Le risque climatique jette un froid

ASSURANCE
Frédérique Garrouste
froid climat

En avril dernier, un épisode de gel a frappé l’ensemble des cultures françaises. Tout en étant historique, cet événement climatique s’inscrit dans une suite de dérèglements qui augmentent en intensité et en fréquence. Les assureurs se retrouvent face à une explosion des dommages. « Le coût des événements climatiques atteignait en moyenne un peu plus de 1 milliard d’euros par an en France dans les années 1980, puis il a augmenté à près de 3 milliards dans les années 2010 et a significativement dépassé ce montant sur les cinq dernières années, récapitule Franck Le Vallois, directeur général de la Fédération française de l’assurance (FFA). Une étude de 2015 de la FFA montre que le coût des événements climatiques devrait encore être multiplié par près de deux d’ici à 2040. »

Pour prendre la mesure du problème pour le secteur financier, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) a conduit un exercice pilote climatique dont elle vient de publier les résultats : le coût des sinistres pourrait être multiplié par 5 à 6 dans certains départements français entre 2020 et 2050. La vulnérabilité de certaines régions pose un risque d’assurabilité dont « les assureurs ont estimé qu’il pouvait être intégralement compensé par une hausse des cotisations », selon le rapport. « Si les assurés ne suivent pas, certains risques ne seront pas couverts, ce qui pose des questions de solidarité économique et de viabilité sociale », prévient Jean-Paul Faugère, vice-président de l’ACPR.

De son côté, la profession rappelle que les résultats quantitatifs obtenus par l’étude sont à interpréter avec précaution. « La hausse des cotisations de 130 % simulée à 30 ans correspond à une moyenne annuelle de 2,8 %, soit la croissance du PIB en valeur telle que retenue par l’ACPR dans l’exercice pilote », souligne Franck Le Vallois.

sensibilisation

Toutefois, conséquence des dommages climatiques, les hausses des primes sont déjà problématiques, pour les entreprises notamment. « Elles ont été spectaculaires en 2020, les polices de dommages aux biens ont souvent augmenté de 30 % à 40 %, certaines majorations dépassant les 100 % : le phénomène est général après les pertes des assureurs et des réassureurs sur de nombreuses lignes d’assurance, en particulier en dommages aux biens suite aux catastrophes climatiques de 2018 », rapporte Anna Lecomte, consultante risque chez Gras Savoye Willis Towers Watson.

Le phénomène trouve son prolongement en réassurance. « La couverture des risques de pointe risque de se raréfier, voire devenir inexistante à des coûts compétitifs. Les assureurs doivent revoir leur approche sur les risques cédés », expose Michael Donio, associé du cabinet Sia.

En vue d’être substituées aux contrats traditionnels, les solutions alternatives sont passées en revue. Les captives suscitent un regain d’attention, mais la mise en œuvre de ces structures est complexe.

Pour rester dans le transfert de risque, l’assurance paramétrique commence à se répandre hors de la réassurance, servant à couvrir un risque spécifique et ponctuel avec un fort impact potentiel. S’agissant d’un risque difficile à modéliser, l’assurance se déclenche à partir d’un seuil prédéfini et l’indemnité est forfaitaire. « Axa Climate » offre des solutions de ce type. « Elles présentent l’avantage d’être simples et prévisibles puisqu’elles reposent sur une formule préétablie, explique Renaud Guidée, directeur des risques du groupe Axa. Ces contrats nous permettent notamment d’assurer les récoltes et de garantir les revenus d’agriculteurs dans des pays en développement. Cette solution est aussi pertinente pour des sinistres touchant un grand nombre d’assurés. »

Mais c’est avant tout une mobilisation de l’ensemble des acteurs qui est préconisée (lire ‘La parole à…’ page 22) pour relever le défi. « Il y a un alignement d’intérêts entre assureurs et assurés face à la montée des risques naturels. La prévention joue un rôle essentiel, c’est pourquoi nous voulons sensibiliser nos assurés aux enjeux du changement climatique. Nous avons créé l’Axa Climate School dans cette logique afin de proposer aux entreprises des contenus de formation adaptés », évoque Renaud Guidée.

La culture du risque est à développer aussi parmi les collectivités locales pour faire jouer davantage la prévention. « Les plans de prévention ne sont pas toujours mis en place et mériteraient d’être bien connus par les habitants et les entreprises », souligne Franck Le Vallois.

Signe du chemin à parcourir, la part des acteurs qui ne sont pas assurés peut, sur certains segments, atteindre des proportions étonnantes. « Face au réchauffement climatique, il faut absolument s’attaquer à la non-assurance. Particulièrement élevée en assurance multirisque habitation dans les départements d’outre-mer, la part de non-assurance atteint 42 % des ménages, note encore Franck Le Vallois. Autre exemple notable : 68 % des surfaces exploitées par les agriculteurs ne sont pas assurées contre les aléas climatiques, à l’exception de la grêle qui bénéficie d’un taux de couverture plus élevé à 63 %. »

Côté entreprises, un travail de recensement des risques est enclenché, les assureurs réclamant désormais des informations pour s’engager. Les entreprises peuvent compter avec l’aide des professionnels. « Nous mobilisons notre capacité de traitement à grande échelle des données sur le climat et de modélisation fine des risques physiques – augmentation des températures, élévation du niveau de la mer et précipitations extrêmes – pour conseiller nos clients », indique Renaud Guidée.

La collecte de données granulaires pour intégrer les évolutions à long terme liées au climat dans les modèles devient un enjeu pour tous les acteurs. « Les assureurs et surtout les réassureurs effectuent un grand travail sur les données et les modèles de risques, la mobilisation doit s’étendre à tous les acteurs concernés », estime Brigitte Bouquot.

Données et simulations

Un écosystème est en train de se créer pour aider les assureurs à intégrer les risques climatiques dans leur cartographie des risques. « De nouvelles données, variées, volumineuses et pas toujours structurées sont nécessaires pour faire des simulations sur les portefeuilles, avec des modèles qui évoluent de plus en plus vite, expose Arnaud Charensol, directeur, pôle institutions financières, chez SAS, éditeur spécialisé dans l’analytique. Nous aidons nos clients à automatiser la collecte d’informations et à structurer les données pour en extraire les informations pertinentes. » Une forte puissance de calcul permet au cabinet de multiplier le nombre de scénarios.

Les assureurs commencent à réfléchir à adapter leurs propres outils. « Le bilan tiré par l’ACPR de son exercice climatique pilote montre un niveau de maturité des assureurs et des banques encore bas, par manque de données et de modèles, estime Thomas Boidot Doremieux, directeur du Lab Innovation de Lamarck Group. Si les climatologues parviennent à établir des projections climatiques avec des niveaux de confiance élevés, en pratique, leurs résultats ne sont pas intégrés par les acteurs financiers ni pris en compte dans leur stratégie. » Le cabinet a établi plusieurs partenariats avec des instituts de recherche dans l’objectif de mesurer le risque climatique physique avec des horizons à plus court terme que ceux du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).

De quoi, à terme, moins peser sur le régime des catastrophes naturelles qui prévoit l’intervention de l’Etat en cas de sinistres exceptionnels et doit, lui aussi, être amendé pour faire face à la nouvelle donne. « Le régime des catastrophes naturelles a plutôt bien fonctionné jusqu’ici, même s’il n’encourage pas assez la prévention », indique Brigitte Bouquot. En cours d’examen au Parlement, sa révision vise à responsabiliser davantage les assurés…

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