
L’anonymat en ligne de mire

Illicites ou irrésistibles, les cryptomonnaies ne laissent personne indifférent. Et pour cause, les perspectives de profits peuvent apparaître alléchantes en dépit de la volatilité caractéristique de ce type d’actifs et des avertissements répétés des autorités des marchés. Le bitcoin a commencé 2017 à un peu moins de 1.000 dollars par bitcoin et a eu un rendement moyen de plus de 1.300 %, avec un pic à 19.000 dollars par bitcoin (voir tableau ). L’ether s’est apprécié de plus de 5.300 %.
« La particularité des cryptomonnaies est qu’elles combinent les avantages transactionnels de l’argent virtuel avec l’indépendance systémique du traitement des transactions décentralisées. De plus, comme pour l’or, la création de nouvelles unités bitcoin est compétitive. Tout le monde peut s’engager dans la création de nouvelles unités bitcoin en téléchargeant le logiciel respectif et en contribuant au système », explique la Fed de Saint-Louis.
Mais du fait de la raréfaction programmée du bitcoin (appelé à se tarir progressivement vers 2040) et de l’investissement technologique nécessaire, Morgan Stanley estime désormais que le minage du bitcoin n’est rentable qu’à un cours minimal de 8.600 dollars. Selon la Fed de Saint-Louis, « quelques grands mineurs dominent le processus. La raison est que la concurrence est devenue féroce et seules les grandes exploitations avec un matériel hautement spécialisé et l’accès à l’électricité bon marché peuvent encore tirer profit de l’exploitation minière. » Les orpailleurs des débuts ont disparu.
Fièvre
Malgré les risques, la fièvre des crypto-actifs saisit un nombre croissant d’investisseurs. Selon Morgan Stanley, les hedge funds auraient investi plus de 2 milliards de dollars dans les cryptomonnaies en 2017. Quelques banques anglo-saxonnes ou suisses font des incursions dans ces marchés. Ripple se targue de partenariats avec une centaine d’institutions financières. Parmi elles, UBS, Santander ou Bank of America. En France, la solution, qui combine blockchain et monnaie virtuelle (ripples) est testée par le Crédit Agricole depuis le mois de janvier 2018.
Selon les estimations, plus de 1.500 cryptomonnaies « officielles » coexistent. La première d’entre elles, le bitcoin, reste la monnaie préférée des acteurs du marché. La croissance vertigineuse de la valeur de marché des cryptomonnaies n’a permis à aucune d’entre elles de conquérir une respectabilité. Leur usage reste encore aujourd’hui étroitement associé au financement d’activités criminelles et à la fraude. Les transactions en lien avec des activités illégales représenteraient 20 % des transactions des principales cryptomonnaies, soit environ 600 millions de dollars par jour (source : Blockchain Intelligence Group Inc.)
Les crypto-actifs sont de plus la cible de choix des cyberattaques. Selon les calculs réalisés par les analystes du Wall Street Journal, au moins 1,4 milliard de dollars ont été détournés par des cybercriminels depuis 2014, le dernier épisode en date s’étant déroulé à l’encontre de la Bourse sud-coréenne Coinrail. Ces voleurs d’un genre nouveau sont quasiment assurés de ne pas être inquiétés. Saisie de ces crimes, la justice est dans l’incapacité de tracer les flux et de trouver l’argent dérobé, ce qui rend les inculpations difficiles. Les logiciels les plus perfectionnés se heurtent à une seconde difficulté : l’anonymat des transactions autorisé par certaines plates-formes d’échange, dans des juridictions moins regardantes.
A l’heure actuelle, la réglementation américaine des cryptomonnaies est sensiblement la même qu’en Europe. Celles-ci sont assimilées à des matières premières virtuelles et ne sont pas soumises à la réglementation financière. Le cas spécifique de l’ether sera tranché d’ici la fin de l’année, ont annoncé la CFTC (Commodity Futures Trading Commission) et la SEC (Securities and Exchange Commission). « Les produits dérivés sont déjà considérés comme des produits financiers et, à ce titre, entrent dans le champ de la réglementation financière, ce qui est une manière indirecte de réglementer le marché », explique Amélie Champsaur, avocate associée chez Cleary Gottlieb Steen & Hamilton.
Agrément
La surveillance du marché est en train de se durcir, sous l’impulsion de superviseurs qui s’intéressent de près à d’éventuelles manipulations des cours et ont lancé des enquêtes. En Europe, quand la cinquième directive anti-blanchiment sera transposée dans les Etats membres, d’ici fin 2019, « les plates-formes de monnaies virtuelles et les fournisseurs de plates-formes de stockage devront appliquer des mesures de vigilance à l’égard de la clientèle, mettant un terme à l’anonymat associé à ce type d’échanges ». Cette obligation, si elle était plus largement adoptée par les pays du G20, pourrait accélérer la concentration du marché. « Un rapport récent du cabinet P.A. ID Strategies estime qu’environ 70 % des plates-formes ne sont pas conformes aux procédures KYC. Un durcissement de la réglementation obligera ces Bourses à cesser d’accepter de nouveaux clients jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de satisfaire aux exigences réglementaires. Les plates-formes les moins actives ne pourront probablement pas faire face aux coûts réglementaires supplémentaires », rapporte Jibran Ahmed, directeur de la R&D chez Capco Digital. Ainsi, en mai 2018, l’américaine Kraken, 13e plate-forme mondiale, a annoncé son retrait des marchés hong-kongais et japonais. Le renforcement de l’arsenal réglementaire pourrait en être la cause.
Certaines plates-formes choisissent une relocalisation pure et simple de leurs activités. Binance, la première mondiale, a annoncé son départ de Hong-Kong pour Malte, qui apparaît comme le nouvel eldorado de la cryptofinance. « La majorité du volume des transactions passe par des plates-formes enregistrées à Malte, suivie par le Belize (Amérique centrale) », selon une étude de Morgan Stanley datant d’avril 2018.
En Europe, la transposition des directives sur les services de paiement (DSP2) et la lutte anti-blanchiment a été très inégale selon les pays. La Commission a lancé pas moins de seize procédures à l’égard d’Etats membres – dont Malte – qui n’ont pas, ou de façon incomplète, transposé la DSP2 en droit national, pratiquant une moins-disance fiscale et réglementaire pour attirer sur leur territoire des pépites technologiques.
En France, ces plates-formes doivent depuis 2014 disposer d’un agrément de prestataire de services de paiement délivré par l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution), ce qui suppose des obligations en termes de contrôle interne et de fonds propres disponibles. « Il s’agit d’une réglementation par acteurs, et non par actifs, qui ne permet pas de prendre en compte l’utilisation frauduleuse de ces actifs par des acteurs non régulés. Ces risques spécifiques mériteraient une réglementation plus adaptée », estime Amélie Champsaur.
Pour les régulateurs, la priorité reste la protection des investisseurs et des particuliers. « Tracfin et l’ACPR sont les deux interlocuteurs des banques. Nous souhaiterions les rencontrer afin de savoir précisément ce que les banques ont le droit de faire ou ne pas faire », a suggéré Nicolas Bodilis-Reguer, directeur des relations institutionnelles de la FBF (Fédération bancaire française) lors d’une audition de la mission d’enquête sur les monnaies virtuelles à l’Assemblée nationale.
Les banques et les investisseurs français restent globalement à l’écart de cette classe d’actifs, essentiellement pour des questions de conformité. « BNP Paribas est attentif, optimiste mais prudent, a déclaré au cours de la même audition Philippe-Olivier Rousseau, directeur des affaires publiques chez BNP Paribas. En particulier, nous n’accepterons pas d’assurer la tenue de comptes de plates-formes tant que les directives anti-blanchiment 4 et 5 ne seront pas totalement transposées, et que la question du statut légal des cryptomonnaies ne sera pas tranchée. »


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