
Le lent déconfinement de la City

Responsable de programmes dans une grande banque européenne à Londres, Lauren ignore encore la date exacte de son retour au bureau. Elle ne fait pas partie des personnels prioritaires : « Notre banque organise à l’heure actuelle un certain nombre de sondages pour évaluer notre expérience du travail à distance, explique-t-elle. Les personnes qui se sentent déprimées peuvent néanmoins demander une dérogation pour revenir en entreprise. »
Comme Lauren, nombre de financiers des quartiers d’affaires de la City et de Canary Wharf continuaient mi-juillet à télétravailler. Or le mot d’ordre du gouvernement britannique a changé : après avoir longtemps incité les salariés à fonctionner à distance, Londres a décidé de laisser aux employeurs britanniques le soin de décider, depuis le 1er août, s’il est préférable de rappeler leurs équipes ou de poursuivre le télétravail. « Psychologiquement, il est important que le message de retour au travail se fasse à l’initiative du gouvernement, estime Hakan Enver, managing director de l’agence de recrutement Morgan McKinley. Un tel message émanant directement des entreprises aurait probablement provoqué une levée de boucliers de la part des salariés. » NatWest (ex-RBS) a tranché : la banque a proposé à ses 50.000 salariés de continuer à télétravailler au moins jusqu’à l’an prochain. Précédemment, la date de retour au bureau était prévue en septembre. Environ 10.000 salariés ont continué à travailler dans les agences, dont 95 % sont restées ouvertes, et dans certains bureaux durant la pandémie.
Les autres banques de la City ont opté pour une stratégie de retour par vagues. Goldman Sachs a autorisé dès le 15 juin un retour dans ses nouveaux locaux de Plumtree Court dans la capitale britannique. Chez Barclays, 700 salariés au niveau mondial ont réintégré les tours en juillet et en août, sur un total de 70.000 au niveau mondial. La priorité étant donnée « aux personnels devant se connecter à des systèmes informatiques peu ou pas accessibles du domicile », selon la banque. Pas plus de 10 % à 20 % des salariés doivent aussi faire leur retour dans l’immense tour de 45 étages de HSBC à Canary Wharf jusqu’en septembre. Chez Citi, moins de 10 % des effectifs ont aussi retrouvé le chemin de la banque : « Le retour à la normalité se fera en fonction des données et non des dates », précise une porte-parole.
Les institutions financières ont multiplié les précautions pour limiter les risques de contamination : le port du masque est obligatoire pour les employés dès lors qu’ils quittent leur bureau. Les espaces de travail sont séparés tandis que les ascenseurs n’accueillent qu’un nombre limité de salariés afin de respecter les règles de distanciation sociale. Des contrôles de température et des systèmes à sens unique dans les couloirs sont aussi privilégiés dans certaines institutions.
Le front-office semble être en première ligne de ce retour graduel. A l’occasion d’un événement presse, Stuart Riley, responsable technologique de la division institutional client group (ICG) de Citi, évoquait le déploiement d’un millier de postes informatiques et téléphoniques durant le confinement auprès de ses opérateurs de marché : « En raison des fortes contraintes réglementaires qui pèsent sur les salles de trading, il est évident que la réplication d’un modèle de bureau à domicile a constitué un véritable défi, signalait-il. Les niveaux de productivité et la formation des nouvelles recrues ont cependant constitué une difficulté. »
Auteur du livre Taking the Floor, Daniel Beunza, professeur de management au sein de la Cass Business School à Londres, s’est spécialisé dans l’influence des relations humaines et de la technologie sur l’organisation des salles de marché : « La proximité géographique est d’habitude un atout en ce qu’elle permet aux opérateurs de communiquer de façon efficace, explique-t-il. J’ai donc été doublement surpris de constater que les banques renvoyaient leurs traders à la maison lors du confinement et que l’expérience était plutôt positive. » La réalité aurait été plus nuancée : « Alors que nous étions prêts à abandonner notre hypothèse de départ, la publication d’un rapport de la BRI (Banque des règlements internationaux) a démontré la corrélation entre les turbulences de marché à plusieurs reprises au mois de mars et la transition des opérateurs du bureau à la maison », poursuit-il.
Casse-tête et fracture
Ecartelées entre la perpective d’une seconde vague du virus et celle de l’impact du Brexit, les banques réfléchissent à l’heure actuelle à une nouvelle organisation du travail. Directeur général de Barclays, Jes Staley évoquait l’impossibilité post-Covid de revenir aux modèles d’antan : « Les immeubles de bureaux pleins à craquer appartiennent au passé », selon lui. Des voix s’élèvent déjà pour évoquer une réduction drastique des déplacements professionnels et un redimensionnement du parc immobilier des établissements financiers. « Le Covid-19 a entraîné une nouvelle fracture entre des entités concurrentes, ajoute Daniel Beunza. Autrefois, on faisait la distinction entre les salariés travaillant en banque de financement et d’investissement et ceux œuvrant dans les salles de marché. Désormais, on distinguera les amateurs du télétravail et les supporters du retour en entreprise, ce qui risque de créer de nouvelles polémiques. »
Indépendamment de cette nouvelle fracture, le recours grandissant à la technologie a singulièrement réduit la perspective d’un retour à une semaine de travail de cinq jours en entreprise : « Une culture de travail plus numérique peut aussi constituer un pas important pour améliorer la rétention des salariés, estime Adam Markson, responsable des marchés de capitaux chez Accenture. A l’image de la crise financière de 2008, la façon dont l’industrie tirera les leçons de la pandémie jouera un rôle crucial dans les services financiers. »
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