
Sexisme dans la finance, briser l’omerta

Depuis l’affaire Weinstein, la parole des femmes sur le harcèlement sexuel et les attaques sexistes s’est libérée sur les réseaux sociaux avec les hashtags #balancetonporc et #metoo. Des salariées, des professionnelles de nombreux secteurs d’activité ont voulu briser le silence en livrant des milliers de témoignages sur ce sujet devenu très sensible, notamment dans le monde de l’entreprise. De nombreux secteurs – artistique, politique, médical, communication, médias, BTP... – sauf un, où les femmes sont beaucoup plus discrètes : celui de la finance. Une discrétion constatée en premier lieu dans les établissements financiers. En effet, à l’exception de quelques-uns, tous ceux que L’Agefi a sollicités pour cette enquête (la Société Générale, le groupe Crédit Agricole, sa banque de financement et d’investissement Crédit Agricole CIB, Natixis et JPMorgan France) ont décliné nos demandes d’entretien. Même posture à l’association Financi’Elles, la fédération des réseaux féminins et de promotion de la mixité dans la banque, la finance et l’assurance, dont une responsable argue que « le secteur est perçu comme favorable à la mixité globalement, donc nous n’avons rien sur le sexisme au travail ». « Il ne faut pas que ça sorte », explique, amère, une cadre de la finance qui n’est pas surprise de l’omerta qui règne dans son industrie.
Situations difficiles
Mais le climat actuel incite les femmes, statistiquement beaucoup plus touchées que les hommes par les attaques sexistes, à raconter leurs histoires. C’est le cas de Marie*, qui travaille au CIC. « J’ai fait face directement et indirectement à des comportements déplacés et de nature sexuelle, confie-t-elle. Un regard avancé sur le haut du corps, une remarque sur une nouvelle tenue, une collègue s’est vu toucher les fesses. Un jour où je me trouvais en réunion, dans une salle étroite où les chaises étaient rapprochées des murs, je me suis retrouvée coincée par la tête d’un homme reculé sur ma poitrine, avec cette remarque : ‘Je ne pensais pas qu’ils étaient si fermes’. J’ai été partagée entre le doute et la gifle, mais devant les 20 personnes qui se trouvaient là, j’ai choisi de ne pas relever et d’aller m’asseoir. » Depuis quelques mois, Laure*, quinquagénaire au caractère bien affirmé, a quitté le back-office du réseau d’agences du groupe Crédit Agricole où elle travaillait. « Depuis 2015, l’ambiance s’était dégradée. Un collègue proche de la cinquantaine nous donnait, à moi et mes collègues femmes, des surnoms animaliers. Un jour où j’avais fini mes tâches un peu plus tôt, il m’a demandé devant tout le monde d’aller laver sa voiture. C’est de la violence verbale, mais certains trouvent que c’est drôle. Je n’ai pas réagi de façon ‘officielle’ à ce comportement car j’avais peur que les relations s’enveniment encore plus. » Le sexisme au travail et ses différentes manifestations existent dans tous les métiers de la banque. Dans la banque de financement et d’investissement, où certaines activités emploient une grande majorité d’hommes, les femmes sont aussi confrontées à des situations difficiles. En poste dans la salle des marchés au Crédit Agricole CIB, Christine* est dans une équipe à dominante masculine. « Jusqu’à une période récente, je ne ressentais pas de sexisme, raconte-t-elle. A présent, si. Mes collègues ne parlent qu’entre eux, ne plaisantent qu’entre eux, ne boivent des cafés qu’entre eux, je ne suis jamais associée. Au point que lorsque d’autres collègues nous saluent, ils disent ‘Bonjour les gars’. Même le management emploie toujours le masculin... J’en ai parlé à une RH et à une manager, mais je ne suis pas entendue, rien ne change. La banque a d’ailleurs de plus en plus de mal à faire venir des femmes dans ses métiers de marché, elles ne veulent pas y travailler. » D’autres professionnelles adoptent une stratégie d’évitement. « Les remarques, il faut glisser dessus, soupire une cadre d’un fonds de capital-investissement. Il faut se forger une personnalité. Quand on est une jeune femme face à un dirigeant d’entreprise, c’est très compliqué. On représente l’actionnaire, il faut que le patron de l’entreprise nous écoute... » Certains cas sont particulièrement délicats et graves, comme cette salariée d’un grand établissement qui a dû quitter son service pour ne plus travailler avec un cadre dirigeant... qui, lui, a été maintenu à son poste. « Impunité totale et complète, oui, c’est ainsi !, s’emporte une financière. Mais le vent tourne car un mouvement interne va venir des jeunes générations qui ont une vision plus ‘agressive’ sur ces sujets. »
Sanctions
La culture de l’impunité pour les auteurs d’actes sexistes semble évoluer dans les entreprises. « Lorsque les faits sont avérés après enquête interne, nous avons plusieurs niveaux de sanctions : avertissement, blâme, licenciement, explique Frédéric Thoral, DRH de BNP Paribas Personal Finance, qui vient de lancer une campagne de communication externe sur le sexisme. Nous avons pu aller jusqu’au licenciement. » En amont, le problème est le signalement, par les victimes (ou leurs collègues), des faits et comportements de nature sexiste. Souvent désemparés, les salariés ne savent pas à qui s’adresser. « Au sein de mon équipe Diversité de quatre collaborateurs, nous avons créé une cellule qui peut recueillir les signalements de sexisme, harcèlement sexuel, etc., souligne Charlotte Girard, directrice culture, engagement et diversité d’Axa France qui précise compter « moins d’un signalement chaque année. Nos actions internes visent à ce que la parole des victimes de ces actes, mais aussi celles des collègues et des managers, se libèrent davantage. Chacun doit prendre conscience de la gravité de ces sujets afin d’agir et d’éviter qu’ils perdurent ». « Une fois le signalement effectué, nous apportons soutien et accompagnement à la victime. Nous avons un partenariat avec un cabinet de psychologues. Dans le même temps, une enquête interne est menée par les collaborateurs des services ‘déontologie’ et ‘sûreté’ qui sont formés à cela, poursuit la responsable d’Axa France. Ensuite, les sanctions sont appliquées en fonction de la gravité des actes. Je me souviens d’un cas où un manager a été licencié pour faute grave parce qu’il a eu un comportement inapproprié avec les femmes de son équipe. L’une d’entre elles s’était manifestée auprès de mon service. »
Le déferlement qui a suivi l’affaire Weinstein a poussé certains acteurs de la finance à réagir en interne. « Lorsque le débat sur le harcèlement a pris de l’ampleur, nous avons senti le besoin de communiquer à nouveau, déclare Barbara Levéel, responsable diversité et RSE RH du groupe BNP Paribas. Fin 2017, nous avons donc notamment mis en place deux formations en ‘e-learning’ pour tous les salariés sur le sexisme et le harcèlement sexuel, avec par exemple des cas concrets, les contacts internes chez BNP Paribas et le processus de remontée d’informations. La remontée d’informations peut se faire auprès des RH et du management, ma is aussi auprès de nos assistantes sociales ou nos médecins du travail ou les représentants du personnel. Il y a en outre un outil de lancement d’alerte anonyme. Les réseaux de collaborateurs font également partie du dispositif et jouent un rôle essentiel dans la promotion de l’égalité même si ce n’est pas un canal ‘officiel’ ». Quant aux sanctions, « il est important de ne pas donner le sentiment d’un climat d’impunité dans l’entreprise, ne pas donner l’impression que les personnes ne sont pas sanctionnées, précise Barbara Levéel. Toute remontée d’information donne lieu à une enquête. En 2017, 85 % des cas remontés de sexisme ou de harcèlement sexuel ont été considérés après enquête comme avérés et ont été sanctionnés au niveau de la SA. Les sanctions vont de l’avertissement jusqu’au licenciement ».
De son côté, Axa France veut sensibiliser ses managers. « Nous voulons responsabiliser les responsables hiérarchiques et avons diffusé en novembre 2017 une vidéo sur le thème ‘agir en cas de harcèlement sexuel’ à nos 1.700 managers, raconte Charlotte Girard. En mars prochain, nous allons lancer, pour nos 10.000 salariés, un ‘e-learning’ qui consistera en un QCM de 4 à 5 questions par jour sur la thématique de la diversité et de la prévention des discriminations, dont le sexisme ou harcèlement sexuel au travail. En fonction des réponses du collaborateur, l’outil s’ajuste pour compléter ou approfondir ses connaissances. » Reste à espérer que ces actions aident à briser l’épais mur du silence qui entoure ces sujets : une femme sur 5 est confrontée à une situation de harcèlement sexuel au cours de sa carrière, selon une étude Ifop de mars 2014 réalisée pour le Défenseur des droits, mais près de 30 % des victimes n’en parlent à personne, rappelle le site internet du secrétariat d’Etat chargé de l’Egalité entre les femmes et les hommes.
*Les prénoms ont été modifiés.
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