
La City veut se racheter une vertu

« Tout a commencé par un discours que l’on devait coécrire dans le cadre professionnel », témoigne cette salariée dans le département réglementaire d’une banque européenne à Londres, qui souhaite garder l’anonymat. Ironie de la situation : le texte porte sur l’égalité hommes-femmes. La jeune femme et son collègue masculin échangent leur numéro de téléphone. Très vite, la teneur des messages ne laisse guère de doute quant aux intentions de l’intéressé. Dans un premier temps, elle songe à prévenir la DRH, puis se ravise. Son « binôme » est en pleine dépression, elle ne souhaite pas aggraver la situation.
Une simple mise au point verbale mettra un terme à toute ambiguïté : « Je n’étais pas non plus très rassurée sur mon avenir professionnel, explique-t-elle. Que se serait-il passé si j’avais dénoncé tout haut le comportement de mon collègue ? » Car, dans l’univers feutré de la City, les nouvelles vont vite et les réputations se font et se défont : « Des mouvements à l’image de #MeToo ont sans doute donné plus de pouvoir aux femmes, y compris dans un milieu encore aussi ‘macho’ que la City, estime Gwen Rhys, fondatrice du réseau Women in the City. Mais prendre la parole et dénoncer des attitudes déplacées les expose et comporte encore un vrai risque professionnel pour elles. »
Depuis deux ans cependant, la révélation de scandales pousse les entreprises à agir. Une enquête à l’initiative de l’agence de presse Bloomberg a divulgué une série de cas de harcèlement sexuel au sein du Lloyd’s of London, marché tricentenaire de l’assurance britannique. L’institution a alors décidé de lancer un dispositif anonyme pour que les victimes signalent tout incident. et les personnes coupables de ces agissements se verront imposer un arsenal de sanctions, de la simple amende à l’interdiction d’exercer à vie.
« La culture a changé, explique Richard Fox, responsable de la division droit du travail au sein du cabinet d’avocats Kingsley Napley. Les employeurs sont de plus en plus conscients de ce phénomène et affichent souvent une tolérance zéro face aux comportements déviants. Par le passé, des entreprises pouvaient avoir tendance à faire preuve d’une certaine compréhension, en particulier quand des personnes à position et revenus élevés dans l’organisation étaient concernées. Ce n’est plus le cas. » Les mea culpa se multiplient : en juillet 2018, une ancienne stagiaire de la banque UBS basée à Londres a accusé l’établissement de ne pas l’avoir soutenue lorsqu’elle a dénoncé l’agression dont elle avait été victime en septembre 2017. Jugeant l’affaire « profondément bouleversante », UBS a revu ses procédures pour traiter les plaintes… Pour Gwen Rhys, « il est important que l’entreprise formalise ses exigences, de façon à permettre aux salariés victimes de comportements inappropriés de se saisir de ces règles de conduite et de mieux faire valoir leurs droits ».
Motivations économiques
Mais cette démarche est aussi motivée par des exigences économiques. Le London Metal Exchange (LME), Bourse des métaux londonienne, a ainsi décidé, au printemps, de durcir son règlement interne et d’interdire la consommation d’alcool aux traders. Motif : « Nos volumes d’affaires étaient nettement à la hausse, ce qui supposait que nos salariés soient en forme pour gérer ce surcroît d’activité », explique une porte-parole du LME.
Le durcissement de ton du régulateur britannique n’est pas non plus étranger au changement d’attitude des sociétés. « Le harcèlement sexuel et d’autres formes de comportements inappropriés peuvent aboutir à des infractions à nos règles de conduite, qui incluent l’obligation d’agir avec intégrité, et le SMCR (régime de responsabilité des dirigeants, NDLR) exige des entreprises qu’elles nous informent de toute infraction (…) », écrivait au comité parlementaire chargé des femmes et de l’égalité (Women and Equalities Committee), en septembre 2018, Megan Butler, directrice en charge de la supervision au sein de la Financial Conduct Authority (FCA). « Pour les entreprises et les individus régulés par la FCA, les comportements sexuels répréhensibles relèvent tout autant d’un problème réglementaire que de droit du travail », ajoute l’avocat de Kingsley Napley.
Du côté des victimes, la parole commence à se libérer. En 2018, la FCA a reçu 64 rapports concernant des comportements « non conformes » – y compris des plaintes pour discriminations sexuelles et racisme – contre 20 l’année précédente. « Dans notre cabinet, nous constatons une hausse significative du nombre de plaintes pour harcèlement sexuel », renchérit Richard Fox. Et les procès se multiplient. En avril, le gestionnaire de fonds IFM Investors a fini par transiger et verser 270.000 livres à Nathalie Abildgaard, suite à sa plainte à l’encontre d’un dirigeant de l’entreprise. L’analyste junior accusait ce dernier de harcèlement sexuel dans une boîte de nuit lors d’un déplacement professionnel. « Bien que je sois soulagée par le résultat de ce qui a été une année émotionnellement et financièrement difficile, je reste mortifiée par les barrières que les victimes doivent surmonter », écrivait-elle dans une déclaration soumise au comité Women and Equalities. Dans la foulée de son procès, l’ancienne analyste a créé une association pour aider les individus luttant contre les discriminations sur le lieu de travail. La transformation de la City n’en est qu’à ses débuts…
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RDC: à Ntoyo, dans le Nord-Kivu, les survivants des massacres commis par les ADF enterrent leurs morts
Ntoyo - Lundi soir, les habitants de Ntoyo, un village de l’est de la République démocratique du Congo (RDC), s’apprêtaient à assister à des funérailles quand une colonne d’hommes armés a surgi de la forêt. «Parmi eux, il y avait de très jeunes soldats», raconte à l’AFP Jean-Claude Mumbere, 16 ans, rescapé d’un des deux massacres commis par les rebelles ADF (Forces démocratiques alliées) dans la nuit de lundi à mardi, l’un à Ntoyo et l’autre dans un village distant d’une centaine de kilomètres. Le bilan de ces attaques, au moins 89 tués selon des sources locales et sécuritaires, a peu de précédent dans une région pourtant en proie à une instabilité chronique, victime depuis trente ans de multiples groupes armés et conflits. Les ADF, groupe armé né en Ouganda et qui a prêté allégeance à l’Etat islamique, est connu pour une extrême de violence à l'égard des civils. «Ils étaient nombreux et parlaient une langue que je ne comprenais pas. De loin, ils portaient des tenues qui ressemblaient à celles des militaires», se souvient le jeune homme, venu assister mercredi aux funérailles de sa soeur, l’une des victimes de ce nouveau massacre perpétré dans la province du Nord-Kivu. Plus de 170 civils ont été tués par les ADF depuis juillet dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, selon un décompte de l’AFP. Plus au sud, malgré les pourparlers de paix de ces derniers mois, des affrontements se poursuivent entre l’armée congolaise (FARDC) et affiliés, et le groupe armé antigouvernemental M23, soutenu par le Rwanda et son armée, qui s’est emparé des grandes villes de Goma et de Bukavu. A Ntoyo, Didas Kakule, 56 ans, a été réveillé en sursaut par les premiers coups de feu. Il dit avoir fui avec femmes et enfant à travers les bananeraies pour se réfugier dans la forêt voisine, avec d’autres habitants. Tapis dans l’obscurité, les survivants n’ont pu que contempler leurs maisons consumées par les flammes. «Les coups de feu ont retenti longtemps. Ma maison a été incendiée, ainsi que le véhicule qui était garé chez moi. Chez nous, heureusement, personne n’a été tué», dit Didas Kakule. Jean-Claude Mumbere, lui, a été touché par une balle pendant sa fuite. «Ce n’est qu’après m'être caché dans la forêt que j’ai réalisé que je saignais», affirme-t-il. «Inaction» Mercredi, Ntoyo, 2.500 habitants, n'était plus qu’un village fantôme, et la plupart des survivants partis se réfugier dans l’agglomération minière voisine de Manguredjipa. Une dizaine de corps étaient encore étendus sous des draps ou des bâches, battus par une forte pluie. Des volontaires ont creusé des tombes, assistés par des jeunes des environs, et planté 25 croix de bois dans la terre humide. Une partie des dépouilles avait déjà été emportée par les familles, les cercueils ficelés à la hâte sur des motos. Parmi les quelques proches de victimes venus aux funérailles, Anita Kavugho, en larmes devant la tombe de son oncle. Il est mort "à cause de l’inaction des autorités qui ne réagissent pas aux alertes», peste la jeune femmme, une fleur à la main. Des pickups de l’armée congolaise stationnent non loin, devant un véhicule calciné. Le déploiement de l’armée ougandaise (UPDF) aux côtés de l’armée congolaise dans le nord-est de la RDC depuis 2021 n’a pas permis de mettre fin aux multiples exactions des ADF, groupe formé à l’origine d’anciens rebelles ougandais. Quatre militaires congolais étaient présents à Ntoyo au moment de l’attaque. Les renforts stationnés à environ 7 km à Manguredjipa sont arrivés trop tard. «C’est leur faillite, on signale aux militaires que les assaillants sont tout près, et ils n’arrivent pas à intervenir», lâche Didas Kakule, amer. Cette énième tuerie risque d’aggraver la «fissure» entre l’armée et la population, estime Samuel Kakule, président de la société civile de Bapere. Les ADF «se dispersent en petits groupes pour attaquer nos arrières», répond le lieutenant Marc Elongo, porte-parole de l’armée congolaise dans la région, présent à Ntoyo mercredi. Quelques jours auparavant, les forces ougandaises et congolaises s'étaient emparées d’un bastion ADF dans le secteur et avaient libéré plusieurs otages du groupe, selon l’armée. Mais comme souvent, les ADF se sont dispersés dans la forêt, et ont frappé ailleurs. Une stratégie pour attirer les militaires loin de ses bases, selon des sources sécuritaires. © Agence France-Presse -
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