
La fragilité des chaînes d’approvisionnement entrave la reprise

L’industrie a inopinément calé en Allemagne en avril. En cause, les goulets d’étranglement dans certaines chaînes d’approvisionnement qui empêchent ces entreprises de produire davantage alors que les carnets de commandes sont pleins. Le problème, dont l’origine est l’arrêt de la production pendant la crise sanitaire et le fort rebond de la demande mondiale à mesure de la réouverture des économies, est récurrent depuis plusieurs mois. Les enquêtes PMI manufacturier font régulièrement état d’allongements de délais de livraison partout dans le monde, traduisant ces ruptures d’approvisionnement.
Dans son enquête ESI (Economic sentiment indicator), la Commission européenne relève que la proportion d’entreprises (22,8%) affirmant que les ruptures d’approvisionnement sont le principal facteur de limitation de la production n’a jamais été aussi élevé depuis que cet indicateur existe (1985). De plus en plus de secteurs sont touchés mais les plus affectés sont ceux où les ruptures sont les plus criantes: producteurs de caoutchouc et de plastiques, équipements électriques, automobile, bois et fabricants d’appareils électroniques et d’ordinateurs composent ce top 5. «Une tempête s’est abattue sur les marchés du bois, du plastique et des semi-conducteurs, qui est malheureuse mais illustre aussi combien ces marchés sont tendus», notent Bert Colijn, économiste zone euro, et Joanna Konings, économiste commerce international chez ING.
Approvisionnement en semi-conducteurs
Les ruptures dans l’approvisionnement de semi-conducteurs, qui ont paralysé certaines productions automobiles, sont les plus emblématiques. Les mesures de restrictions prises par les autorités taïwanaises pour freiner une nouvelle vague de coronavirus aggravent le problème. Le pays, qui avait jusqu'à présent réussi à éviter une forte épidémie mais dont la stratégie vaccinale est quasi-inexistante, est le plus gros producteur mondial de semi-conducteurs. La découverte d’un cluster dans la plus grande unité du groupe King Yuan Electronics, qui teste et emballe les semi-conducteurs, l’obligeant à arrêter la production avant de la reprendre mais de façon limitée, complique encore la situation. Les perturbations risquent de durer.
«Ces problèmes ne sont pas inhabituels, note Ben May, économiste chez Oxford Economics. On les observe souvent dans les premières phases d’expansion mondiale. Toutefois cela semble plus extrême que d’habitude.» Les économistes d’ING anticipent une atténuation de ces difficultés au cours de cette année ou en début d’année prochaine, sauf pour les semi-conducteurs, car les marchés vont rester tendus. «Les contraintes de capacité risquent de retarder la mise en production et même quand la pleine capacité sera à nouveau rétablie il faudra livrer les clients et résorber la demande en attente», explique John Plassard, spécialiste en investissement chez Mirabaud.
Pas avant le deuxième trimestre 2022
L’institut Gartner estime que la pénurie de semi-conducteurs devrait durer toute cette année mais la production ne retrouvera des niveaux normaux qu’au deuxième trimestre 2022. Ce que confirme le taïwanais TSMC, le plus important fabricant mondial. Pour John Plassard, ces difficultés pourraient durer car la demande va rester importante, en raison notamment des besoins liés à la transition énergétique, notamment pour les véhicules électriques. «Fondamentalement, on ne reviendra pas à la situation pré-Covid, souligne ce dernier. La demande sera nettement plus importante.»
A court terme, l’autre inquiétude, au-delà de la capacité à produire, est le risque inflationniste provoqué par ces ruptures. Les goulets d’étranglement commencent à avoir un impact visible dans les indices de prix à la consommation d’avril et mai, selon Moody’s. «Nous nous attendons à ce que les données d’inflation fluctuent fortement au cours des prochains mois, avec les prix des matières premières, les goulets d'étranglement et la forte demande provoquant des mouvements imprévisibles dans les biens et services, soulignent les économistes de l’agence de notation. Cependant, la plupart de ces facteurs d’inflation sont transitoires.» Pour que l’inflation soit auto-entretenue, il faudrait une hausse parallèle des salaires.
Inflation durablement plus élevée
Bert Colijn et Joanna Konings constatent que par le passé, une fois que les pressions sur les chaînes d’approvisionnement se sont atténuées, les anticipations d’inflation se sont aussi normalisées. Mais le passé n’est sans doute pas un bon guide car la situation actuelle est inhabituelle. Les économistes d’ING relèvent que lors de l’épisode récent le plus semblable à une telle catastrophe, les anticipations d’inflation ont eu tendance à se maintenir plus élevées plus longtemps, un trimestre après le retour à la normale. Cela a été le cas en 2011 après le tsunami au Japon et les inondations en Thaïlande.
La croissance du PIB sera également affectée par ces difficultés. «Nous constatons toujours une forte croissance liée à la réouverture des économies, même si la croissance aurait pu être encore plus forte dans certains secteurs sans les pénuries d’approvisionnement», affirme Ben May. «Les capacités de production ne tournent pas à plein régime à cause du manque de composants, ce qui affecte la productivité», relève pour sa part John Plassard. Si les ruptures d’approvisionnement étaient étendues à l’ensemble des produits finis, cela aurait un impact de 0,4 point sur la croissance mondiale.
Plus d'articles du même thème
-
La zone euro se dirige vers la récession
Les indices PMI préliminaires montrent une activité toujours à la traîne dans le secteur privé, avec une nette détérioration en France. -
Le projet de mesures d’aide aux PME de Bruxelles demande à être précisé
Le « SME relief package » comporte des mesures disparates. Leur portée sera liée à leur mise en application. -
La banque centrale suisse confirme les particularismes du pays
Contre toute attente, la BNS a maintenu son taux directeur à 1,75% et pourrait arrêter son resserrement si l’inflation ne remontait pas trop au-dessus du niveau actuel de... 1,6%.
Sujets d'actualité
- Société Générale : le mythe têtu de la «création de valeur»
- La Société Générale dévoile des ambitions décevantes pour 2026
- Après les années Oudéa, Slawomir Krupa met la Société Générale au régime sec
- L’ancien patron de la Bred, Olivier Klein, arrive chez Lazard
- La zone euro se dirige vers la récession
Contenu de nos partenaires
-
Exclusif
Séisme au Maroc: dans les coulisses du jour le plus long de Mohammed VI
L'Opinion a reconstitué les premières heures post sinistre du roi du Maroc pour répondre à la catastrophe naturelle la plus mortelle de son règne -
Spécial Pologne
« Les Russes veulent revenir » - la tribune d'Eryk Mistewicz
« Il y a 30 ans, le dernier soldat soviétique a quitté la Pologne. À en croire les idéologues de Poutine, les Russes aimeraient aujourd'hui retourner en Pologne et dans toute l'Europe centrale. Nous faisons tout, nous, Polonais et Ukrainiens, Français aussi, tous en Europe et aux États-Unis, pour les en empêcher », explique le président de l'Instytut Nowych Mediówryk. -
Editorial
Antonio Guterres, le prophète de malheur qui ne fait peur à personne
Le Secrétaire Général de l’Onu va crescendo dans les prévisions apocalyptiques