
Les managers à l'épreuve

« Personne n’était préparé à ça ! reconnaît Frédéric Guyonnet. Il y a des plans de continuité d’activité (PCA) en prévision d’attentats, d’incendies, d’inondations, mais pas d’une crise sanitaire qui touche tous les sites de la même façon et oblige à travailler en mode dégradé. » Une situation inédite pour les managers d’agence des réseaux bancaires qui, selon le président national du SNB/CFE-CGC, ont dû se débrouiller seuls pour prendre des décisions pendant la première, voire la deuxième semaine de confinement. Continuer à gérer le flux de clients sans avoir le matériel nécessaire au respect des consignes de sécurité ? Fermer les portes ? « D’une agence à l’autre, les réponses ont été différentes. Depuis, la situation s’est normalisée, observe-t-il. Les différents réseaux français ont commandé les équipements ad hoc (masques, gants...) et la majorité d’entre eux ont prix la décision de procéder à un filtrage client à la porte. »
Grand stress
Mais les managers s’adaptent plus ou moins bien aux circonstances, ajoute-t-il. « Certains fonctionnent à peu près normalement, d’autres sont en grand stress parce qu’ils ne sont pas accompagnés, craignent toujours de prendre des mauvaises décisions ou de voir des membres de leur équipe tomber malades. » Le gestionnaire d’actifs OFI Asset Management (AM) assure de son côté avoir mis en place, dès le début du mois de mars, une cellule de veille composée d’une dizaine de personnes pour suivre l’évolution de la situation et piloter les décisions, avec différents relais auprès de la communauté managériale. « Très rapidement, nous avons créé une campagne de communication pour diffuser largement auprès des équipes en interne les bonnes pratiques et les mesures de précautions sanitaires recommandées », explique Claire Iribarne, DRH. Chez Colliers International France (services immobiliers et gestion d’investissements), qui s’apprêtait à reconfigurer son siège social de Levallois-Perret en déployant de nouvelles façons de travailler, les managers ont aussi été jetés dans le grand bain du travail à distance le 16 mars. « Tout le monde était déjà équipé d’un ordinateur portable et d’un téléphone, ce qui ne veut pas dire que tous savaient forcément se servir des différents outils, admet Caroline Bénech, chief transformation officer (CTO). Certains n’avaient par exemple jamais utilisé la solution de communication collaborative Teams, mais ont pu s’appuyer, au besoin, sur les compétences des profils plus ‘geeks’. Au delà de l’adoption en urgence de nouvelles applications, c’est toute la posture managériale qu’il a fallu réinventer. « L’environnement est plus qu’incertain en termes tant sanitaires que business, ce qui rend d’autant plus difficile le maintien de la motivation des équipes », explique Elsa Cuisinier, directrice générale de Colombus Consulting, spécialisé dans la transformation des organisations.
En mode relationnel
Dans le contexte de confinement et de travail à distance forcé, les objectifs changent. Certains projets sont arrêtés, l’activité se réduit. Hier majoritairement focalisés sur des tâches opérationnelles, les managers se voient contraints de passer en mode essentiellement relationnel, de faire davantage confiance aux membres de leur équipe et, tout aussi délicat, d’exercer leur leadership dans un espace-temps mêlant travail et intimité. Pour Luc Tardieu, directeur associé chez Julhiet Sterwen (conseil en transformation et innovation), « il est nécessaire de retrouver des relations complètes, avec à la fois des échanges informels et un retour d’expérience sur le travail, mais aussi de recréer une vie collective, tout en démultipliant les moments d’attention à l’égard de collaborateurs dont on ne connaît pas les conditions de confinement ». Une démarche parfaitement intégrée par la banque en ligne ING France (lire ‘La parole à’), qui a placé en télétravail 97 % de ses équipes dont, pour la première fois, celles du centre de relation client. Ou encore par Colliers qui, au travers de fiches pratiques « 100 pour 100 à distance, Trucs & Astuces », a par exemple conseillé au management de pratiquer des réunions virtuelles de courte durée quotidiennes ou très régulières, d’écouter l’état d’esprit des membres de l’équipe, de faire davantage de « one-to-one » que d’habitude, de partager l’information avec l’équipe au-delà du strict nécessaire, etc.
« Nous avons vu des managers au profil plutôt technique commencer des réunions par un ‘comment allez-vous ?’ », raconte Caroline Bénech, pour qui « la situation développe le savoir-être et oblige à mettre en pratique des compétences émotionnelles parfois enfouies : empathie, tolérance, indulgence... » Avec, aussi, un risque réel de surinvestissement et d’épuisement, comme l’a constaté la CTO de Colliers. « Nous avons senti une certaine lassitude à la fin de la troisième semaine. Certains avaient le sentiment d’avoir le téléphone collé à l’oreille et se remettaient à travailler le soir et le week-end. » Amputée d’un cadre physique et du langage corporel, la relation managériale est mise à rude épreuve. « Il faut apprendre à écouter, reformuler, être très explicite, ne pas esquiver et, surtout, être dans l’authenticité », insiste Elsa Cuisinier, pour qui les managers doivent gagner en « assertivité ». C’est-à-dire « s’affirmer de manière décontractée en donnant toute sa place à l’autre. » Une aptitude qu’ils ont de toute façon intérêt à développer pour l’après-Covid-19, le terrain étant à présent déblayé pour une généralisation du télétravail. Pour Frédéric Guyonnet, « il faudra aussi accorder aux managers davantage d’autonomie dans la prise de décision. Et revoir les PCA ! ».
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Munich - Acheter une voiture chinoise sur les Terres de Volkswagen, BMW et Mercedes? «Et pourquoi pas?», sourit la designeuse allemande Tayo Osobu, 59 ans, déambulant dans la vieille ville de Munich, devenue vitrine géante du salon automobile. Venue de Francfort, elle découvre les plus de 700 exposants, dont 14 constructeurs chinois contre 10 européens, qui tentent de séduire le public avec des modèles high-tech dans toutes les gammes de prix. Sur la Ludwigstrasse, deux mondes se font face. D’un côté, le géant chinois BYD, dont les ventes en Europe ont bondi de 250% au premier semestre, expose ses modèles phares, dont l’un, une citadine électrique, se vend à partir de 20.000 euros. De l’autre, Volkswagen, numéro 1 européen en crise, tente de défendre son territoire malgré la chute des livraisons et un plan social historique. Tayo est impressionnée par les finitions des coutures à l’intérieur d’une voiture BYD. Sur la sécurité, aucun doute: «si elles sont vendues ici, c’est qu’elles respectent les normes européennes», répond-t-elle sans hésiter. Qualité au «même niveau» Les marques chinoises maîtrisent une grande partie de leur chaîne de valeur, des batteries électriques aux logiciels embarqués. De plus, elles bénéficient d’une main d'œuvre moins chère et d’économies d'échelle grâce au marché chinois gigantesque. Et fini la réputation de la mauvaise qualité. «Ce qui a changé en cinq ans, c’est qu'à prix inférieur, les Chinois sont désormais au même niveau sur la technologie et la qualité à bien des égards», résume l’expert du secteur Stefan Bratzel. Pour contenir cette offensive, la Commission européenne a ajouté l’an dernier une surtaxe pouvant atteindre 35% sur certaines marques chinoises, en plus des 10% de droits de douane existants. Objectifs visés: protéger l’emploi sur le Vieux continent, limiter la dépendance technologique et préserver l’image des constructeurs européens. Mais BYD contournera bientôt la mesure: sa première usine européenne en Hongrie doit démarrer sa production dès cet hiver. Il est encore «trop tôt» pour parler d’invasion, estime M. Bratzel. Les marques chinoises doivent encore établir «une relation de confiance» avec le public européen, développer des réseaux de concessionnaires et de service après-vente, explique-t-il. Des acheteurs potentiels le disent aussi: «Si on conduit une voiture chinoise, dans quel garage va-t-on en cas de problème?», s’interroge Pamina Lohrmann, allemande de 22 ans, devant le stand Volkswagen où est exposé un ancien modèle de l’iconique Polo. «J’ai grandi avec les marques allemandes, elles me parlent plus», confie cette jeune propriétaire d’une Opel décapotable, dont la famille roule plutôt en «BMW, Porsche ou Mercedes». «Image de marque» L’image des véhicules reste un point faible, mais déjà une certaine clientèle, jeune et technophile, se montre plus ouverte. Cette dernière est convoitée par la marque premium XPeng, lancée en Chine en 2014 : «Nous visons la première vague d’enthousiastes de la technologie», explique son président Brian Gu sur le salon. Loin de baisser les bras, les constructeurs allemands continuent de «renforcer leur image de marque européenne» avec «un héritage» échappant encore aux entrants chinois, explique Matthias Schmidt, un autre expert. Volkswagen a ainsi rebaptisé son futur modèle électrique d’entrée de gamme «ID.Polo», attendu en 2026 autour de 25.000 euros, pour capitaliser sur la notoriété de sa citadine. Et les Européens imitent les Chinois sur l’intégration du numérique, comme le nouveau système d’affichage par projecteur de BMW, et dans la course à la recharge rapide. Ils adoptent aussi les batteries lithium-fer-phosphate (LFP), moins coûteuses, et intègrent de plus en plus de pièces standards chinoises, afin de réduire les coûts et de combler l'écart technologique, note M. Schmidt. «Ce qui compte, c’est que les fonctionnalités et le prix soient convaincants», note Martin Koppenborg, consultant automobile de 65 ans, bravant la pluie sur un stand de BYD, visiblement séduit. Léa PERNELLE © Agence France-Presse