La réforme du marché carbone fait tousser l’Europe

Le Parlement européen a rejeté, mercredi, le projet de réforme du marché des droits à polluer, point névralgique de la transition énergétique.
Alexandre Garabedian
Carbone émission quota CO2 MSR
Le compromis retoqué prévoyait une suppression complète des quotas gratuits dès 2030.  -  Adobe stock

Ce devait être un vote historique, c’est un ratage retentissant. Les parlementaires européens ont rejeté, mercredi 8 juin, à la surprise générale le volet financier du paquet climat «Fit for 55», qui devait porter les ambitions de l’Europe en matière de transition énergétique, dans la droite ligne du Pacte vert de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Par 340 voix contre, 265 pour et 34 abstentions, les textes qui réformaient le marché des droits à polluer, instituaient une taxe carbone et créaient un fonds social climat destiné à amortir le coût de la transition climatique pour la population ont été retoqués. Ils sont renvoyés de ce fait devant la commission Environnement (Envi) du Parlement européen.

Une fois encore, la réforme du marché carbone a cristallisé les oppositions entre partisans d’une transition la plus rapide possible et défenseurs des intérêts industriels. Depuis plusieurs mois, le sort des permis à polluer gratuits dont bénéficient les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale déchaîne les passions chez les eurodéputés. L’Europe s’est promis d’éliminer progressivement tous les quotas gratuits des industries – sidérurgie, engrais, ciment, électricité… – couvertes par le futur mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Ce dernier, assimilé à une taxe, permet de renchérir le coût des produits importés de pays moins regardants sur l’empreinte carbone de leurs produits. Et donc d’éviter que l’Europe ne se tire une balle dans le pied en provoquant des délocalisations.

2030, 2034, 2036… une date butoir mouvante

Le compromis trouvé en commission Environnement, poussé par son président, l’eurodéputé Pascal Canfin, prévoyait une suppression complète des quotas gratuits dès 2030. D’ultimes amendements trouvés entre le Parti populaire européen (PPE, droite) et Renew (centristes et libéraux) ont affadi le projet. Dans le texte soumis au vote en plénière, l’offensive de certains lobbys, comme celui de l’acier, gros bénéficiaire du système actuel, a finalement placé le curseur à 2034, avec un début du retrait en 2028. Un chiffon rouge pour la majorité des eurodéputés, verts en tête, qui ont rejeté cet arbitrage.

Le ver est dans le fruit depuis la création du marché européen des quotas de CO2 (ETS, emission trading scheme). Pendant des années, le marché a été rendu inopérant car l’Union européenne avait accordé beaucoup trop de quotas gratuits aux industriels, qui n’avaient donc aucune incitation financière à réduire leur empreinte carbone. Une partie de ce stock a, depuis, été épongée. En portant, fin 2020, de 40% à 55% son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2030, l’Union européenne a aussi renforcé le signal-prix envoyé par le marché du carbone. Le quota se négocie désormais au comptant autour de 80 euros la tonne de CO2, contre moins de 35 euros début 2021 : plus le prix est élevé, plus les pollueurs sont poussés à verdir leurs produits.

Un nouveau compromis d’ici au 23 juin ?

D’autres textes composant Fit for 55, comme l’interdiction à la vente des véhicules à moteur thermique en 2035, sont passés mercredi. Pour le volet financier, les prochains jours donneront aux lobbyistes de tout poil l’occasion d’affûter leurs armes. «Après l’échec aujourd’hui de la réforme du marché du carbone au Parlement européen, nous nous donnons quinze jours pour parvenir à un accord et voter cette réforme essentielle pour le climat le 23 juin», a indiqué Pascal Canfin sur son compte Twitter mercredi soir.

L’Union européenne devra de toute façon attendre encore pour jouer les pionniers mondiaux de la transition climatique. Après le vote au Parlement viendra le temps du trilogue avec le Conseil de l’UE. Il faudra ensuite compter avec les grands partenaires commerciaux de l’Europe. La mise en œuvre du MACF, projet diplomatique, expose le continent à des représailles et à d’innombrables litiges devant l’Organisation mondiale du commerce.

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