrine géante du salon automobile. Venue de Francfort, elle découvre les plus de 700 exposants, dont 14 constructeurs chinois contre 10 européens, qui tentent de séduire le public avec des modèles high-tech dans toutes les gammes de prix. Sur la Ludwigstrasse, deux mondes se font face. D’un côté, le géant chinois BYD, dont les ventes en Europe ont bondi de 250% au premier semestre, expose ses modèles phares, dont l’un, une citadine électrique, se vend à partir de 20.000 euros. De l’autre, Volkswagen, numéro 1 européen en crise, tente de défendre son territoire malgré la chute des livraisons et un plan social historique. Tayo est impressionnée par les finitions des coutures à l’intérieur d’une voiture BYD. Sur la sécurité, aucun doute: «si elles sont vendues ici, c’est qu’elles respectent les normes européennes», répond-t-elle sans hésiter. Qualité au «même niveau» Les marques chinoises maîtrisent une grande partie de leur chaîne de valeur, des batteries électriques aux logiciels embarqués. De plus, elles bénéficient d’une main d'œuvre moins chère et d’économies d'échelle grâce au marché chinois gigantesque. Et fini la réputation de la mauvaise qualité. «Ce qui a changé en cinq ans, c’est qu'à prix inférieur, les Chinois sont désormais au même niveau sur la technologie et la qualité à bien des égards», résume l’expert du secteur Stefan Bratzel. Pour contenir cette offensive, la Commission européenne a ajouté l’an dernier une surtaxe pouvant atteindre 35% sur certaines marques chinoises, en plus des 10% de droits de douane existants. Objectifs visés: protéger l’emploi sur le Vieux continent, limiter la dépendance technologique et préserver l’image des constructeurs européens. Mais BYD contournera bientôt la mesure: sa première usine européenne en Hongrie doit démarrer sa production dès cet hiver. Il est encore «trop tôt» pour parler d’invasion, estime M. Bratzel. Les marques chinoises doivent encore établir «une relation de confiance» avec le public européen, développer des réseaux de concessionnaires et de service après-vente, explique-t-il. Des acheteurs potentiels le disent aussi: «Si on conduit une voiture chinoise, dans quel garage va-t-on en cas de problème?», s’interroge Pamina Lohrmann, allemande de 22 ans, devant le stand Volkswagen où est exposé un ancien modèle de l’iconique Polo. «J’ai grandi avec les marques allemandes, elles me parlent plus», confie cette jeune propriétaire d’une Opel décapotable, dont la famille roule plutôt en «BMW, Porsche ou Mercedes». «Image de marque» L’image des véhicules reste un point faible, mais déjà une certaine clientèle, jeune et technophile, se montre plus ouverte. Cette dernière est convoitée par la marque premium XPeng, lancée en Chine en 2014 : «Nous visons la première vague d’enthousiastes de la technologie», explique son président Brian Gu sur le salon. Loin de baisser les bras, les constructeurs allemands continuent de «renforcer leur image de marque européenne» avec «un héritage» échappant encore aux entrants chinois, explique Matthias Schmidt, un autre expert. Volkswagen a ainsi rebaptisé son futur modèle électrique d’entrée de gamme «ID.Polo», attendu en 2026 autour de 25.000 euros, pour capitaliser sur la notoriété de sa citadine. Et les Européens imitent les Chinois sur l’intégration du numérique, comme le nouveau système d’affichage par projecteur de BMW, et dans la course à la recharge rapide. Ils adoptent aussi les batteries lithium-fer-phosphate (LFP), moins coûteuses, et intègrent de plus en plus de pièces standards chinoises, afin de réduire les coûts et de combler l'écart technologique, note M. Schmidt. «Ce qui compte, c’est que les fonctionnalités et le prix soient convaincants», note Martin Koppenborg, consultant automobile de 65 ans, bravant la pluie sur un stand de BYD, visiblement séduit. Léa PERNELLE © Agence France-Presse