Avocat en entreprise, une question de statut

La Chancellerie a renoncé le 5 mars à créer cet avocat nouvelle génération. Regards croisés sur ses enjeux, ses missions et son profil.
Chloe Enkaoua
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Une arlésienne qui devra encore attendre avant de prendre forme. Dans un avant-projet de loi, le ministère de la Justice prévoyait d’expérimenter pendant cinq ans dans des barreaux volontaires le statut d’avocat salarié en entreprise, malgré les voix dissonantes qui s’élevaient chez les professionnels du droit. Alors que la majorité des avocats d’affaires et des juristes d’entreprise saluaient une avancée majeure et nécessaire, les institutions représentatives de la profession telles que le Conseil national des barreaux (CNB) brandissaient, pour leur part, la menace d’un « sous-avocat » qui n’aurait pas les mêmes droits et devoirs qu’un avocat libéral. Et qui ne serait, en somme, qu’un instrument permettant aux juristes d’entreprise de se prévaloir du secret professionnel. Ces arguments ont finalement poussé la Chancellerie à retirer le 5 mars son projet [les personnes citées dans l’article ont été interrogées avant cette date, NDLR].

Pourquoi ces polémiques ? Sans avoir à raccrocher la robe, un avocat pourrait devenir demain le conseil exclusif d’une entreprise à laquelle il serait directement rattaché, sans pouvoir plaider. L’objectif est de moderniser la profession mais aussi d’accroître la compétitivité des entreprises françaises en les plaçant à armes égales avec d’autres pays où le statut d’avocat en entreprise est déjà établi. « L’avocat français salarié en entreprise existe mais à l’étranger seulement. C’est bien là le cœur du problème », soupire Louis Degos, managing partner de K&L Gates et cosignataire de la tribune « L’avocat en entreprise, le droit au service de la souveraineté économique ». Avec la création de ce statut en France, les praticiens du droit en entreprise pourraient ainsi bénéficier de l’indépendance et du secret professionnel de l’avocat. Des notions qui restent toutefois à clarifier, certains pointant du doigt le lien de subordination avec un employeur incompatible avec le statut d’avocat, et le flou autour du legal privilege qui serait accordé. « A certains égards, nous faisons le même métier, que nous soyons en entreprise ou en cabinet », estime pour sa part Hervé Ekué, associé en marchés de capitaux internationaux et managing partner d’Allen & Overy Paris. « Nous avons donc besoin des mêmes règles pour être sûrs que l’on respecte tous le même code de déontologie et que l’on bénéficie des mêmes protections. Dans un environnement international, cela nous permettrait d’intervenir dans un cadre beaucoup plus serein. Par ailleurs, donner un certain nombre des privilèges des avocats à ceux qui souhaiteraient se diriger en entreprise me semble être une bonne manière de motiver les plus jeunes à continuer à choisir notre métier. »

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Rappelant que juristes d’entreprise et avocats partagent une même formation académique, le directeur juridique de Natixis, Christian Le Hir, parle d’une reconnaissance bienvenue. « La création de ce statut participerait à une meilleure valorisation de la fonction juridique. Cela peut en effet inciter à davantage solliciter le juriste interne puisqu’on va le considérer comme un pair de son collègue qui travaille en cabinet, analyse-t-il, avant de dresser le profil type du futur avocat en entreprise. Il doit, pour nous, reposer sur trois grands piliers : l’expérience juridique et la connaissance de la réglementation, la maîtrise des outils digitaux, mais aussi les ‘soft skills’ comme la communication, la négociation ou encore la pédagogie. »

Concernant les conditions d’accès à cette fonction, il faudrait avoir été avocat pour devenir avocat salarié en entreprise. L’avant-projet de loi indiquait toutefois que les juristes disposant d’une expérience de plus de 5 ans auraient pu également prétendre à ce titre après un examen déontologique. Les missions auraient été les mêmes que celles du juriste d’entreprise ; l’aspect conformité à la loi, mise aux normes et prévention des risques aurait toutefois été renforcé. « Cette casquette de commissaire au droit serait de plus en plus prégnante, entre règles de conformité et lutte anti-blanchiment, confirme Louis Degos. Pour le reste, la fonction serait très généraliste, les sujets en entreprise étant très diversifiés. »

La plaidoirie devait rester, pour sa part, l’apanage de l’avocat en cabinet. « Nous n’avons pas de vocation de représentation de notre propre entreprise, souligne Christian Le Hir. De manière générale, la création de ce statut ne modifierait pas notre manière de fonctionner avec des conseils externes, qui apportent une vision du marché plus large et des capacités pour répondre à des besoins ponctuels. » Un avis partagé par Alexander Premont, associé en banque/finance chez Hogan Lovells, qui s’appuie sur son expérience dans le secteur bancaire et financier. « Nous sommes exposés à une pluralité de transactions qui nous donnent une certaine hauteur de vue et connaissance du marché. Et ce d’autant plus que nous sommes amenés à représenter aussi bien les prêteurs que les emprunteurs, explique-t-il. Les juristes internes, bien que très expérimentés et bien conseillés, peuvent parfois avoir une vision plus «monoligne’ du business pour lequel ils agissent. » Par ailleurs, selon l’associé, dans un contexte où le marché tend à la sous-spécialisation au sein des cabinets d’affaires (notamment en financement avec les acquisitions, rachats à effet de levier, actifs, projets), l’avocat en cabinet aura potentiellement un temps d’avance par rapport à celui qui, demain, pourrait exercer en entreprise. « Je ne sais pas si l’avocat salarié en entreprise serait aussi bien exposé au marché et équipé pour suivre en ‘live’ toutes les tendances », commente Alexander Premont. Egaux… ou presque.

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