
Créances douteuses : Le spectre d’une nouvelle tempête

Les crédits douteux, ou non-performing loans (NPL), vont-ils être à nouveau sous les feux des projecteurs ? Les prévisions de ralentissement économique, voire de récession, l’augmentation des coûts de l’énergie et la hausse des taux sont autant de mauvaises nouvelles susceptibles de remettre les bilans des banques sous pression. Sur son site, la Banque centrale européenne (BCE) tire la sonnette d’alarme : selon un « scénario sévère mais plausible », la BCE anticipe un volume de 1.400 milliards d’euros de NPL d’ici à la fin de cette année. Soit encore plus que le pic de juin 2015, où les banques européennes en inscrivaient 1.200 milliards d’euros à leurs bilans. « Cette projection semble aujourd’hui bien trop négative mais cela montre l’élasticité des NPL aux crises économiques », explique une source financière.
Des efforts marqués
Incitées par les superviseurs à se débarrasser de ces prêts encombrants, les banques européennes sont parvenues à réduire le poids des NPL dans leurs bilans à 374 milliards d’euros, selon l’Autorité bancaire européenne (EBA). Conséquence, le ratio agrégé de ces prêts a même atteint un point bas, à 1,9 % des encours au premier trimestre 2022.
En Italie, qui concentre quelque 20 % de la totalité de l’ensemble des NPL des banques européennes avec 84 milliards d’euros au bilan, le marché s’est montré particulièrement dynamique. Les banques ont multiplié les cessions de portefeuilles à des fonds, utilisé des structures internes – Mediobanca possède MBCredit Solutions, qui gère environ 10 milliards d’euros de credit distressed – ou encore noué des partenariats avec des acteurs spécialisés. « Le marché secondaire des prêts non performants, qui se décompose en Italie entre les crédits avec de simples retards de paiement, les créances douteuses (UTP, ‘unlikely to pay’), jusqu’aux prêts à des sociétés déjà en faillite (‘bad loans’) se transforme progressivement, explique Guy Combot, analyste senior chez Moody’s. Autrefois dominées par les créances les plus risquées, les ‘bad loans’, les dernières transactions réalisées par les banques transalpines concernent davantage la catégorie UTP, qui représente en effet une part importante de leurs encours douteux. »
Des banques challengers ont même fait des distressed assets l’une de leurs spécialités, à l’image de Banca Ifis et, plus récemment, d’Illimity. Sous la conduite de Corrado Passera, cet établissement, dont l’une des divisions se concentre sur les crédits NPL et UTP dans le secteur corporate en Italie, a investi quelque 2,4 milliards d’euros net dans l’achat de credit distressed au cours des trois dernières années et demie. « Notre approche est basée sur une connaissance approfondie du tissu industriel de notre pays, explique Andrea Clamer, responsable de la division distressed credit d’Illimity. En tant que banque, nous avons des avantages compétitifs face aux fonds qui opèrent habituellement dans ce secteur : un coût de financement réduit, une approche de long terme et la possibilité d’acquérir et de gérer des crédits distressed dans des entreprises encore en activité. »
Les banques ont aussi massivement eu recours aux dispositifs de titrisation étatiques. Introduite en 2016, la GACS (garanzia sulla cartolarizzazione delle sofferenze), responsable de la moitié des transactions de NPL en Italie, a ainsi permis d’assainir le bilan des banques transalpines à hauteur de plus de 100 milliards d’euros de 2016 à 2021. Arrivé à expiration en juin, le dispositif fait actuellement l’objet de discussions entre l’Italie et l’Union européenne pour son renouvellement. Même constat en Grèce : lancé fin 2019, le dispositif HAPS (Hercules Asset Protection Scheme) a entraîné une réduction des NPL de près de 50 % en 2016 à 25,5 % au début de 2021 et à 6,7 % en mars 2022.
Un secteur solide
Ailleurs en Europe, la tendance au redimensionnement se poursuit. Dans l’Hexagone, l’année 2021 est ainsi venue confirmer la diminution des prêts non performants au bilan des six principales banques françaises, à la fois en valeur absolue (-7,5 %, à 105,7 milliards d’euros) et en proportion des encours de prêts (-0,3 point, soit 1,9 % fin 2021), selon l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Les cessions y sont restées anecdotiques. « Traditionnellement, les banques françaises préfèrent conserver la quasi-totalité de leurs NPL dans leur bilan, estimant sans doute qu’elles détruiraient de la valeur en les cédant avec décote sur le marché secondaire. Elles préfèrent donc les recouvrer elles-mêmes, ce qui n’exclut pas quelques cessions », estime Guy Combot.
En Espagne, 7 milliards d’euros ont été cédés l’an dernier à l’initiative des banques et de la Sareb, la structure de défaisance qui a hérité de l’ensemble des actifs immobiliers des banques lors de la bulle immobilière de 2008. Fin juin, il restait encore près de 48 milliards d’euros de NPL au bilan des prêteurs nationaux, selon la Banque d’Espagne.
« On va affronter une nouvelle crise sans avoir complètement géré les anciennes », résume une source. D’ores et déjà, les conséquences du Covid se font sentir : le Parlement italien vient de voter un texte de loi visant à favoriser la cession de crédits consentis durant la pandémie et bénéficiant d’une garantie de l’Etat, à une structure de place sous l’égide d’Amco, l’entité gouvernementale active depuis plusieurs années sur les marchés des NPL aux côtés des investisseurs privés. « Il est attendu de ce mécanisme de cession de créances qu’il facilite la restructuration de crédits au bénéfice d’entreprises susceptibles de faire défaut », explique Guy Combot. La solidité actuelle du système bancaire européen apporte néanmoins un certain réconfort. « Le secteur devrait pouvoir supporter une augmentation importante des provisions sans avoir à épuiser ses ressources en capital », anticipe Marco Troiano, responsable des institutions financières chez Scope Ratings. Si la hausse des NPL dans les bilans ne fait plus aucun doute, les interrogations se portent désormais sur l’étendue du phénomène et sur son calendrier. « Le cycle de la qualité des actifs a tendance à être en retard sur le cycle économique, estime l’analyste de Scope Ratings. Pour cette raison, nous n’anticipons pas de formation significative de NPL cette année. » Pour 2023, les pronostics restent ouverts.

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