L’assurance vie, la sève du non-coté

GESTION D’ACTIFS
Laurence Pochard
L’assurance vie, la sève du non-coté
L’assurance vie, la sève du non-coté  - 

Le nuancier des unités de compte (UC) s’élargit. La dette privée, l’infrastructure et le capital-investissement se rendent disponibles auprès des épargnants en assurance vie, leur permettant l’accès depuis les lois Croissance et Pacte à des produits habituellement réservés aux institutionnels et aux investisseurs avertis. Des gérants comme Apax, Amundi, Ardian, Eurazeo ou Tikehau branchent désormais des tuyaux entre leurs fonds et la distribution des assureurs vie. Axa, BNP Paribas Cardif, CNP ou MASCF, qui sont déjà investisseurs chez eux – et donc familiarisés avec ces classes d’actifs illiquides –, co-construisent les UC en question, qui ont l’avantage de transférer le risque à l’assuré. D’autres privilégient les solutions maison, comme Suravenir, qui ouvre un accès en UC au nouveau fonds d’Arkéa Capital, Breizh Ma Bro, investi en Bretagne et Loire-Atlantique (lire L’Entretien page 6).

Le biais des UC apporte aux gérants une clientèle plus large que celle des particuliers fortunés déjà rodés au non-coté. « Les unités de compte que nous avons mises en place en dette privée et en capital s’inscrivent dans la continuité de notre démarche pour accompagner les investisseurs privés qui souhaitent s’exposer au non-coté, retrace Frédéric Giovansili, directeur général adjoint de Tikehau IM. Il s’agit d’une stratégie de ‘retailisation’ destinée aux particuliers, comme nous l’avons déjà fait en Italie et en Espagne. Nous ne visons pas l’épargne de précaution mais le capital patient. Or l’épargnant français a la particularité de recourir pour cela à l’assurance vie, il a donc fallu concevoir un produit éligible à ce cadre. »

Tikehau a en effet déjà emboîté deux fonds dans des unités de compte. L’un, en collaboration avec MACSF, se consacre à la dette privée avec un fonds permanent, dont le sous-jacent porte sur de la dette unitranche d’entreprises européennes. Les tombées régulières et 3 % de trésorerie offriront la liquidité nécessaire aux sorties des assurés. Le rendement pour ces derniers est attendu à au moins deux fois celui du fonds euro. L’autre fonds, dédié aux entreprises de la transition énergétique (hors projets d’infrastructure), a trouvé un débouché en UC chez CNP, qui en est déjà investisseur avec son actif général. Le rendement attendu devrait se caler aux alentours de 8 %. Une autre UC thématique pourrait bientôt les rejoindre.

Gratter du rendement

Faute de fonds de pension, l’assurance vie des Français représente une nouvelle gouttière de financement pour les gérants de capital-investissement locaux. « Nous avons décidé d’entrer sur ce marché car, comme toute société, nous cherchons à étendre et diversifier notre base de clientèle, explique Guillaume Cousseran, directeur associé en charge des relations investisseurs chez Apax Partners. On parle de 2.000 milliards d’euros investis aujourd’hui dans l’assurance vie en France. Donc même si 1 % seulement se dirige vers le private equity, cela représente une source de capital très significative. En parallèle, la demande de la clientèle privée a fortement augmenté depuis une dizaine d’années : dans un contexte de taux très bas où les fonds euro ne rapportent plus assez, comme les obligations, la quête de rendement et de diversification oriente logiquement vers le private equity. »

Le gérant, parmi les pionniers du métier, aborde ce nouveau monde en partenariat avec un de ses souscripteurs historiques, Cardif. Résultat : un véhicule evergreen qui permet une collecte annuelle et offre l’accès aux deux stratégies de LBO (leveraged buy-out) d’Apax, avec les fonds desquelles il co-investit. Ils ciblent les PME et ETI non cotées pour financer leur croissance. L’investisseur a déjà réuni 70 millions d’euros après six mois. Après une période d’exclusivité, d’autres assureurs devraient référencer le produit, labellisé « Relance », comme AG2R, Axa et Spirica. Toutefois, la limite de collecte est liée à celle de la capacité de déploiement d’Apax, qui espère ainsi lever une centaine de millions d’euros annuels à ajouter à ses fonds institutionnels. Les cinq investissements signés depuis l’été 2020 ont permis d’alimenter en actifs le fonds dédié à l’assurance vie. En cas de volume insuffisant d’opérations, Apax s’est réservé la capacité d’investir temporairement dans de la dette privée ou des actions de gérants cotés en Bourse comme Altamir, Eurazeo ou Wendel. Le gérant évoque un rendement net annuel prudent sur le long terme entre 8 % et 12 % pour les détenteurs d’UC.

Car le rendement représente la grande force des classes d’actifs non cotés, qui permet de compenser leur illiquidité. En dette privée, 123 IM communique sur un rendement annuel net cible de 7 % pour un horizon de 6 ans pour son UC. Eurazeo, avec une gamme initialement développée par sa filiale Idinvest, propose une UC de private equity secondaire, c’est-à-dire qui va acquérir des parts de fonds de divers gérants, contenant déjà des actifs, avec à terme des participations dans une centaine d’entreprises diversifiées sectoriellement et géographiquement. Le deuxième millésime du fonds est présenté par des conseils en gestion de patrimoine avec un rendement annualisé supérieur à 7 % sur une période de 7 ans. Il vient d’achever sa collecte à 170 millions d’euros, levés à 70 % en UC chez Cardif et Sogecap essentiellement. Une troisième mouture devrait suivre en 2022. Isatis propose, lui, un autre fonds evergreen comprenant 60 % de titres de PME non cotées (capital et obligations), 35 % de fonds cotés axés sur les PME européennes et 5 % de trésorerie. Amundi rend aussi disponible son fonds de non-coté dédié aux méga-tendances en UC.

Le concret, c’est béton

L’autre attrait de ces UC réside dans l’aspect tangible des actifs financés : des PME, des ETI ou encore des projets d’infrastructure, loin de la finance dématérialisée. Axa France propose ainsi tous ces sous-jacents à travers deux fonds. « Nous avons de fortes ambitions sur nos deux FCPR (fonds communs de placement à risque), ces classes d’actifs infrastructure et private equity sont appelées à se démocratiser, estime Carole Boucher, responsable de l’offre investissements chez Axa France. Elles répondent clairement aux besoins de concret et de sens que les clients veulent donner à leur épargne, comme l’ont fait nos OPCI (organismes de placement collectif en immobilier) qui sont désormais parmi les plus importants du marché français. C’est pour cela aussi que nous communiquons sur des exemples d’entreprises et de projets financés. Notre dernier fonds dispose du label Relance, qui atteste son engagement à soutenir les entreprises françaises. » Côté entreprises, Axa s’est allié avec son ancienne filiale, Ardian, qui est aussi le plus grand gérant français de private equity. Ce dernier monte un fonds de fonds de capital-investissement pour 70 % du véhicule, le reste est piloté par Axa IM qui sélectionne des PME cotées. C’est aussi le gérant interne qui investit en direct en capital dans des projets d’infrastructures et gère une poche cotée sur le même secteur pour assurer la liquidité de l’UC dédiée.

Les gérants et les assureurs rivalisent donc de créativité pour permettre à leurs clients d’accéder à des classes d’actifs auxquelles ils croient. « Il va y en avoir d’autres, tous les assureurs un peu dynamiques vont proposer des unités de compte sur le non-coté, c’est le sens l’histoire, affirme Roger Caniard, directeur financier de la MACSF. Nous avons voulu être les premiers en dette privée ‘evergreen’, et nous ne nous interdisons pas de proposer de nouveaux produits innovants pour faire profiter de notre expérience à nos assurés. Il n’y a pas de risque de bilan car la liquidité est assurée au sein du véhicule en cas de rachat, donc pas de limite de taille pour l’assureur, nous pouvons alors aller loin en collecte avec ce fonds. »

Les UC prennent à présent toutes les teintes et se révèlent intéressantes pour les divers protagonistes, avec un vrai effort sur la liquidité. Des briques solubles, en somme.

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