
Intégrer les plans de transition au Pilier 2

Julie Evain, cheffe de projet finance, I4CE (Institute for Climate Economics)
En tant que financeurs principaux de l’économie française et européenne, les banques jouent un rôle essentiel dans le financement de la lutte contre le changement climatique. Pour accélérer leur mutation et prévenir les risques climatiques, plusieurs réformes de la réglementation prudentielle sont actuellement en débat. Afin de nourrir ces réflexions, I4CE a publié récemment des études sur deux des réformes sur la table : celle des exigences prudentielles et l’obligation pour les banques de publier des plans de transition. Que faut-il en retenir ?
Les exigences prudentielles ont pour but de protéger la stabilité financière, en obligeant les banques à provisionner des réserves pour faire face à différents risques. Deux visions s’opposent sur le climat, entre les partisans d’un Green Supporting Factor (GSF) et ceux d’un Penalising Factor (PF). Les premiers, principalement issus de la sphère bancaire, plaident que les actifs « verts » sont moins risqués, ce qui justifierait un allègement prudentiel. Les seconds, à savoir les régulateurs et chercheurs, mettent en avant que le différentiel de risque entre actifs verts et actifs normaux n’est pas démontré, mais que, en revanche, les activités pénalisantes – énergies fossiles, aéronautique, automobile thermique, etc. – sont plus exposées aux risques de transition. Cet argument est la base théorique pour pénaliser des activités carbo-intensives avec un PF.
Au-delà des débats sur l’existence d’un différentiel de risques, se pose l’enjeu plus politique de savoir si ces instruments seraient pertinents pour accroître la contribution des banques au financement de la transition. C’est sur ce point que l’étude d’I4CE apporte de nouveaux résultats. Elle détermine quels seraient les impacts d’un GSF ou d’un PF sur le financement des projets, sur la rentabilité interne des banques et sur la croissance ou la contraction du crédit. A partir d’une modélisation quantitative, l’ensemble de la chaîne d’impact a été retracée depuis une modification des règles prudentielles jusqu’au financement d’un projet.
Il en ressort que les effets d’un GSF – même fort –sont trop faibles pour déclencher de nouveaux projets sur l’ensemble des secteurs de la transition. Un GSF ne permet pas non plus d’augmenter significativement le volume des crédits verts. S’agissant du PF, il devrait être à la fois fort et s’appliquer à un périmètre restreint pour accélérer la sortie programmée de certaines activités fossiles, tout en limitant les effets de contraction de l’ensemble des crédits. Un PF plus large peut avoir des impacts négatifs sur la transition.
Les exigences de capital sont donc peut-être une réponse à une problématique de risques mais, à l’exception de certains cas précis, leur impact sur le financement de la transition est limité. Face à ce constat, I4CE s’est intéressé à une autre proposition qui fait de plus en plus parler : les plans de transition et leur intégration au sein du Pilier 2.
Avant d’évoquer cette proposition, revenons sur son origine. Plusieurs travaux récents montrent les risques auxquels sont exposées les banques en cas de transition désordonnée ou retardée. Le meilleur moyen de les circonscrire et de favoriser la mise en œuvre d’une transition ordonnée, dès maintenant, et les superviseurs ont un rôle à jouer.
Leurs initiatives existantes ont porté sur la transparence et sur les stress tests climatiques. Ces avancées sont importantes mais elles n’ont pas permis d’impulser une réelle évolution des pratiques bancaires. D’où l’idée d’un renforcement à opérer au sein du Pilier 2 et du Processus de surveillance et d’évaluation prudentielle (SREP), grâce aux plans de transition des banques.
Les modalités d’un plan de transition bancaire restent encore à définir. Selon I4CE, trois dimensions sont essentielles et doivent être définies dans la réglementation : le contenu des plans de transition, le périmètre d’application et les procédures de mise en œuvre interne. En cas de non-conformité, les superviseurs disposent d’une large palette d’actions qu’ils pourraient utiliser graduellement : actions en matière de formation, de gouvernance, de gestion des risques, de rémunération, limites de concentration dans certains secteurs, etc. Si ces actions se révélaient être insuffisantes, les superviseurs pourraient également imposer des exigences supplémentaires de fonds propres.
Le paquet bancaire prévoit de rendre les plans de transition obligatoires. Mais les formulations doivent encore être précisées et complétées par des textes de niveau 2 définissant le contenu, le périmètre d’application et la gouvernance des plans de transition. Enfin, l’Autorité bancaire européenne (EBA) ne doit pas être la seule institution en charge, mais elle doit être accompagnée par des agences environnementales ou par l’European Financial Reporting Advisory Group (Efrag). Pour opérationnaliser cette proposition, il faut aussi aborder les questions de clarification du mandat des superviseurs, de la certification des plans et les enjeux de ressources humaines chez les superviseurs.
En conclusion, pour assurer la mise en œuvre d’une transition ordonnée, la combinaison d’un Penalising Factor restreint et l’intégration des plans de transition dans le SREP apparaissent comme des outils opportuns.
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