BANQUES EUROPEENNES - Valeurs intouchables

BANQUES EUROPEENNES
Alexandre Garabedian
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Acheter des actions de banques européennes relève-t-il de l’investissement ou du mécénat ? Depuis le début de l’année, le secteur plonge de 40 % en Bourse – la performance de l’indice Stoxx Banks 600. D’autres font pire, mais la sous-valorisation par rapport à l’ensemble de la cote atteint désormais des niveaux historiquement élevés (voir graphique). La plupart se paient entre 0,4 et 0,5 fois leur actif net comptable estimé pour 2020, parfois moins, comme la Société Générale (0,25 fois), créditée de résultats décevants au premier trimestre. On a beaucoup dit, depuis le début de la pandémie de coronavirus, que les banques seraient cette fois la solution aux maux de l’économie, et non plus le problème à traiter. Mais leurs actionnaires ne voient pas vraiment la différence.

Le secteur est entré dans la crise lesté de sérieux doutes sur son modèle économique. La faiblesse des taux, la transformation digitale et le coût croissant de la réglementation ont depuis des années fait plonger sa rentabilité et ont transformé son profil : beaucoup d’argent investi pour un retour faible, voire inférieur au coût du capital. La récession brutale et synchronisée provoquée par le confinement ajoute deux nouveaux boulets aux pieds des valeurs bancaires. D’abord, les reports ou suspensions des dividendes au titre de 2019, intervenus dès mars sous la pression des superviseurs et des pouvoirs politiques et qui, en France, équivalent à une suppression pure et simple, puisque le Code du commerce ne permet pas de verser un dividende après le 1er octobre. « Pour un investisseur, s’il admet que les banques sont devenues des ‘utilities’, l’essentiel de sa thèse repose sur le dividende… Le sujet du dividende est exacerbé en Europe, surtout en zone euro et au Royaume-Uni », rappelle Julien de Saussure, gérant-analyste spécialisé dans la dette financière chez Edmond de Rothschild Asset Management. Les deux géants suisses, Credit Suisse et UBS, ont échappé à cette mesure, de même que les banques américaines.

Le coût du risque, une incertitude majeure

Le second handicap tient à la flambée du coût du risque. Voilà des années que cette ligne dans les comptes ne concentrait plus l’attention des analystes, davantage préoccupés par l’évolution des marges ou de la solvabilité, hormis lors d’alertes ponctuelles comme le secteur du pétrole en 2016. Elle a dominé les publications de résultats du premier trimestre, avec des différences énormes entre établissements. Les provisions comptabilisées pour couvrir à la fois les défauts avérés et la possible dégradation des encours de crédit sains vont constituer une incertitude majeure dans les prochains trimestres. Peu de groupes se sont hasardés à faire des prévisions publiques. Pour les trois exercices 2020-2022, les analystes de Morgan Stanley estiment à 220 points de base en moyenne le coût du risque cumulé des banques européennes... avec des écarts de 1 à 6 entre UBS (0,8 %) et l’espagnol BBVA (4,7 %). Des prévisions largement dépendantes d’un scénario macroéconomique délicat à établir. Un fossé se creuse aussi entre les discours officiels et les prévisions des analystes, alors que les équipes de relations investisseurs parviennent d’ordinaire à piloter le consensus. Exemple avec BNP Paribas, qui a prédit une baisse de 15 % à 20 % de son résultat net en 2020. « Nous sommes plus prudents, avec une estimation du coût du risque de 10,7 milliards d’euros ou 127 pb pour un résultat net estimé de 2,2 milliards en 2020, bien en-dessous de la prévision de 6,5 à 6,9 milliards faite par BNP », ont réagi les analystes de JPMorgan.

« Du point de vue actions, il y a beaucoup trop d’inconnues aujourd’hui, notamment sur le niveau du coût du risque dans les deux ans à venir, pour qu’un investisseur actions regarde le secteur de manière constructive malgré la faiblesse des multiples de valorisations, résume Philippe Bodereau, responsable de la recherche crédit mondial et analyste en chef pour les institutions financières internationale chez Pimco. En revanche, du point de vue du crédit, les banques européennes sont attractives : on trouve des rendements de 6 % à 7 % sur certaines dettes subordonnées, et les coussins de fonds propres par rapport aux exigences réglementaires ont tendance à augmenter. » Contrairement à la période 2007-2009, les banques ont abordé 2020 nanties de confortables réserves. Celles-ci leur permettent d’absorber la dégradation de leurs résultats sans soulever, à ce stade, de craintes sur la nécessité d’augmentations de capital dilutives. « Les prix n’intègrent pas de décote liée à la perspective d’augmentation de capital. A la différence de 2008, peu de banques ont détruit du capital au premier trimestre, la plupart ont eu de bonnes performances de ‘trading’, et les autorités ont pris des mesures de soutien inédites aux emprunteurs qui permettent d’étaler les pertes sur les portefeuilles de crédit », fait valoir Philippe Bodereau.

Hypothèque prudentielle

La réaction immédiate et massive des banques centrales, des Etats et des régulateurs bancaires atténue en effet le choc de la crise pour le secteur. Les contraintes en capital et en liquidité ont été allégées le temps nécessaire pour éviter un rationnement du crédit, l’achèvement des réformes Bâle 3 reporté, l’application des normes comptables IFRS 9 assouplie. Ces coups de pouce pourraient-ils devenir permanents et lever l’hypothèque prudentielle qui pèse sur les perspectives des banques ? « Les mesures d’assouplissement réglementaire sont en partie temporaires, rappelle Hélène Spira, analyste banque et immobilier chez Groupama AM. Elles devraient durer le temps nécessaire pour ne pas fragiliser le secteur. Et c’est seulement une fois que les banques auront reconstitué leurs coussins de liquidité et de capital que l’on pourra envisager une reprise du dividende et des rachats d’actions. » Pour Philippe Bodereau, « il faut espérer qu’en sortie de crise, les régulateurs resteront pragmatiques. Le cadre européen est aujourd’hui trop rigide et mécanique quant à la gestion des coussins de capital : lorsque le ratio de fonds propres durs (CET1) d’une banque se dégrade, celle-ci n’a plus de marges de manœuvre. Les banques américaines ne sont pas soumises à la même pression réglementaire si leur ratio CET1 diminue, ce qui leur permet de provisionner les risques plus vite et plus fort. »

D’autres inconnues de l’équation économique ne plaident pas non plus en faveur des banques. L’intervention sans précédent des banques centrales laisse espérer, au moins pour les prochains trimestres, des taux d’intérêt au plancher et des courbes des taux aplaties. Rien d’engageant pour les marges d’intérêt. Le confinement a déformé la production de prêts, avec une chute des crédits à la consommation, rémunérateurs, au profit de prêts garantis qui transforment les établissements de crédit en services publics. « Nous ne gagnons pas d’argent sur les prêts garantis par l’Etat », rappelle Philippe Brassac, le directeur général de Crédit Agricole SA, en soulignant le rôle moteur de la première banque française dans ce qu’il nomme « l’opération de pontage de l’économie. »Au bout du compte, « le secteur ne retrouverait en moyenne le niveau de profits de 2019 qu’autour de 2023 », écrivent les analystes de Morgan Stanley. Faute de visibilité et de perspectives engageantes, reste le pari d’un rebond boursier au vu des décotes historiques auxquelles traite le secteur. « A ces multiples-là, on pourrait se dire que c’est le moment d’acheter. Mais cela fait des années que ça dure et il n’y a jamais de catalyseur à la hausse », se désole un investisseur. La définition même d’un piège de valeur (value trap), en jargon boursier.

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