
Avis de tempête sur le crédit à la consommation

La remontée des taux secoue fortement les acteurs du crédit à la consommation. Au lendemain de résultats record en 2022 excédant 10 milliards d’euros, BNP Paribas a présenté aux partenaires sociaux de sa filiale Personal Finance un plan de départs volontaires permettant de supprimer 921 postes. En ajoutant les effets de la pyramide des âges et des départs naturels non remplacés, le spécialiste qui opère sous la marque Cetelem compte, selon des sources syndicales, réduire de 30 % au total sa masse salariale d’ici à 2025. L’objectif est clair : tailler dans les coûts fixes, alors que le crédit à la consommation dans l’Hexagone a cessé d’être la vache à lait des groupes bancaires. Selon une source syndicale, la banque anticipe un retour sur fonds propres (RONE) négatif en 2023 pour Personal Finance en France si ce plan d’adaptation n’est pas mis en œuvre.
La filiale de BNP Paribas n’est pas la seule à être chahutée depuis le choc inflationniste aggravé par la guerre en Ukraine et le changement de politique monétaire de la Banque centrale européenne. Oney Bank, filiale de BPCE et d’Auchan détenue majoritairement par le groupe mutualiste, a publié un résultat négatif au quatrième trimestre 2022. S&P Global Ratings a révisé la perspective sur sa note de stable à négative le 26 janvier, pointant « la dégradation de la qualité des actifs et des indicateurs de rentabilité ». Si le spécialiste du crédit à la consommation sur les lieux de vente indique à L’Agefi qu’aucun plan social ou plan de départs volontaires n’est à l’ordre du jour, il est contraint de « renforcer son modèle économique pour assurer une rentabilité durable ».
La fin de l’ère de taux bas fragilise en effet les spécialistes du crédit à la consommation qui doivent retravailler leurs fondamentaux… et revoir leur modèle de tarification. Tandis que les coûts de refinancement augmentent sous l’effet de la remontée des taux, la réglementation française sur le taux d’usure – le taux plafond auquel les banques peuvent prêter – les empêche d’ajuster leurs taux aussi rapidement que la courbe des taux du marché. Initialement calculé sur le trimestre, le taux d’usure est mensualisé depuis le 1er février 2023. Mais cette mesure temporaire, en vigueur jusqu’au 1er juillet, ne « va pas régler tout le problème, juge Françoise Palle Guillabert, déléguée générale de l’Association des sociétés financières (ASF) qui représente 50 % du marché. Il manque toujours 150 points de base (pb) pour permettre aux banques de retrouver des marges sur le crédit à la consommation ».
« Compte tenu des taux auxquels les maisons mères bancaires se refinancent à 10 ans, des frais fixes (structure, salaires) et du coût du risque (1,5 % en moyenne), la hausse du coût de refinancement pour les filiales spécialisées conduirait à dépasser largement le niveau de l’usure au 1er février. Cela signifie que sur des montants supérieurs à 6.000 euros, elles prêtent aujourd’hui à perte ou ne prêtent plus », ajoute Françoise Palle Guillabert.
« Après deux ans de fort développement, la croissance des volumes a permis à Crédit Agricole Consumer Finance de compenser la faiblesse des marges sur l’activité en France », explique son directeur général Stéphane Priami. Mais l’effet volumes pourrait bientôt s’essouffler dans un contexte de forte pression sur le pouvoir d’achat des ménages et de plus grande sélectivité des banques soucieuses de maîtriser leur coût du risque. La dynamique de croissance des prêts a commencé à s’infléchir en fin d’année 2022, la production entamant son ralentissement en novembre, comme l’illustrent les dernières données publiques de l’ASF (voir les graphiques). Ses sociétés adhérentes ont ainsi constaté sur le terrain les signes d’une dégradation de la demande avec les premiers impayés et demandes de reports de remboursement de la part des clients. Dans ce contexte, « nous nous montrons plus sélectifs car nous devons réaliser une balance entre la marge et le coût du risque. Nous coupons donc les lignes de crédit les plus risquées », reconnaît Stéphane Priami.
Réduire les coûts opérationnels
Les crédits à la consommation étant des produits aux maturités courtes, le stock tourne rapidement et les acteurs spécialisés doivent se montrer d’autant plus vigilants sur l’évolution du coût du risque. Actuellement, celui-ci reste maîtrisé, autour de 150 pb en moyenne. « Mais son évolution, anticipée comme défavorable dans le contexte actuel, reste incertaine car les modèles traditionnels sont mis à l’épreuve », remarque Amine Belaicha, managing director au sein du cabinet de conseil Alvarez & Marsal. Au final, les acteurs du crédit à la consommation « doivent continuer à générer de la production à un certain niveau de marge sans subir trop d’impayés. Un équilibre difficile à trouver », conclut-il.
Puisqu’elles ne peuvent pas agir sur les coûts de refinancement ni sur l’évolution du coût du risque, les banques ont un seul levier à leur disposition pour traverser cette période de turbulences : réduire les coûts opérationnels. Tandis que BNP Paribas Personal Finance s’attaque à la masse salariale, Oney Bank déclare vouloir réaliser, dans le cadre de son plan de transformation à deux ans, « des gains d’efficacité opérationnelle en optimisant les achats, en investissant dans des leviers de productivité comme l’automatisation et la mutualisation de certaines tâches ».
La rationalisation de la présence géographique est également au programme. Présent dans 30 pays, BNP Paribas Personal Finance va « céder des activités en dehors de l’Europe et les redéployer sur le continent pour se recentrer sur la zone euro », a indiqué le directeur général de BNP Paribas, Jean-Laurent Bonnafé, lors de la présentation des résultats annuels. Selon une source syndicale interrogée par L’Agefi, la filiale devrait se retirer de l’Afrique du Sud, du Mexique, du Brésil et de la Hongrie, après avoir enclenché il y a quelques mois sa sortie de Bulgarie. De même, Oney Bank indique à L’Agefi vouloir opérer un « recentrage géographique ».
La diversification géographique de l’activité peut s’avérer intéressante pour aller capter des marges sur des marchés où les taux s’ajustent plus rapidement qu’en France. C’est notamment le cas de l’Italie, un pays où le Crédit Agricole est très présent. « La problématique du taux d’usure est franco-française. Pour des acteurs paneuropéens, le crédit à la consommation reste rentable sur d’autres marchés en dehors de l’Hexagone. L’Italie bénéficie par exemple d’un système plus flexible que notre taux d’usure », rappelle Françoise Palle Guillabert. « En France, le marché va devoir s’adapter progressivement mais nous pouvons ajuster nos prix dans d’autres géographies. Au total, 85 % de l’activité de Crédit Agricole Consumer Finance est réalisée hors de l’Hexagone, avec une présence concentrée en Europe », acquiesce son directeur général Stéphane Priami.
La clé réside dans « la cohérence » de cette empreinte géographique. « En Europe, nous pouvons créer des synergies entre les produits et en matière informatique », remarque Stéphane Priami. Dans les géographies où BNP Paribas Personal Finance est présente en dehors de l’Europe aujourd’hui, les synergies sont inexistantes, tandis que le contexte inflationniste pousse les acteurs spécialisés à optimiser leurs coûts de développement et à mutualiser leurs plateformes.
S’adapter aux transformations
De manière générale, les acteurs du crédit à la consommation doivent s’adapter aux transformations à long terme de l’activité. Crédit Agricole Consumer Finance fait ainsi le pari de devenir « le leader de la mobilité verte ». Alors que la production de crédits automobiles traditionnels s’effrite, la filiale du Crédit Agricole mise sur le leasing. « Nous avons fait du développement de la location longue durée (LLD), notamment via notre coentreprise avec Stellantis, un axe fort de développement. La LOA (location avec option d’achat) et la LLD correspondent aux attentes des clients, elles ne se heurtent pas à cette problématique du taux d’usure et sont rentables de par les services associés (assurance, assistance…). Ces activités vont passer de 40 % à 50 % de notre business mix », précise Stéphane Priami.
Le paiement fractionné (ou BNPL pour Buy now pay later) est un autre levier de développement car il permet de cultiver la relation avec les grands marchands et surtout de capter des clients pour leur vendre des crédits traditionnels par la suite. Oney Bank a fortement investi pour devenir le leader du BNPL en France, mais le directeur général de BPCE, Nicolas Namias, a reconnu lors de la présentation de ses résultats que cette activité n’était pas encore rentable. Oney Bank travaille donc à ce que le BNPL soit « davantage créateur de valeur » pour le groupe. Du côté du Crédit Agricole, on croit au potentiel de cette activité. « Nous ambitionnons de passer de 18 % de parts de marché aujourd’hui à 20 % en 2025 sur le paiement en plusieurs fois, explique Stéphane Priami. Pour l’heure, les ventes croisées sont limitées, à 2 % ou 3 %, mais elles portent sur des volumes importants. Le paiement en plusieurs fois permet donc de gagner des dizaines de milliers de clients. »
Les fintechs récemment positionnées sur ce marché, à l’instar de Klarna, commencent à faire les frais de la baisse de leur valorisation et de la hausse du coût du risque. D’autant que l’Union européenne souhaite encadrer le BNPL en imposant les mêmes contraintes réglementaires que pour le crédit à la consommation. Dans ce contexte, « les acteurs traditionnels du crédit à la consommation adossés à des groupes bancaires, s’ils résistent à la crise, pourraient tirer leur épingle du jeu et profiter d’opportunités de croissance externe pour acquérir des briques technologiques pertinentes », prédit Amine Belaicha.

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