L’informatique quantique, sujet de veille stratégique pour les banques

Cette technologie promet de nombreuses opportunités au monde financier, notamment en simulation des risques et optimisation de portefeuille.
Eve Mennesson

Pour faire de la France un des acteurs majeurs de l’informatique quantique, le rapport Forteza préconise un investissement de 1,4 milliard d’euros. Une somme à la hauteur des horizons qu’ouvre cette technologie. « Alors que les ordinateurs traditionnels traitent l’information de manière binaire – 0 ou 1 –, les ordinateurs quantiques les traitent avec 0, 1 ou 0 et 1 en même temps. Ce qui permet des effets de superposition, d’intrication, d’interférence… », décrit Daniel Egger, chercheur en technologie quantique chez IBM. L’informatique quantique brise donc les frontières de l’informatique classique : « L’informatique quantique apporte notamment des accélérations phénoménales, de l’exhaustivité, une meilleure précision et un travail sur une masse de données qu’on ne sait pas gérer aujourd’hui », précise Paul Hiriart, associé-fondateur de QuantFi, start-up française qui recherche des solutions d’informatique quantique adaptées à la finance.

Dans le monde de la finance, de nombreuses pistes sont étudiées par les chercheurs, notamment en termes d’optimisation de portefeuille et de calculs de risques. Les simulations de type Monte Carlo, par exemple, seraient rendues plus efficaces par l’informatique quantique. « Elles ne dureraient que quelques minutes au lieu de 24 heures aujourd’hui », indique Daniel Egger. Concernant l’optimisation de portefeuille, cela permettrait d’étudier un plus grand nombre de paramètres.

Les horizons de l’informatique quantique semblent infinis : « Les ordinateurs quantiques permettent de traiter les données de manière différente pour trouver des corrélations qu’on ne pourrait pas obtenir avec un ordinateur classique », souligne Daniel Egger. Autrement dit, ce qu’un ordinateur classique ne peut pas faire, il est possible qu’un ordinateur quantique en soit capable. Marc Haddad, associé, PwC, imagine par exemple que l’informatique quantique créera des liens entre des domaines différents, au-delà de la seule finance, afin de résoudre des problèmes complexes. «  Nous savons de manière théorique que les ordinateurs quantiques seront capables d’inverser des matrices, ce qui peut être intéressant pour résoudre des équations aux dérivées partielles utilisées par la finance, décrit Philippe Duluc, chief technology officer d’Atos. Des équations de Black-Scholes, pour déterminer le prix d’options, devraient être résolues. » Mais il précise aussitôt que cela nécessitera des ordinateurs avec des milliers de qubits et corrections d’erreurs, ce qui ne verra pas le jour avant des dizaines d’années.

Avantage concurrentiel

Mais l’optimisation de portefeuille, utilisant des accélérateurs quantiques hybridés à des calculateurs classiques, se situe quant à elle dans un avenir plus proche. Atos, par exemple, a pris l’engagement de sortir un accélérateur quantique pour 2023. Pour Paul Hiriart, « des développements opérationnels sur des ordinateurs quantiques universels devraient voir le jour d’ici trois à cinq ans, avec des sauts technologiques brutaux ».

Ce futur proche de l’informatique quantique intéresse de nombreuses entreprises. Au rang desquelles des start-up. QuantFi, par exemple, est partenaire du réseau IBM Q et mène des recherches sur des ordinateurs quantiques expérimentaux dans trois domaines : les tendances (repérer les crashs et les bulles, le quantum machine learning, etc.), le management de portefeuille (optimisation, gestion des ordres, etc.) et le risk management (pricing, Value-at-Risk, détection de la fraude, etc). « Sur le ‘pricing’, par exemple, nous cherchons à trouver un langage décrivant les produits financiers de façon à être compris naturellement par les ordinateurs quantiques », décrit Paul Hiriart, associé-fondateur de QuantFi. Sur ce genre de projets, la start-up travaille avec les cellules innovation d’institutions financières.

Des établissements financiers (Barclays, JPMorgan…) font par ailleurs partie du réseau IBM Q pour réaliser des tests sur des ordinateurs quantiques. D’autres utilisent le simulateur d’Atos. Leur objectif : être prêts lorsque la technologie quantique sera opérationnelle afin de bénéficier d’un avantage concurrentiel. Est-ce à dire que les établissements français doivent suivre le mouvement ? Pour Marc Haddad, la réponse est oui : « Ce n’est pas de la science-fiction, les entreprises doivent s’y intéresser », pointe-t-il. Il invite à investir dans des start-up qui travaillent sur le sujet, mais aussi à réfléchir en interne à des cas métiers complexes que pourrait résoudre l’informatique quantique.

De nouveaux risques

Pour Philippe Nieuwbourg, spécialiste des données et formateur chez Orsys sur l’informatique quantique, s’il est risqué d’investir des millions dans une technologie encore incertaine, il faut a minima s’informer et se former. « Il peut être intéressant de mettre en place une cellule de veille stratégique », conseille-t-il. Olivier Ezratty, consultant et auteur dans le domaine des technologies numériques (il a notamment publié un ebook « Comprendre l’informatique quantique »), conseille quant à lui d’identifier en interne les personnes en mesure d’apprendre les premiers langages et algorithmes. « L’informatique quantique est très différente de la programmation classique, explique-t-il. Ces personnes pourront ensuite faire des tests sur des ordinateurs ou via des simulateurs. »

Cela est d’autant plus important qu’au-delà de l’avantage concurrentiel, l’informatique quantique apporte de nouveaux risques. Il est notamment avéré que les ordinateurs quantiques seront en mesure de casser les clés cryptographiques actuelles, et donc d’accéder à des données aujourd’hui rigoureusement cryptées. « Cette machine nécessitera 20 millions de qubits et nous en sommes aujourd’hui à 53. Il ne faut donc pas avoir trop peur, mais comprendre le phénomène pour pouvoir mettre en œuvre des solutions avant que ces ordinateurs apparaissent », indique Olivier Ezratty. Les risques et opportunités de l’informatique quantique méritent que l’on s’intéresse de près à cette technologie.

Un évènement L’AGEFI

Plus d'articles Banque

Contenu de nos partenaires

Les plus lus de
A lire sur ...