
La cour d’appel de Paris temporise dans le dossier Elliott

Six mois d’attente ! Un délai exceptionnellement long pour connaître la décision de la cour d’appel de Paris sur le dossier Elliott, condamnée en avril 2020 par la commission des sanctions de l’AMF à 20 millions d’euros d’amende pour déclarations inexactes et tardives dans le cadre de l’OPA simplifiée de XPO sur Norbert Dentressangle en 2015, et pour entrave à l’enquête de l’AMF. Le délibéré sera rendu le 16 décembre 2021. L’enjeu – soutenir ou non l’interprétation de l’AMF – est d’autant plus important que pour la première fois sera rendue une décision sur les obligations déclaratives pour les produits dérivés.
Durant deux heures et demie de plaidoiries, Kami Haeri, associé chez Quinn Emanuel, avocat d’Elliott, et une représentante de l’AMF ont défendu leurs positions. Le premier demandant à titre principal l’annulation de la procédure et à titre subsidiaire de dire qu’aucun des trois griefs de l’AMF ne peut être retenu, la seconde le rejet du recours en intégralité. Quant au procureur de la République, il abonde dans le sens de l’AMF sans apporter d’argumentations nouvelles, invitant au rejet de tous les moyens du recours et jugeant «proportionnée» l’amende infligée par la commission des sanctions de l’AMF.
Au-delà de l’espèce, «l’enjeu de ce débat porte sur l’encadrement des pouvoirs de l’AMF et sur sa capacité à réinventer sa propre doctrine», annonce d’emblée Kami Haeri.
Sur la procédure, Elliott invoque des violations au stade de l’enquête, des poursuites et de l’instruction. Elle remet en cause la loyauté de l’AMF, lui reprochant de ne pas avoir respecté sa propre charte de l’enquête, en refusant de lui communiquer les pièces annexées à la lettre circonstanciée. Elle constate aussi que XPO a adressé 11 notes et courriers à l’AMF, dont quatre consultations du professeur Synvet, financées par XPO. Or l’AMF refuse de communiquer deux de ces consultations, comme de nombreux autres documents demandés par Elliott, expliquant qu’elle ne les cite pas et qu’ils n’ont pas eu d’influence.
Sur le grief de déclaration inexacte d’acquisitions de contracts for difference (CFD) alors qu’il s’agissait d’equity swaps, Elliott rappelle que le règlement général de l’AMF (article 231-46) n’impose pas de déclarer la nature précise des instruments financiers, mais de préciser l’identité du déclarant, la date de l’opération, le lieu, le nombre de titres concernés et le prix, et la détention de titres à l’issue. En revanche, l’AMF s’appuie sur une note de bas de page d’une instruction pour imposer cette déclaration. Pour Elliott, l’AMF a méconnu le principe de sécurité juridique en faisant d’une note de bas de page d’une annexe d’une instruction, un texte obligatoire. D’autant que la liste d’instruments indiquée par l’AMF n’est pas limitative. «Par le fait de ces renvois, ces instructions ont bien une valeur impérative», assène la représentante de l’AMF.
Distinguer CFD et equity swaps
Tandis que l’AMF convoque la théorie de la législation par référence, Elliott invoque la jurisprudence de la CEDH (avis du 29 mai 2020) qui prévoit des limites, notamment «les normes référées ne doivent pas étendre la portée de l’incrimination telle qu’elle est définie par la norme référente».
Pour Elliott, il n’y pas de différence objective entre CFD et equity swaps, comme le considèrent les autorités américaines et britanniques. D’ailleurs, certains déclarent devant l’AMF des CFD/Equity swaps, sans que le régulateur trouve à redire. L’AMF rappelle qu’elle enregistre mais ne valide pas ces déclarations. Pour sa part, l’AMF prend 14 pages de son rapport pour distinguer ces deux instruments.
Sur le grief de déclaration tardive de l’intention ou non d’apporter les titres à l’offre, Elliott rétorque que l’obligation ne s’impose qu’aux détenteurs de «titres acquis», comme le précise l’article 231-47 du règlement général de l’AMF, et non de dérivés. Dans sa décision, l’AMF évoque des «titres acquis par assimilation», un oxymore pour la défense d’Elliott. L’AMF s’appuie sur les travaux parlementaires pour affirmer que la déclaration concerne toute détention, y compris par assimilation, peu importe que le déclarant ait des titres ou des dérivés lors de sa déclaration d’intention. Dans sa plaidoirie, l’AMF précise que les textes parlent de «titres acquis» - englobant donc les dérivés et même les produits débouclables en numéraire selon l’Autorité - et non d’«actions acquises». Toutefois, l’AMF n’a pas développé cette assimilation entre titres et contrats financiers, comme les CFD ou les equity swaps, ni comment concrètement on peut apporter ces produits dérivés, surtout s’ils sont dénoués en espèces, à une offre en actions.
Tandis qu’Elliott explique que la crise grecque rendait incertaine ses intentions, l’AMF précise que les déclarations pouvaient être modifiées et pouvaient mentionner les incertitudes liées à la crise grecque.
Intentionalité de l’entrave ?
Sur le manquement d’entrave à l’enquête, jugé «déshonorant» par Elliott, elle argumente la nécessité d’un élément intentionnel, comme le précise la doctrine, notamment Maxime Galland, ancien de l’AMF. De plus, Elliott ne répondait pas à des demandes de l’AMF, mais à celle de son régulateur, la FCA britannique, elle-même saisie par l’AMF. Comment alors l’AMF peut-elle invoquer le droit français dans l’application d’une enquête confiée à un régulateur étranger ? s’interroge la défense d’Elliott. Sinon elle serait sous une double autorité, ce que ne disent ni la jurisprudence ni le texte (MMOU) de l’Organisation internationale des commissions de Bourses organisant la coopération entre l’AMF et d’autres régulateurs étrangers, précise-t-elle. Pour Elliott, l’AMF a fait dériver son pouvoir répressif, en considérant dès le début qu’elle était sous son autorité. Pour l’AMF, le MMOU ne limite pas sa compétence. Pour le gendarme boursier français, aucun élément intentionnel n’est nécessaire et l’obstruction peut relever d’une simple négligence.
Elliott estime avoir fourni tous les éléments demandés et n’avoir opposé aucun refus aux demandes de l’AMF. Or, l’Autorité explique n’avoir reçu les Swap Activity Reports et les Basket Supplemental Confirmations nécessaires à la compréhension des instruments litigieux qu’après la lettre circonstanciée, alors qu’elle le demandait dès l’enquête.
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