
La fièvre des Spac retombe

La période estivale n’est évidemment pas propice à ce genre d’opération. Mais depuis quelques semaines, la température a fortement chuté sur le marché des Spac (Special Purpose Acquisition Company), des sociétés sans aucune activité qui se cotent en Bourse pour lever des fonds en vue d’acheter une entreprise par la suite.
Au deuxième trimestre 2021, selon les chiffres de Dealogic, les cotations de Spac ont représenté 22% du total des introductions en Bourse aux Etats-Unis, contre 67% au premier trimestre. Le montant levé par ces Spac est passé de 81 milliards d’euros en début d’année à seulement 11,2 milliards entre avril et juin.
En Europe, la vague reste sur une pente ascendante, alors que le phénomène des Spac s’était matérialisé plus tardivement qu’aux Etats-Unis : les sociétés dites «chèque en blanc» ont représenté 15% des cotations au deuxième trimestre, deux fois plus qu’entre janvier et mars. Mais les montants levés sont sans commune mesure par rapport aux chiffres américains, avec à peine plus de 3 milliards d’euros au deuxième trimestre et 1,5 milliard au premier. Quelques projets ont été annoncés cet été, comme celui de la famille Pinault avec l’appui de Matthieu Pigasse qui compte déjà deux Spac à son actif (Mediawan et 2MX Organic).
Préoccupations des régulateurs
«Les analystes du marché indiquent que ce ralentissement est lié à une plus grande surveillance réglementaire de la part des autorités américaines», avançait récemment l’Association européenne des marchés financiers (Afme) dans son rapport semestriel sur les opérations financières.
La Securities and exchange commission (SEC), le gendarme américain des marchés financiers, a sévi pour la première fois, le 13 juillet, contre un Spac, Stable Road, et la cible qu’il se propose de racheter, le fabricant de propulseurs Momentus. Le gendarme boursier a sanctionné les deux sociétés pour avoir menti aux investisseurs en amont de l’assemblée générale qui doit approuver en août le projet de fusion. Ce cas «illustre les risques inhérents aux transactions des Spac, car ceux qui ont l’intention de tirer des profits importants d’une telle opération peuvent effectuer une ‘due diligence’ inadéquate et tromper les investisseurs», avait déclaré dans un communiqué le président de la SEC, Gary Gensler.
La SEC n’est pas le seul régulateur à s’inquiéter des risques soulevés par les Spac pour les investisseurs, notamment lors de la concrétisation de la première acquisition, opération qui permet aux promoteurs de la coquille vide de valoriser leurs actions dans la société. «Les transactions peuvent ne pas être appropriées pour tous les investisseurs en raison des risques liés à la dilution, aux conflits d’intérêts liés aux incitations des sponsors, et à l’incertitude quant à l’identification et à l'évaluation de la société cible», s’était publiquement inquiétée en juillet l’Autorité européenne des marchés financiers (European Securities and Markets Authority, Esma).
Iosco, l’organisation qui regroupe les régulateurs de marchés boursiers à l’échelle mondiale, a commencé cet été à se pencher sur les Spac et les problèmes potentiels de réglementation qu’ils soulèvent. Si le régulateur britannique (Financial Conduct Authority, FCA) fait partie d’Iosco, il a toutefois assoupli cet été les règles imposées aux Spac pour combler le déficit d’attractivité de la Bourse de Londres pour ce type de sociétés.
Réticences des investisseurs
Les investisseurs eux-mêmes se montrent de plus en plus réticents envers les Spac, avec le sentiment que nombre de ces opérations servent prioritairement les intérêts des promoteurs de la société. Plusieurs opérations ont échoué, certains Spac n’ayant pas réussi à convaincre leurs investisseurs de soutenir l’acquisition proposée. Pire, les contentieux sont en train de monter. Selon les données du courtier en assurances et cabinet de conseil Woodruff Sawyer, les actions en justice intentées aux Etats-Unis par des actionnaires contre des Spac après la fusion avec une entreprise sont déjà trois fois supérieures (15 cas au premier semestre 2021) au nombre de dossiers recensés sur tout 2020.
Depuis le début de la semaine, Bill Ackman, le gérant du hedge fund Pershing Square, a affaire avec des investisseurs de son Spac Pershing Square Tontine Holdings, celui qui devait acheter une part du capital d’Universal Music Group à Vivendi avant que l’opération ne soit annulée en juillet. La part de 7,1% a finalement été acquise par Pershing Square en personne.
En voulant acheter une part minoritaire, et non en fusionnant avec une entreprise comme c’est normalement le cas, le Spac de Bill Ackman - le plus grand jamais créé - se serait comporté comme une société d’investissement et non comme un Spac, estiment les plaignants. Il ne pouvait donc pas, selon eux, s’exempter de l’obligation d’enregistrement auprès de la SEC accordée aux Spac. «Nous pensons que ce litige est totalement dénué de fondement», s’est défendu Bill Ackman dans un communiqué.
Une action en justice a été déposée mardi devant le tribunal fédéral de New York par l’un des investisseurs du Spac.
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