Les assureurs appellent à la prudence sur la transférabilité des contrats d’assurance vie

Les sénateurs doivent examiner mardi après-midi en séance publique une proposition de loi qui «vise à garantir une réelle transférabilité interne et externe de l’assurance vie».
assurance vie et inflation
Deux sénateurs proposent que le rachat total d’un contrat d’assurance vie de plus de huit ans ne soit pas fiscalisé comme un dénouement, si l’intégralité des sommes sont versées sur un autre contrat.  -  Fotolia

Albéric de Montgolfier, sénateur Les Républicains d’Eure-et-Loir, ne s’en est pas caché lors d’une réunion de la Commission des finances, dont il est vice-président : « Sans aucun doute, nous ne nous sommes pas faits que des amis parmi les assureurs ». Avec le sénateur Les Républicains Jean-François Husson, rapporteur général de la Commission des finances, il a déposé une proposition de loi qui doit être débattue en séance publique mardi 31 janvier, intitulée « Défendre le pouvoir d’achat des Français en protégeant leur épargne ». Fort de 12 mesures concrètes, leur texte, inspiré d’un rapport d’information publié fin 2021, propose notamment d’instaurer la transférabilité totale des contrats d’assurance vie d’un assureur à l’autre.

Pour « susciter une plus grande concurrence entre les produits disponibles sur le marché », les deux sénateurs proposent que le rachat total d’un contrat d’assurance vie de plus de huit ans n’entraîne pas les conséquences fiscales d’un dénouement, à condition que l’intégralité des sommes soient versées sur un autre contrat. Outre la création d’une taxe additionnelle d’accise sur les tabacs pour compenser les pertes de recettes pour l’Etat et les organismes de Sécurité sociale, la commission a adopté des amendements pour essayer de faire passer le texte. Ceux-ci proposent que « l’assureur ou l’intermédiaire disposent du temps nécessaire, pendant les deux mois où ils doivent procéder au rachat, pour proposer à l’assuré des solutions internes de transfert total ou partiel de son contrat au sein de l’entreprise d’assurance » et la mise en place de portabilité de l’antériorité fiscale uniquement pour les contrats rachetés à partir du 1er janvier 2025.

Pénaliser le rendement du fonds en euros

Pas de quoi rassurer l’ensemble des parties prenantes. « Le fait de permettre la transférabilité externe des contrats représenterait une révolution », s’est même ému le sénateur LR Vincent Segouin. Si la fédération nationale des syndicats d’agents généraux d’assurance (Agea) n’a pas totalement fermé la porte à une telle évolution, les assureurs continuent à militer contre. « La fiscalité incitative de l’assurance vie est depuis des décennies la clé de voûte qui en fait une épargne de long terme. La transférabilité de l’épargne d’un assureur à l’autre sans aucune incidence fiscale cassera l’horizon de temps long de l’assurance vie », résume Franck Le Vallois, directeur général de France Assureurs, pour qui « mécaniquement, cela réduira la durée moyenne d’un contrat d’assurance vie, ne laissant pas d’autre possibilité aux assureurs que de réorienter leurs investissements vers des actifs de plus court terme et moins risqués, au détriment du financement de l’économie et des épargnants ».

Les sommes en jeu sont colossales. Plus de 61% des actifs détenus par les assureurs vie via le fonds euros sont investis dans les entreprises. Mais une telle évolution toucherait aussi les assurés : « Investir dans des actifs plus courts et moins risqués, c’est pénaliser le rendement du fonds en euros et donc les taux servis aux assurés », affirme Franck Le Vallois. Sur les 1.874 milliards d’euros d’encours d’assurance vie à fin 2021, pour 18 millions d’assurés et 38 millions de bénéficiaires, 70% ont une antériorité supérieure à 8 ans. Plus globalement, la durée moyenne de détention d’un contrat d’assurance vie est supérieure à douze ans.

Un pari risqué

Alors que les assureurs craignent un choc important sur leurs activités, les sénateurs défendent en fait l’élargissement des possibilités de transfert des contrats d’assurance vie sans perte de l’antériorité fiscale issu de la loi Pacte, mais limité jusqu’à présent à un même établissement financier. « Cet obstacle à la transférabilité externe est une incongruité, donc les assureurs devront s’adapter, sans que le marché en soit d’ailleurs bouleversé, puisqu’il faudra attendre huit ans ; c’est dans l’intérêt des épargnants », a expliqué Albéric de Montgolfier, pour qui « il convient d’avoir une vision nuancée des effets attendus de cette mesure : elle ne porterait que sur les contrats de plus de huit ans et elle pourrait améliorer la qualité des conseils prodigués aux épargnants, qui auraient d’autant moins de raisons de quitter leur assureur. »

L’ensemble des débats pourrait tourner autour de l’absence d’étude d’impact. « Nous n’avons pas eu d'éléments qui nous ont vraiment convaincus sur le risque de déstabilisation que cette transférabilité représenterait », affirme le vice-président de la commission des finances. « Faut-il prendre un tel pari à 1.800 milliards d’euros sur le financement de l’économie productive et sur l’épargne de plus de 18 millions de Français ? », réagit Franck Le Vallois. Les assureurs devraient justement faire référence au troisième rapport du comité de suivi et d’évaluation de la loi Pacte publié en septembre 2022 par France Stratégie. « En 2010, l’Insee estimait qu’environ la moitié́ des contrats d’assurance-vie étaient détenus depuis plus de huit ans. Ainsi, une transférabilité́ totale, même avec une limite sur la durée de détention à huit ans, pourrait rendre transférable la moitié des contrats d’assurance-vie et représenter un risque de choc important », explique l’institution rattachée à Matignon.

Risques prudentiels

Surtout, elle rapporte la position de Bercy. « La Direction générale du Trésor a en premier lieu fait valoir les risques prudentiels liés à la transférabilité́ totale des contrats, même sous conditions. D’une part, le transfert interentreprises pourrait être dangereux pour la stabilité financière et constituer un choc significatif pour les assureurs, venant dégrader leur ratio de solvabilité. (…) D’autre part, la mise en place de la transférabilité́ externe pourrait réduire l’horizon d’investissement des assureurs, ce qui pourrait se traduire par une allocation sous-optimale de l’épargne et par une réduction de la performance des contrats au détriment des épargnants », peut-on lire.

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