
L’expatriation entre en longue convalescence

Jamais simple, l’expatriation en temps de Covid-19 prend des allures de parcours du combattant. Responsable d’un département finance dans une banque européenne, Axelle a débarqué à Madrid avec mari et enfants à l’automne dernier : « La visite des logements s’est faite en trois jours au printemps 2020 juste après la levée des restrictions de déplacements, se souvient-elle, Impossible en revanche de visiter le futur établissement scolaire de mes enfants. » Accompagnée par la DRH locale sur les procédures administratives en vigueur en Espagne, la professionnelle doit très vite s’accoutumer à des pratiques de travail complexes pour tout nouvel arrivant en terre étrangère : « Depuis septembre, nous avons mis en place une semaine de travail en présentiel sur trois, explique-t-elle. Et depuis février, je me déplace également au bureau une fois lors des semaines qui ne me sont pas allouées : cela permet de voir davantage de membres de l’équipe. » Car neuf mois après son arrivée dans la capitale espagnole, Axelle n’a vu que le quart des effectifs : « Depuis mars, qui marque la levée des restrictions en terrasse, j’organise chaque semaine des rencontres avec cinq autres membres de l’équipe », détaille-t-elle.
Une année sans mouvements
Publiée en avril, la 2e édition de l’Observatoire de l’expatriation Banque Transatlantique met le doigt sur la singularité de cette année qui vient de s’écouler : à l’exception notable de l’Océanie, où la crise a été jugée relativement facile à vivre pour 63 % des personnes interrogées, 38 % des expatriés français ont vécu la situation sanitaire plutôt difficilement tandis que 10 % évoquent une période « très difficile ». « L’isolement, l’éloignement de la France sans pouvoir y rentrer, tout comme la maladie ont touché l’ensemble des expatriés tous secteurs confondus », estime Vincent Joulia, membre du comité exécutif en charge de l’international à la Banque Transatlantique. L’établissement, qui compte une dizaine d’implantations dans de grandes métropoles mondiales, n’a pas été épargné par la crise sanitaire. « Nous n’avons pas eu l’occasion de faire rentrer du personnel, souligne Vincent Joulia. Nous avons renouvelé les contrats d’expatriation au sens large, et notamment en Asie, mais nous n’avons envoyé personne à l’étranger : ce n’est pas une année de mouvements. »
BNP Paribas, qui compte 1.200 expatriés disséminés en Europe, en Asie-Pacifique et en Amérique du Nord, fait le même constat. « Compte tenu du contexte sanitaire, il y a eu un ralentissement des nouveaux départs à l’expatriation en 2020, confirme Céline Denys, responsable compensation and benefits au sein du groupe. Pour cette année, nous anticipons une reprise très modérée des départs. » La banque indique avoir mis en place des mesures spécifiques pour protéger la santé de ses collaborateurs et de leurs proches : « Nous avons également accompagné le retour des familles des collaborateurs dans leur pays d’origine si ceux-ci le souhaitaient », poursuit la responsable.
La gestion des mobilités internationales a parfois tourné au casse-tête juridique pour les entreprises. « Dans certaines circonstances, l’absence de visa a empêché le départ alors que le contrat était prêt, explique Raphaël Reiter, directeur général d’International Santé, un comparateur d’assurances pour expatriés. La question d’appliquer le salaire expatrié ou bien de s’en tenir au salaire précédent puisque le salarié télétravaille s’est posé. De façon générale, les entreprises se sont montrées conciliantes. »
Simultanéité déroutante
Du côté des expatriés, la pandémie est parfois venue aggraver une situation géopolitique complexe : les soulèvements à Hong Kong suite à l’imposition de la loi de sécurité nationale associés aux restrictions de mobilité ont fini par convaincre les plus motivés de quitter le pays : d’après un sondage réalisé par la Chambre américaine de Hong Kong en mai, qui compte dans ses rangs Citi, Citadel ou encore JPMorgan et Goldman Sachs, 40 % des expatriés américains projettent de quitter le territoire. « Traditionnellement très attractive pour les familles, Hong Kong est sans doute la ville dans laquelle nous avons perdu le plus de contrats d’expatriés français, confirme Raphaël Reiter. Le nombre de nouveaux arrivants a parallèlement été très faible. »
De l’autre côté de la Manche, le durcissement des conditions sanitaires dès novembre a fini d’épuiser des expatriés déjà affectés par l’interminable feuilleton du Brexit. « Nous avons vécu un grand huit émotionnel, explique Joseph, cadre dans une banque française dans la City. A plusieurs reprises depuis le référendum, il a été question d’un retour à Paris. Nous avons appris depuis peu que nous resterions finalement à Londres, mettant ainsi fin à une incertitude de plus de quatre ans ! Mais il faudra encore composer avec les vicissitudes politiques autour du Covid-19. » Pour d’autres encore, la modification de nouvelles bases fiscales a convaincu de la nécessité d’un retour au bercail : « La plupart des cadres londoniens s’expatrient pour raisons professionnelles mais le passage du Royaume-Uni au statut de pays tiers rebat singulièrement les cartes sur la fiscalité pour les expatriés français en matière de revenus fonciers de source française ou sur certains produits financiers contractés en France », explique Christèle Biganzoli, directeur général du site Ritchee.
De façon générale, les conditions d’expatriation se complexifient. « Les barrières à l’entrée dans certaines juridictions comme l’Asie ou les Etats-Unis ne cessent d’augmenter année après année, commente Vincent Joulia. Les réglementations protègent l’investisseur mais ont aussi, de facto, un effet collatéral sur la banque privée. » Avec une conséquence : les cadres locaux, dotés d’une résidence permanente ou d’une double nationalité sont de plus en plus recherchés. Pas de quoi néanmoins mettre fin aux vocations : selon l’Observatoire de la Banque Transatlantique, 90 % des Français expatriés – tous secteurs confondus – se disent satisfaits de leur expérience et 84 % la recommanderaient à leur entourage.
Pour aller plus loin, la 2e édition de l’Observatoire de l’expatriation Banque Transatlantique dans la version digitale de L’Agefi Hebdo
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