Emmanuel Lincot : «La volte-face de la Chine consacre la fin de sa vision stratégique»

Emmanuel Lincot, professeur à l’Institut catholique de Paris et chercheur-associé à l’Iris, analyse les changements de politique sanitaire et économique annoncés par Pékin ces dernières semaines.
Corentin Chappron
Emmanuel Lincot, professeur à l'Institut Catholique de Paris et Chercheur-associé à l'Iris
Professeur à l'ICP et chercheur-associé à l'Iris, Emmanuel Lincot est notamment l'auteur de «Chine et terres d'islam : un millénaire de géopolitique» (éd. PUF).  - 

L’Agefi : La Chine semble avoir fait volte-face sur nombre de points essentiels : la politique sanitaire, assouplie en décembre dernier, la politique économique, puisque les cycles de régulation du secteur internet et du secteur immobilier semblent toucher à leur fin... Comment comprendre ces revirements ?

Emmanuel Lincot : De fait, ces changements ont été brutaux et imprévus : il n’y a pas eu de déclarations ni de travaux préparatoires qui auraient pu permettre de les anticiper. Plusieurs éléments ont précipité la décision : le besoin de remettre l’économie en marche, d’abord, et de renouer le contrat social chinois - croissance économique et enrichissement en échange d’un système non démocratique - d’autant que le Covid a été un révélateur d’inégalités persistantes. 600 millions de personnes sont encore sous le seuil de pauvreté. Les manifestations de Shanghai, durant lesquelles des milliers de personnes ont appelé à la démission de Xi Jinping, ont aussi donné au régime l’ampleur de l’opposition à sa politique sanitaire. Enfin, paradoxalement, le choix d’assouplir la politique sanitaire pourrait jouer en faveur de Xi. L’impact humain de l’épidémie pourrait à terme faire passer le dirigeant comme soucieux de sa population, ayant accepté de sacrifier l’économie chinoise pendant deux ans pour la protéger.

Et sur l’aspect diplomatique ? Les «loups combattants» semblent avoir adopté un discours plus conciliant ces dernières semaines.

La politique étrangère chinoise reste une politique de duplicité. Sur les dossiers importants, dont Taïwan et la rivalité stratégique avec les Etats-Unis, les objectifs chinois n’ont pas changé, même si le discours est plus policé. Dans ces volte-face, il faut en fait plutôt lire la fin de la vision stratégique chinoise. Le pays réagit désormais aux situations auxquelles il fait face tactiquement plutôt que dans une optique de long terme, sur laquelle il a perdu la main.

Ces changements brusques sont-ils aussi le reflet de tensions en interne ? Il semblait qu’après le XXe Congrès, Xi Jinping s’était entouré d’idéologues, au risque de poursuivre dogmatiquement certaines politiques.

L’idéologie n’est pas dénuée d’importance : Wang Huning, principal idéologue chinois, s’est ainsi vu confirmer sa place au Politburo (où il siège depuis 2002, ndlr). Des dissensions entre pro et anti-Russes, par exemple, ont ainsi pu faire évoluer la position de Xi Jinping, qui a nettement tempéré son soutien à Vladimir Poutine. Mais la politique chinoise est constituée de rivalités claniques, bien plus qu’idéologiques. Le XXe Congrès a surtout permis à Xi de rappeler qu’il était désormais le seul maître à bord. Rappelons au passage que Hu Jintao, pour ouverte qu’ait été sa politique économique, n’appliquait certainement pas une politique intérieure libérale. Il est aussi difficile pour Xi d’abandonner clairement certaines de ses politiques : la «prospérité commune», les nouvelles routes de la Soie, ont pourtant été mises en sourdine.

Qu’attendre du prochain gouvernement, qui sera dévoilé début mars ?

Le Politburo a donné des indications sur les futures orientations politiques, mais l’échéance de mars est importante et pourrait encore surprendre. La visite française en Chine, prévue pour avril, parait à ce titre un peu précipitée.

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