
Le décalage d’IFRS 17 insuffle une bouffée d’air aux assureurs
C’est désormais en 2023 que les assureurs devront appliquer la norme IFRS 17 sur le passif des contrats d’assurance, après le nouveau report d’un an décidé par l’IASB, normalisateur comptable international, en mars dernier. « Ce décalage est une bouffée d’oxygène pour la grande majorité du secteur, qui aurait dû accélérer sur l’application de la norme dans un contexte actuel peu propice à une pression supplémentaire », réagit Sébastien Bardy, directeur du programme IFRS 9 & 17 chez Allianz France. « Ce décalage est salutaire et va permettre une entrée en vigueur plus sereine », appuie Annalisa Tozzo, directrice du programme IFRS 17 chez Groupama. « L’année 2022 sera pour les assureurs celle de la répétition, indispensable face à aux changements induits par une norme aussi lourde. Il s’agit d’une mise en œuvre grandeur réelle, où les différents métiers (actuariat, comptabilité…) passeront en phase active dans la production des comptes IFRS 17 », développe Valérie Deppe, partner actuarial & financial services chez Optimind.
IFRS 17 (qui remplace IFRS 4) entend donner une vision prospective des contrats d’assurance, qui doivent être estimés sur la base de la valeur actuelle probable des flux futurs. « C’est un chantier comptable très important. Beaucoup d’assureurs travaillent actuellement encore sur la mise en place des solutions informatiques dédiées et sur l’impact à la transition (établissement du premier bilan d’ouverture sous cette norme, NDLR) », observe Maxime Simoen, associé Mazars.
Les assureurs en sont encore à une étape intermédiaire. « Ils sont pour la plupart actuellement en phase de tests sur différents périmètres d’activité sous forme de ‘Dry Run’, mais pas sur l’intégralité des outils et des processus », explique Valérie Deppe. Parmi les acteurs les plus avancés, Allianz a lancé il y a plus de trois ans le développement des outils de production de données IFRS 17. « Cela nous permet de déjà produire des états financiers IFRS 9 & 17 complets sur le périmètre de nos activités vie et santé, là où d’autres acteurs ont privilégié les études d’impact et restent en cours de développement de leurs outils », indique Sébastien Bardy. Allianz prévoit de déployer ses outils sur l’activité non-vie cet été et de réaliser à partir de septembre ses états financiers dans les normes actuelles et IFRS 17.
Freins
Le contexte de crise actuel n’est pas sans conséquences. Si les chantiers comptables et normatifs suivent leur cours, les échanges se poursuivant à distance sur les décisions à prendre, « on constate toutefois des craintes de décalage de plusieurs mois sur le développement de certains outils informatiques, les équipes IT et les moyens pouvant être mobilisés pour gérer le maintien de l’activité courante », commente Valérie Deppe. Chez Groupama, les tests et formations qui devaient être réalisées en régions et dans les entités internationales ont été décalés. « Ces échéances restent toutefois fixées pour 2020 », indique Annalisa Tozzo. « Les travaux lancés sur IFRS 17 se poursuivent », rassure Maxime Simoen. Selon l’associé de Mazars, l’environnement actuel, qui induit des chocs de marchés et des chocs sur certains passifs des assureurs, devrait par ailleurs avoir un impact sur les calculs de transition et sur le niveau de valorisation des contrats en IFRS 17.
L’un des points les plus sensibles de la norme porte sur la granularité des calculs de provisions et le regroupement des contrats par année de souscription (cohortes). « Les assureurs s’opposent à l’établissement de cohortes annuelles, arguant que ce découpage ne reflétera pas la mutualisation financière des contrats d’épargne participatifs directs (typiquement les contrats d’épargne euro, NDLR) dans le compte de résultat de l’assureur et engendrera des coûts de mise en œuvre très importants », explique Maxime Simoen. L’IASB n’a pour le moment pas souhaité apporter de modifications sur ce point. « L’établissement des cohortes est un sujet très lourd sur le plan opérationnel, nécessitant un énorme travail de traitement de données. Cela est toutefois gérable, avec une méthodologie de modélisation et les outils appropriés », appuie Sébastien Bardy, pour qui les cohortes constituent davantage un problème de fond, car cela ne reflète pas la façon dont un assureur gère ses contrats.
Sas de sécurité
Le délai supplémentaire accordé aux assureurs est perçu comme un sas de sécurité. « La feuille de route de Groupama n’est globalement pas modifiée, les études d’impact des différentes entités étant toujours fixées pour 2020 », informe Annalisa Tozzo. Cela va en revanche permettre à Groupama de rallonger la période de tests et de réaliser plusieurs simulations de clôture de comptes d’ici à 2023. Allianz conserve également le calendrier initial, avec une mise en application de la norme en conditions réelles d’ici à 2022. « Cela nous offre une année additionnelle pour nous entraîner à produire des états financiers sous IFRS 17 et gagner en expérience sur l’analyse des données », juge Sébastien Bardy.
Ce décalage engendre toutefois un coût. « Ce report induit une année supplémentaire de gestion de projets avec production de comptes sous les deux normes », pointe Sébastien Bardy, estimant que cela reste toutefois supportable, le plus gros du budget ayant déjà été alloué au développement d’outils informatiques. « Il s’agit d’un projet particulièrement coûteux, se chiffrant notamment à plusieurs centaines de millions d’euros pour les grands groupes internationaux », atteste Maxime Simoen. Le projet implique en effet d’importants chantiers informatiques (développement d’outils de calculs de provisions, refonte du plan comptable…). Selon l’associé de Mazars, la mise en œuvre d’IFRS 17 se révèle ainsi, dans bien des cas, plus coûteuse que celle de Solvabilité 2.
La norme IFRS 17 doit être publiée sous sa forme définitive à la fin du deuxième trimestre 2020. « Il est essentiel que l’IASB fournisse dès que possible une norme actualisée afin que chaque acteur puisse traiter, sans risque de changement, les différentes problématiques opérationnelles éventuelles », avertit Sébastien Bardy.

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