
Analystes crédit, des détectives prisés

Les analystes crédit ont le vent en poupe au sein des sociétés de gestion des groupes d’assurance. Notamment grâce au récent développement des placements privés, dettes d’entreprises contractées directement auprès des investisseurs institutionnels. Toutes les sociétés de gestion des assureurs ont recruté des experts en la matière. « Contrairement aux obligations, il n’y a pas de second marché pour les placements privés, rappelle Sanda Molotcov, responsable de la recherche crédit chez Natixis Asset Management (NAM). En clair, l’investisseur ne peut pas revendre ce produit en cas de problème. » Dans un contexte « illiquide », le jugement de l’analyse crédit est ainsi le dernier barrage contre un risque qui peut s’avérer coûteux. « Nous avons recruté quatre personnes dédiées chez NAM en quatre ans, afin de faire face à cette prise de risque, poursuit la responsable. Et nous allons continuer à recruter sur ce segment de la dette privée à Paris. »
Aujourd’hui, le succès de ces placements privés en euros (EuroPP) est logique, satisfaisant les banques qui cherchent à alléger leur bilan, les entreprises qui souhaitent désintermédier leur dette et les investisseurs qui recherchent du rendement. Pourtant, il y a quelques années, cela était loin d’être évident. « 2012 a été un tournant pour notre métier, se souvient Audrey Vormus, analyste-gérante chez AG2R La Mondiale. C’est la date d’arrivée des EuroPP, notamment avec l’émission de Bonduelle. » L’assureur réalise qu’il y a un marché nouveau et mise alors sur les fonds dédiés à la dette privée. « Mais il y a finalement eu un afflux de dossiers en direct, amené par les banques et ‘brokers’, poursuit la titulaire du CIIA de la Sfaf. Notre équipe s’est formée sur le tas, au point d’être reconnue sur la place et d’être de plus en plus sollicitée. » Résultat ? Près de deux tiers de la poche des entreprises non notées est constituée d’EuroPP pris en charge directement par AG2R La Mondiale.
Changement de culture
Pour les analystes crédit qui se sont spécialisés, ce fut une belle opportunité. « Depuis deux ans, notre travail d’analyse se concentre majoritairement sur des entreprises non notées, ce qui représente une responsabilité plus importante, se réjouit Audrey Vormus. J’ai eu la chance d’être là au moment de ce tournant. » Elle a aussi su faire ses preuves sur ces dossiers non notés nécessitant un travail d’analyse approfondi car, pour chacun d’entre eux, l’analyse doit permettre de valider la sécurité de l’investissement. Pour ce faire, elle passe beaucoup de temps sur le terrain, à rencontrer les dirigeants d’entreprise, et parfois à visiter les sites de production. « Les dossiers des sociétés ainsi que leurs projets sont souvent très attrayants et offrent des taux très intéressants, explique Audrey Vormus. Malgré la tentation, nous devons être la voix de la raison. » Une voix très écoutée en ce moment. Avec Solvabilité 2, et une gestion accrue des risques, le développement de cette classe d’actifs devrait en effet se poursuivre. « Nous pouvons désormais nous appuyer sur les notes de la Banque de France, grâce à la table de correspondance de Solvabilité 2, pour classer les dossiers, précise-t-elle. Avec cet équivalent, nous nous apercevons que sur la dette non notée, le placement privé coûte moins cher en fonds propres que le ‘high yield’. » L’assureur investit ainsi en placements privés jusqu’à l’équivalent de la note « BBB ».
C’est un changement de culture. Que ce soit en placement privé ou en investment grade, les investisseurs ont renoué avec les risques face à un marché plus ouvert aux différentes entreprises. Par exemple, entre 2013 et 2017, le nombre d’émetteurs obligataires est passé de 438 à 636 et près des deux tiers des nouveaux émetteurs sont notés « BBB ». Cela a nécessité d’adapter les équipes. « Nous avons dû recruter des spécialistes de l’investment grade, afin de renforcer la couverture essentiellement du segment ‘BBB’ », déclare Vincent Marioni, CIO Crédit Europe d’Allianz GI (lire son témoignage). Six professionnels ont été recrutés pour l’investment grade : ils constituent une « task force » qui se concentre sur le segment le plus risqué, celui du « BBB ». Et un poste s’ouvrira cette année pour renforcer encore cette équipe.
Laure Debrosses a pour sa part rejoint AllianzGI il y a quelques années. Diplômée de l’Edhec (spécialité finances) et titulaire du CFA depuis 2016, elle a commencé comme analyste actions chez un broker parisien. Elle est analyste crédit buy-side chez Oddo AM lorsqu’elle est embauchée par AllianzGI en 2013. « Pour moi, l’analyse ‘high yield’ fut l’opportunité de faire ce que je voulais depuis longtemps, confie la jeune femme de 32 ans. J’aime cet aller-retour entre la vie des entreprises et la modélisation financière, être à l’écoute et exercer mon esprit critique. » Elle a ainsi renforcé l’équipe d’analyse, très pointue, capable de donner des avis précis sur les cas plus complexes. Cette équipe d’une dizaine d’experts – 4 en high yield et bientôt 7 en investment grade – appuie ensuite les gérants-analystes. Là encore, les spécialistes sont recherchés. « J’ai rejoint AllianzGI mi-2013 en tant qu’analyste crédit sur le secteur bancaire, après avoir travaillé sur le modèle de capital bancaire chez Standard & Poor’s, explique Simon Outin, 34 ans. J’ai été embauché pour bâtir un modèle interne sur les banques, car les ratios importants sont différents du secteur non financier. » Une fois recruté, la prise de responsabilités est rapide. Simon Outin contribue depuis un an au processus d’investissement sur le high yield financier, avec des banques italiennes, espagnoles, portugaises. « Je participe aussi à un projet de lancement de fonds sur la partie subordonnées financières, poursuit ce diplômé de HEC. Cela va m’occuper les prochaines années et ce sera passionnant ! »
Approches innovantes
Si les assureurs et leurs sociétés de gestion ont bel et bien constitué leurs équipes, ne recrutant désormais que des experts en fonction des besoins et des évolutions du marché, les sociétés de gestion indépendantes adaptent encore leurs ressources humaines pour innover et proposer de nouveaux placements aux institutionnels. « J’ai eu la chance de me spécialiser dans le ‘high yield’ dès 2014, après un diplôme de Science Po, de l’Essec et quelques années chez Edram, raconte Anne-Sophie Chelbaya, 31 ans, investment analyst chez Eiffel Investment Group. Notre approche opportuniste, qui consiste à investir dans des sociétés moins connues, moins couvertes, a fait ses preuves et nous avons su nous distinguer. » Et la société continue d’innover. Elle a lancé un fonds de dette dédié aux PME de croissance dans le cadre d’un appel d’offres du service économique de la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi). « Ce fonds doté de 115 millions d’euros aujourd’hui, et qui ira jusqu’à 300 millions pour la deuxième collecte en 2018, intéresse fortement les investisseurs institutionnels qui cherchent à diversifier leurs placements, assure la jeune femme qui participe à cette aventure. C’est une preuve concrète que la désintermédiation se poursuit et que nous avons un rôle à jouer. »
Non seulement l’appétit pour la dette reste fort mais, à l’heure où la robotisation guette l’industrie financière, ce segment de la finance sera difficile à automatiser. Le métier d’analyste demande de pouvoir rencontrer, écouter, sentir... afin de jauger de l’avenir d’une entreprise et évaluer s’il est bon d’investir. « Nous sommes des détectives !, affirme Sanda Molotcov, qui a elle-même commencé comme analyste crédit avant de gravir les échelons. Nous ne pourrons pas facilement être remplacés par des ordinateurs, nous devons comprendre la stratégie des dirigeants de sociétés que nous rencontrons. » Tout au plus les algorithmes seront des outils pour mener des comparaisons, réaliser des métriques de crédits. En outre, à court terme, il est très probable que les recrutements des assureurs et de leurs filiales de gestion reprennent dès 2019, sous l’influence d’une évolution réglementaire. MIF 2 risque en effet de réduire l’accès à l’analyse sell-side. « Nous sommes déjà 24 analystes, souligne Sanda Molotcov. L’environnement réglementaire actuel nous pousse en effet à devenir incontournable aux besoins ‘in-house’. » Comme le métier ne recrute quasiment que par le biais des recommandations et des chasseurs de têtes, il est donc fort probable que 2018 sera l’année où il fera bon entretenir son réseau en vue d’opportunités futures…
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