
Credit Suisse a fait basculer le marché des dettes subordonnées AT1

En privilégiant, lors du rachat de Credit Suisse par UBS, les actionnaires aux détenteurs d’obligations subordonnées Additional Tier 1 (AT1), la Suisse a inversé la hiérarchie normale des «créanciers». Elle a ainsi mis en risque les dettes AT1, pour lesquelles une quinzaine de remboursements anticipés (call), normalement conditionnés à des refinancements - étaient attendus cette année.
Ces dettes contingentes (CoCos) sont convertibles en capital ou amortissables quand les fonds propres de base (CET1) d’une banque descendent au-dessous d’un certain seuil (5,125% ou 7%). Elles ont été créées post-2008 pour protéger les créanciers seniors, en participant au renforcement des fonds propres CET1 avec un coussin «supplémentaire». En tant que quasi-capital, elles sont perpétuelles, mais avec une date de remboursement par anticipation (call) la plupart du temps respectée.
Risque d’extension maximum ?
Depuis le 19 mars et le sauvetage de Credit Suisse, les AT1 payent aux nouveaux investisseurs une prime de risque bien plus élevée. Ceci pourrait compliquer le refinancement préalable à un «call» pour une banque qui souhaite conserver son niveau de fonds propres Tier 1 réglementaire et/ou remplir avec cet instrument l’exigence prudentielle minimale requise par le superviseur. Si un communiqué des régulateurs européens a pu valider l’idée que le privilège donné aux actionnaires était spécifique à la Suisse, les regards vont se tourner vers le nouveau groupe UBS. Celui-ci a remboursé à date une AT1 fin janvier (2 milliards de dollars, sans refinancement) et a un autre «call» fin novembre. Même surveillance pour Julius Bear, dont le prochain «call» est pour septembre 2024.
Hors de Suisse, Barclays et HSBC ont remboursé deux obligations AT1 mi-mars, refinancées par d’autres émissions, et auront chacun une autre échéance en septembre. Standard Chartered doit «caller» une AT1 début avril, UniCredit et Lloyds en juin, avant Caixa, BBVA et Santander en septembre, puis la Société Générale en octobre et décembre. «Une majorité des ‘call’ à venir ont déjà été préfinancés, ce qui donnera aux banques la possibilité de rembourser sans réémettre, comme dans le cas d’UBS», note Dillon Lancaster, gérant spécialisé chez 24AM (Vontobel).
L’univers des AT1 a en moyenne perdu 11% en euros et 20% en dollars en un mois. Leur rendement à date de «call» (yield-to-call de 18%) a eu tendance, pour les titres les moins pénalisés, à se réduire et à converger vers le rendement à perpétuité (yield-to-maturity de 9%) : cela traduit une plus faible probabilité de remboursement anticipé, faute pour l’émetteur de pouvoir les refinancer.
«On se retrouve dans une situation extrême, où le risque pour un nouvel investisseur qui entrerait dans ce marché devient asymétrique dans le sens où le ‘call’ devient une option gratuite, qui n’est plus intégrée dans les prix, explique Julien de Saussure, gérant-analyste spécialisé chez EdRAM. Si on ne croit pas à des problèmes de solvabilité dans les banques concernées, ou à la fin de ce marché, le ‘risque d’extension’ des AT1 actuellement à son maximum ne peut qu’apporter de bonnes surprises.»
Des tests pour UniCredit et Santander
C’est dans cette idée de rassurer les marchés que Deutsche Bank a remboursé une dette Tier 2 vendredi – au contraire de Deutsche Pandbriefbank AG sur une AT1 de 500 millions-, et qu’UniCredit devrait rembourser son AT1 en avril, même si ce n’est pas économiquement intéressant vu le coût pour émettre un autre titre. «Les superviseurs, qui doivent valider chaque remboursement de capital réglementaire, vont regarder les situations au cas par cas», note Jérôme Legras, directeur de la recherche chez Axiom AI. «Ils ont fait preuve d’une certaine flexibilité ces derniers temps en acceptant des solutions alternatives, ajoute Julien de Saussure. On peut imaginer qu’une récente autorisation donnée sur des rachats d’actions puisse être utilisée dans le cas de la banque italienne pour rembourser son AT1 sans la refinancer.»
Le problème pourrait être plus compliqué pour Santander, qui n’avait déjà pas remboursé une dette «CoCo» en 2019. Mais les marchés deviennent aussi plus complaisants quand la hausse des taux augmente les coupons servis après la date de remboursement anticipé. Les banques espagnoles offrent en outre des périodes de «call» plus fréquentes que les autres.
A lire aussi: Les créanciers bancaires digèrent le choc Credit Suisse
Les grandes banques européennes avaient globalement fait le plein d’AT1. Une situation extrême où les AT1 pourraient être reclassées en «capital permanent» sans remboursement accentuerait en revanche la fragmentation avec les plus petites banques européennes, qui n’auraient jamais pu avoir accès à ces émissions de «capital moins cher». Sauf à considérer ainsi que les AT1 ne sont plus utiles, «le marché devrait finir par se normaliser», relativise Jérôme Legras. «Même pour les banque suisses, qui devraient demander au régulateur de mieux encadrer les cas d’application de la clause de ‘viability event’ afin de retrouver accès à ce marché à terme», poursuit Julien de Saussure. Dans ce cas, «on peut même s’attendre à voir les banques réémettre des AT1 pour confirmer leur accès au marché même dans les moments difficiles, et même en payant davantage comme pendant le Covid», conclut Dillon Lancaster.

Plus d'articles Marchés obligataires
-
Avec Vitibanque, la Caisse d’Epargne chasse sur les terres du Crédit Agricole
L’Ecureuil s’inspire de la filière dédiée aux viticulteurs développée par la Caisse de Bourgogne Franche-Comté pour déployer le dispositif dans dix caisses régionales. -
L’association de conseillers financiers Anacofi risque une amende de 500.000 euros
L’Autorité des marchés financiers a adressé une liste de griefs à l'association. Même si elle devait payer l’amende, son existence ne serait pas remise en cause. -
Unicaja se met en quête d’un nouveau patron
Après deux ans de guerre interne, le numéro cinq bancaire espagnol a révoqué Manuel Menendez, son directeur général.
Sujets d'actualité
Contenu de nos partenaires
- Slawomir Krupa doit redorer le blason boursier de la Société Générale
- L’alliance mondiale des assureurs «net zéro» fait pschitt
- Arnaud Llinas (Amundi ETF): «80% de notre collecte du premier trimestre s’est faite sur les ETF ESG»
- Carrefour s’apprête à supprimer 1.000 postes dans ses sièges en France
- La succession d’Olivier Klein à la tête de la Bred se précise
- Casino obtient l’ouverture d’une procédure de conciliation avec ses créanciers
- La Société Générale présentera sa nouvelle feuille de route stratégique le 18 septembre
- Les gros dossiers de LBO attendent des jours meilleurs
- Sycomore AM relance la fronde sur la gouvernance d'Atos
-
Dialogue ?
L’Otan appelle à la désescalade dans le nord du Kosovo
Des affrontements ont eu lieu vendredi 26 mai entre la police kosovare et des Serbes du Kosovo qui ont tenté d'empêcher des maires albanais nouvellement élus de prendre leurs fonctions -
Colère sociale
Sous pression, le président serbe Aleksandar Vučić quitte la direction de son parti
Aleksandar Vučić a démissionné du Parti serbe du progrès après d'importantes manifestations contre son régime en réaction à deux fusillades de masse dans le pays au début du mois -
Responsabilité
Etats-Unis: Joe Biden et Kevin McCarthy ont trouvé un accord de principe sur le plafond de la dette
La rédaction du texte devrait être terminée dimanche et l'accord pourrait être voté mercredi. Il prévoirait le relèvement du plafond de la dette pour une durée de deux ans, en limitant les dépenses pendant cette période