Conseiller bancaire en… 2028

Henri, 45 ans, conseiller particulier dans l’agence d’une grande banque mutualiste à Avignon, décrit un environnement de travail modifié par les outils nourris à l’intelligence artificielle.
Yves Rivoal
AI - banquier

« J’me présente, je m’appelle Henri, j’voudrais bien réussir ma vie… » Sacré Oscar ! Tous les matins, lorsque j’entre à 9 heures dans le hall de mon agence située cours Jean-Jaurès, au cœur de la vieille ville d’Avignon, j’ai le droit à une petite blague. Aujourd’hui, la référence à mon prénom « vintage » est claire. Histoire de laver l’affront, je me fends d’un « Hey Oscar, tu devrais t’inscrire à The Voice. » Oscar se marre, ma journée peut commencer.

Mais je m’aperçois que j’ai oublié de faire les présentations. Oscar est le chatbot chargé d’accueillir et d’orienter les clients lorsqu’ils pénètrent dans le hall de l’agence. Grâce à la caméra de reconnaissance faciale et au système d’identification forte installé dans les smartphones – qui a remplacé depuis l’année dernière la carte d’identité –, Oscar salue les personnes par leur nom et les invite à se rendre dans l’espace central. Oscar a aussi pour mission d’aider les clients à utiliser les nouveaux écrans interactifs qui ont remplacé il y a six mois les DAB devenus obsolètes depuis que l’Etat a retiré du circuit les billets et les pièces, les chèques ayant eux tiré leur révérence il y a deux ans. Sur ces écrans digitaux, les clients ont accès à leur banque en ligne, mais aussi à l’ensemble de l’offre de produits et services proposés par la banque, qui s’est transformée en une sorte de hub interconnecté autour duquel gravitent une multitude de partenaires. En venant chez nous, les clients peuvent acheter de la défiscalisation, de l’immobilier, de l’automobile, du voyage, de la télésurveillance, de la télémédecine, des services à la personne…

En dix ans, beaucoup de choses ont changé. Les clients, qui gèrent depuis longtemps, en toute autonomie, la quasi-totalité de leurs opérations sur leur banque en ligne, ne viennent en agence qu’exceptionnellement. Pour des problématiques complexes en matière d’immobilier, de succession ou de défiscalisation pour lesquelles ils ont besoin de réassurance… Cette transformation des usages a conduit les groupes bancaires à réduire la voilure. Rien qu’à Avignon, notre banque a fermé trois agences sur six. Et celles de Saint-Saturnin-lès-Avignon, Morières-lès-Avignon, Montfavet et Villeneuve-lès-Avignon ont été remplacées par des « Points conseil » où les clients peuvent accéder à l’ensemble de leurs services bancaires via un écran digital. Un petit bureau nous permet de recevoir ceux qui ne peuvent pas se déplacer jusqu’à l’agence ou qui restent réfractaires à la banque à distance.

Portefeuille

Tout ceci ne s’est pas fait sans casse sociale, mais l’intelligence artificielle (IA) n’a pas supprimé la moitié des postes dans les banques comme certains le prédisaient, et les conseillers bancaires n’ont pas été remplacés par des robots. Dans les agences, qui sont désormais plus grandes – la mienne fait 1.000 mètres carrés –, les redéploiements et les départs à la retraite non renouvelés ont permis d’assurer une transition en douceur. Ce sont les call centers des services clients qui ont été le plus touchés par l’arrivée des chatbots qui répondent désormais à toutes les demandes de niveau 1.

L’apport des outils digitaux a aussi profondément changé le profil des conseillers particuliers, qui est monté en gamme. Les compétences attendues ne sont plus centrées sur la connaissance de l’offre, de la réglementation ou la gestion des risques. Tous ces items sont traités lors des trois mois de formation délivrés à l’université du groupe avant chaque prise de poste. Ce que les recruteurs recherchent aujourd’hui chez un conseiller, c’est l’autonomie, le relationnel, la pédagogie, la capacité à prospecter, à gérer et développer un portefeuille en détectant les besoins des clients et en proposant des solutions de financement adaptées... Au sein de l’agence, plus de la moitié des conseillers particuliers n’a pas de formation bancaire ou financière. Dans l’équipe, il y a des master 2 en relation client, deux transfuges de chez Apple et Nespresso, une ancienne directrice d’hôtel... La double compétence relation client et expertise métier est particulièrement appréciée. En ce qui me concerne, c’est pour mon master 2 relation client, option immobilier, et pour mes dix ans d’expérience en agence et promotion immobilière, que la banque est venue me chercher.

Je laisse Oscar à ses blagues pour me diriger vers le distributeur de café installé au centre de l’agence où trois collègues sont en train de refaire le match. Hier soir, l’OM a battu le PSG 3-1 au Vélodrome. C’est donc d’humeur joyeuse que je m’installe sur le premier écran libre. Nous travaillons désormais sur des postes installés au milieu du public. Pour recevoir les clients, nous disposons d’espaces semi-confidentiels et de box fermés aménagés avec de grands écrans tactiles qui se pilotent au doigt et à la voix, les technologies de reconnaissance vocale ayant envoyé aux oubliettes les claviers et souris d’antan.

Lorsque je m’assieds devant l’écran, le système de reconnaissance facial m’identifie instantanément et ouvre mon espace personnel qui ressemble à un cockpit de Formule 1. Derrière l’interface qui me permet d’accéder à mon portefeuille de clients et prospects, à la base de données produits et services, ainsi qu’aux outils de simulation et de réalité augmentée (RA), se cache un concentré impressionnant d’IA : des systèmes experts et de scoring, des bases de connaissances interrogeables en langage naturel, des moteurs de recommandation et des outils de diagnostic clients... Nous n’avons, par exemple, plus à gérer l’aspect administratif, la conformité et les risques. C’est mon assistant personnel, Elliot, qui se charge de mon agenda et de répondre à 90 % des mails que je reçois. Grâce à tous ces nouveaux outils, je pilote aujourd’hui un portefeuille de 1.000 clients, alors qu’il y a dix ans, je ne m’en sortais pas avec 500...

La première chose que je fais le matin, c’est de consulter l’activité de la soirée et de la nuit sur mon portefeuille. Je peux en effet visualiser toutes les actions effectuées par mes collègues de l’équipe du soir, l’agence fermant ses portes à 21 heures, mais aussi par les chatbots du site internet, de l’application et du service client. Après avoir parcouru rapidement les mails envoyés automatiquement par Elliot, une lecture rapide des nouveaux contrats m’apprend que l’un de mes clients a obtenu un crédit à la consommation de 2.000 euros. Les outils de scoring ayant fait ressortir un niveau d’endettement acceptable, Elliot a accepté la demande et finalisé la souscription qui s’est faite par signature électronique.

M. Bartoli

Une alerte s’affiche sur mon écran. Elliot m’annonce que mon rendez-vous de 10 heures est arrivé. Monsieur Bartoli est un prospect qui a été identifié après avoir effectué des recherches sur internet sur les voitures sans conducteur. Un chatbot dédié à la prospection l’a appelé pour lui présenter l’offre exceptionnelle sur la Google Car de notre filiale spécialisée en location longue durée (LLD) et location avec option d’achat (LOA). J’ouvre rapidement la fiche de Monsieur Bartoli qui comprend la photo de sa page Facebook, ses informations d’identité, ainsi que des données fournies par Alldata, notre partenaire qui se charge de nous alimenter avec des données issues d’internet, des réseaux sociaux et de la géolocalisation des smartphones. Grâce au croisement de ces datas avec celles récoltées sur les comptes des clients, nous sommes en capacité de faire du marketing prédictif, comme avec Monsieur Bartoli que je rencontre pour la première fois. Sa fiche m’indique qu’il a 45 ans, qu’il est marié, père de deux enfants de 15 et 19 ans et qu’il exerce la profession d’avocat. Avant de le rejoindre, je parcours rapidement la liste de recommandations qui pourrait m’aider à l’inciter à acheter sa voiture chez nous. Je note qu’il partira à New York à Pâques avec toute sa famille. Pendant l’essai de la Google Car que nous ferons en réalité augmentée, je le transporterai dans le flot de la circulation sur la 5e avenue...

Je repère tout de suite Monsieur Bartoli qui est en train de consulter son assistant personnel, confortablement installé dans un fauteuil. Juste à côté, des étudiants en BTS du nouveau lycée construit à proximité sont en train de préparer un exposé. L’agence est devenue un vrai lieu de vie, une sorte de « place du village » où les gens viennent entre deux rendez-vous pour travailler, se connecter au wi-fi à très haut débit, ou simplement boire un café. Nous mettons également à disposition des entreprises, des écoles et des associations, deux salles de 20 places avec grand écran dans lesquelles nous organisons aussi des ateliers d’éducation sur la Bourse, l’épargne, l’immobilier...

Il va falloir que j’y aille. J’ai une journée chargée, après Monsieur Bartoli, j’ai encore trois rendez-vous programmés ce matin à l’agence et deux cet après-midi en Point conseil à Montfavet et Villeneuve-lès-Avignon. Sur ce, je vous laisse, bonne journée…


jalgos-julien-muresianu.jpg

Julien Muresianu, cofondateur, Jalgos

« En 2028, les outils digitaux rendront les conseillers plus performants. Grâce aux algorithmes d’intelligence artificielle qui croiseront les données bancaires d’un client avec son activité sur internet ou les réseaux sociaux, le conseiller bancaire pourra lui pousser des offres qui collent à ses besoins ou qui les anticipent. Grâce aux outils prédictifs, il saura par exemple qu’une nouvelle naissance est attendue dans la famille. »


invyo-alexandre-velut.jpg

Alexandre Velut, CEO, Invyo

« En 2028, le nombre d’agences et de conseillers bancaires aura été réduit de manière drastique. Pour se reconnecter avec leurs clients de plus en plus tentés par le numérique, les banques privilégieront des agences de taille plus importante et conçues sur le modèle des Apple Store. Dans ces lieux de vie où on aura plaisir à aller, les clients pourront échanger avec un conseiller, mais aussi assister à des ateliers d’éducation financière ou simplement boire un café… »


ca-alpes-provence-yann-lhuissier.jpg

Yann Lhuissier, directeur général adjoint, Crédit Agricole Alpes Provence

« En 2028, le Crédit Agricole sera toujours une banque universelle de proximité, 100 % digital et 100 % humain, le client ayant à tout moment le choix d’opter pour une relation digitale ou physique avec un conseiller. Notre réseau s’articulera autour de grandes agences, qui concentreront plus de compétences et de spécialisation. Sur les territoires, des points conseil seront 100 % digitaux, avec un espace qui permettra aux conseillers bancaires de recevoir les clients en mobilité. »


cm-arkea-erwan-cabillic-copyright-benjamin-deroche.jpg

Erwan Cabillic, directeur des opérations clients et conseillers, Crédit Mutuel Arkéa

« En 2028, les conseillers bancaires n’auront pas été remplacés par les robots, mais ils n’interviendront plus au même moment, ni pour les mêmes besoins. Tout ce qui relève du service client de niveau 1, du transactionnel ou de la souscription de nouveaux produits, sera traité par des outils digitaux. Le conseiller bancaire sera un coach financier, au service de son client, qui l’accompagnera dans la réalisation de ses projets. »


mieuxplacer-guillaume-olivier-dore.jpg

Guillaume-Olivier Doré, fondateur et CEO, mieuxplacer.com

« En 2028, les conseillers bancaires assumeront sans honte le fait de vendre des produits que les banques distribueront sur des plates-formes. Sur ces hubs interconnectés, les clients auront accès à des solutions d’épargne, de crédit ou de défiscalisation conçues par la banque, mais aussi à des offres pour acheter des automobiles, de l’immobilier ou du voyage qui seront, elles, distribuées pour le compte de partenaires. »

Un évènement L’AGEFI

Plus d'articles du même thème

Contenu de nos partenaires

A lire sur ...