
Les gérants de non-coté adaptent leurs stratégies de liquidité face aux turbulences des marchés

Dans un contexte de marché déstabilisé par les incertitudes géopolitiques et économiques, la liquidité des actifs privés se hisse plus que jamais au premier rang des préoccupations des sociétés de gestion et de leurs investisseurs. Une table ronde du Private Markets Day, événement majeur dédié au non-coté organisé par L’Agefi le 8 avril à Paris, a permis de mettre en évidence les stratégies déployées par les sociétés de gestion (GP) pour satisfaire les investisseurs en termes de liquidité, tout en continuant à développer leurs actifs de façon efficace.
Un marché en transformation
Malgré les interrogations déjà présentes l’an dernier, la performance du non-coté en 2024 a fait preuve d’une résilience notable, a souligné Bertrand Rambaud, président de Siparex et président de l’association française du secteur France Invest. Les levées de fonds comme les investissements ont repris une trajectoire ascendante, permettant de renouer avec un volume de près de 50 milliards d’euros investis dans l’économie française, tous segments confondus (capital-investissement, dette privée, infrastructures).
Mais c’est du côté des cessions que le bât blesse. Le montant en valeur a certes grimpé de 40% sous l’effet de quelques grosses transactions, mais la volumétrie globale reste insuffisante. «Il nous manque au bas mot 30% de volumes de cession sur 2023 et 2024», reconnaît Bertrand Rambaud, avec seulement 11% des actifs distribués en 2024, contre 30% en moyenne les années précédentes. D’où une accumulation de stock d’actifs en portefeuille, ce qui pèse sur les perspectives de distribution.
Dans le haut de marché, la prolongation de la fermeture de la fenêtre des introductions en Bourse assombrit fortement les perspectives de sortie. En revanche, le mid-market, davantage exposé au M&A, offre encore des opportunités. Sur ce plan, le premier trimestre 2025 s’est même révélé meilleur qu’attendu. Jusqu’ici.
Mais la récente chute des marchés cotés n’a évidemment rien d’anodin pour les actifs privés. En l’absence de valorisation quotidienne, le non-coté peut sembler moins volatil mais les prix sont toujours in fine corrélés avec ce qui se passe dans le reste du monde économique. «Et clairement, si les marchés publics continuent sur la tendance observée depuis le début de l’année, il y aura un impact sur les valorisations du private equity, c’est une évidence», affirme Lukas Zeman, managing director chez Campbell Lutyens.
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«Cela ne va pas aider à trouver de la liquidité immédiate. Nous savons tous que l’incertitude crée un frein», ajoute Bertrand Rambaud. «Mais sans être provocateur, cela pourrait aussi faciliter la liquidité. Aujourd’hui, 80% des actifs ont la maturité pour être vendus, mais butent sur l’inadéquation de prix entre le vendeur et l’acheteur. En voyant les marchés baisser de 20%, certains gérants vont se décider à concrétiser une transaction en privilégiant la liquidité à la valorisation. Arrivera un point où la nécessité d’ajustement va être acceptée par les gérants ce qui va aider la matérialisation du DPI», le distributions to-paid-in capital, c’est-à-dire le cash remonté aux investisseurs des fonds.
Le marché secondaire en pleine expansion
Face à l’atonie des voies classiques de cessions, le marché secondaire devient un levier incontournable. En 2024, 160 milliards de dollars de transactions ont été enregistrés en secondaire, selon Lukas Zeman, avec une croissance spectaculaire des opérations dites GP-led, avec une plus forte progression l’an dernier des opérations centrées sur un seul actif (single asset), qui sont devenues majoritaires (60% des opérations) par rapport aux multi-assets. Une façon de prolonger la détention d’actifs performants tout en permettant une porte de sortie aux investisseurs initiaux.
Marginal il y a encore dix ou quinze ans, le secondaire apparaît désormais essentiel notamment dans la gestion de la fin de vie des fonds. Pour Rémy Pomathios, responsable des investissements marchés privés chez Crédit Agricole Indosuez, ces outils sont devenus «primordiaux dans l’allocation des clients», avec 25% des portefeuilles investis dans ces opérations, qu’elles soient GP-led ou LP-led. Leur bon usage exige cependant transparence, validation indépendante de la valorisation, et alignement des intérêts.
«En tant qu’intermédiaires, nous prenons soin de vérifier que l’opération bénéficie à toutes les parties prenantes : le gérant, les nouveaux investisseurs, et primordialement les investisseurs existants. Si l’une de ces cases n’est pas cochée, un conflit d’intérêts peut survenir entraînant des dommages réputationnels, économiques etc.», affirme Lukas Zeman. De toutes façons, «si le GP ne remet pas lui-même de façon significative, on ne regardera même pas le deal», renchérit Rémy Pomathios.
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Les opérations LP-led, souvent plus décotées, restent pertinentes dans certains cas, notamment pour des LP souhaitant restructurer activement leur exposition. Mais elles s’inscrivent dans une logique davantage orientée par le besoin de liquidité immédiate.
Si le marché du secondaire est aujourd’hui bien organisé pour les entreprises d’une certaine taille sous LBO, l’un des enjeux pour la profession est cependant de faire émerger davantage d’acteurs pour les segments du capital-risque et capital-croissance. En dehors de quelques spécialistes, «il y a globalement un manque d’acteurs sur ce segment. Par nature les généralistes sont davantage attirés vers de la volumétrie, des entreprises plus lisibles», déplore Bertrand Rambaud. Or pouvoir trouver des relais en secondaire apparaît «indispensable pour ces catégories d’actifs qui peuvent être mal appréciées et dont il y a un besoin impératif», ajoute la voix de France Invest.
NAV Financing : à manipuler avec précaution
Autre stratégie à la disposition des GP, le NAV financing. La démarche consiste à lever de la dette sur la base de la valeur nette d’un portefeuille. Utilisé à bon escient, cet instrument peut permettre de financer du capex ou des opérations de build-up en fin de période d’investissement. Mais attention lorsqu’il sert à générer de la liquidité pour le GP lui-même ou pour rémunérer le carried interest. «Ce sont des structures complexes et coûteuses – jusqu’à 12% dans certains cas – et potentiellement risquées si mal calibrées», prévient Rémy Pomathios. La cross-collatéralisation entre actifs, ou encore l’absence éventuelle de validation par le Limited Partner Advisory Committee (LPAC), posent de vraies questions.
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«On a plutôt envie que nos GP sortent des sociétés, concrètement, plutôt que de recourir au NAV financing. Il peut y avoir des bons arguments pour faire ce type d’opération mais il faut les regarder au cas par cas.»
Philippe Sourlas, secrétaire général adjoint de l’AMF, souligne d’ailleurs que la réglementation européenne présente encore un certain angle mort car elle ne permet pas encore de visualiser l’ensemble du levier utilisé, notamment quand celui-ci est porté par les participations elles-mêmes, mais seulement l’endettement au niveau du fonds. L’AMF entend donc exercer une vigilance accrue et pourrait présenter dans les mois qui viennent de nouvelles dispositions pour compléter le dispositif.
Le retail, nouvel horizon du private equity
Parallèlement, le développement des fonds destinés aux investisseurs particuliers s’accélère, notamment via les ELTIF, ces véhicules semi-ouverts, semi-fermés qui permettent une forme d’accès encadré au non-coté. En France, une vingtaine de fonds ont déjà été agréés, et la dynamique semble bien enclenchée.
Pour l’AMF, ces produits offrent une nouvelle façon d’appréhender la liquidité, avec des règles de souscription et de rachat plus flexibles mais qui demandent à être strictement encadrées. Les documents commerciaux destinés au grand public constituent en particulier un point de vigilance de l’AMF, explique Philippe Sourlas.
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En matière de démocratisation, Bertrand Rambaud rappelle que la France part de loin : «Aux Etats-Unis, le retail pèse 50% des fonds collectés. En France, il ne représente encore que 5%.» Il appelle à la responsabilité collective des professionnels pour accompagner la montée en puissance du capital-investissement dans l’épargne des français, sans les bercer d’illusions sur les performances. «Rien d’exceptionnel, mais du solide, du stable et du pérenne», martèle-t-il.
Secondaires, fonds de continuation, NAV Financing, retail : les outils de gestion de la liquidité se multiplient et se professionnalisent. Mais cette sophistication croissante appelle à une exigence renforcée de transparence, d’alignement et de rigueur opérationnelle. Comme le rappelle Bertrand Rambaud, l’industrie du capital-investissement a toujours su s’adapter aux cycles pour préserver sa liquidité. À l’heure où les LP réclament des retours plus concrets, l’enjeu consiste à innover parmi les solutions alternatives de liquidité, mais sans perdre de vue les fondamentaux qui assurent la solidité du modèle à long terme.
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Après Nantes, Rennes, Grigny ou Saint-Denis dans la matinée, les mairies écologistes de Besançon et Lyon ont hissé à leur tour le drapeau palestinien sur le fronton de l’hôtel de ville. «Cette reconnaissance de l’Etat palestinien n’est pas une offense faite à Israël (...). L’absence d'État est un terreau fertile pour tous les groupes terroristes, de Daech au Hamas», a estimé le maire écologiste de Lyon Grégory Doucet, cité dans un communiqué. A Tours, le pavoisement était prévu en début de soirée. «Reconnaître l'État de Palestine (...) c’est rappeler que nulle conquête territoriale par la force ne peut être légitimée et qu’aucune paix durable ne saurait naître sans justice et réciprocité», a déclaré le maire écologiste Emmanuel Denis. A Paris, une dizaine d'élus dont David Belliard, candidat écologiste à la mairie de Paris en 2026, ont déployé le drapeau palestinien depuis une fenêtre de l’hôtel de ville peu après 18H00, contre l’avis de la maire PS Anne Hidalgo. La mairie n’a pas souhaité faire de commentaire. Dimanche, l'édile socialiste avait préféré projeter les drapeaux palestinien et israélien côte à côte sur la tour Eiffel, décision qualifiée lundi de «consternante de stupidité» par le fondateur de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon. Dans la matinée, les élus de Saint-Denis, première ville de Seine-Saint-Denis, avaient convié la presse pour ériger le drapeau palestinien sur l’hôtel de ville, aux côtés des drapeaux français et européen. «Depuis des années je me bats pour l'émergence d’une solution à deux Etats comme seule solution durable pour espérer une paix au Proche-Orient», avait déclaré le maire PS Mathieu Hanotin. «Arrêtez le feu» A ses côtés, le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure, à l’origine de l’idée de pavoiser les mairies, a relevé que le drapeau palestinien «n’est pas le drapeau du Hamas». En Seine-Saint-Denis, une douzaine de communes ont érigé lundi le drapeau au triangle rouge et aux bandes horizontales noire, blanche et verte, a précisé à l’AFP le préfet du département, qui a écrit aux maires réfractaires sans pour l’instant saisir la justice. Les conseils départementaux du Lot et de la Gironde ont imité les communes, tandis que la maire écologiste de Poitiers le fera mardi. A Malakoff, la maire communiste qui avait apposé la bannière de la Palestine dès vendredi, restée depuis sur le fronton de l’Hôtel de ville malgré l’injonction du tribunal administratif de Cergy-Pontoise de le déposer, s’est vu infliger lundi une astreinte de 150 euros par jour de retard. Elle a annoncé faire appel devant le Conseil d’Etat. A Corbeil-Essonnes, ville jumelée avec Jérusalem-Est, le maire DVG Bruno Piriou avait hissé le drapeau palestinien depuis plusieurs mois et souhaitait distribuer 1.000 drapeaux palestiniens. Deux décisions suspendues par la justice administrative, de même que pour la petite ville de Montataire (Oise). De plus petites villes comme Carhaix (Finistère), Dives-sur-Mer (Calvados) ou Grabels, près de Montpellier, ont emboîté le pas aux grandes. «En mettant ce drapeau, nous disons +arrêtez le feu, arrêtez le génocide+", a déclaré à l’AFP le maire LFI de Grabels, René Revol. A Marseille, le maire DVG Benoît Payan a lui refusé de hisser le drapeau palestinien, préférant annoncer le jumelage de sa ville avec Bethléem, située en Cisjordanie occupée. Ce n’est pas la première fois que le pavoisement des mairies fait polémique. Au décès du pape François, la demande du gouvernement de mettre en berne le drapeau français avait été jugée contraire au principe de laïcité par certains maires. Selon Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay, "à chaque fois que les tribunaux ont validé les drapeaux, c'était parce qu’il y avait un mouvement national de solidarité», comme par exemple le drapeau israélien après le 7-octobre ou le drapeau ukrainien. Pour Serge Slama, professeur de droit public à l’Université de Grenoble-Alpes, «un maire ne peut pas, à travers un drapeau, exprimer une opinion politique religieuse ou philosophique». «Mais», poursuit-il, «ériger un drapeau parce que le chef de l'État reconnaît la Palestine comme État ne me semble pas manquer au devoir de neutralité, parce que c’est la position officielle de la France ce jour-là». Madeleine DE BLIC © Agence France-Presse -
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