Amundi pourrait écoper d’une amende record de 38 millions d’euros

L’AMF lui reproche une série de manquements, et notamment une manipulation de cours sur le future Euro Stoxx 50, ce que conteste totalement la société de gestion.
Bruno de Roulhac

Feu d’artifice pour la dernière séance de la saison de la commission des sanctions de l’AMF (Autorité des marchés financiers). Confirmant sa politique de sévérité grandissante, le gendarme boursier a demandé une sanction record de 38 millions d’euros à l’encontre d’Amundi. Une seule fois, en 2014, l’AMF avait dépassé ce plafond pour demander 40 millions d’euros contre Elliott, mais la commission des sanctions avait limité son amende à 16 millions d’euros. En juillet 2017, la commission avait établi un record en sanctionnant Natixis AM à hauteur de 35 millions d’euros, comme demandé par le Collège de l’AMF. Cette sanction avait été réduite à 20 millions par le Conseil d’Etat en 2019.

Pourquoi une telle sévérité ? D’emblée, le rapporteur de la commission des sanctions a souligné le caractère emblématique du dossier au regard du nombre de personnes mises en cause (3 sociétés et 3 personnes physiques), du nombre de griefs et des problématiques juridiques posées. La représentante du Collège met en avant le caractère «hors norme» de ce dossier et propose des sanctions à la «hauteur des enjeux», rappelant qu’Amundi est le premier gestionnaire d’actifs en Europe.

Le Collège demande une amende de 30 millions d’euros et un avertissement contre Amundi AM, et une sanction pécuniaire de 8 millions d’euros et avertissement contre Amundi Intermédiation. Le Collège précise avoir pris en compte le comportement d’Amundi, qui ne conteste plus une partie des faits et a pris des mesures correctrices. Pour les deux anciens salariés d’Amundi, déjà licenciés pour faute, le Collège réclame une sanction limitée à 10.000 euros en raison de leur capacité contributive, assortie d’une interdiction de 5 ans d’exercer leur ancien métier, de gestion pour le premier, et l’exécution d’ordres pour le second.

Le gendarme boursier reproche à Amundi d’avoir manipulé le cours du future Euro Stoxx 50 entre juillet 2014 et juillet 2015, d’avoir porté atteinte aux porteurs de deux de ses fonds, en attribuant tout le bénéfice de cette stratégie de trading (20 millions d’euros) au profit exclusif du fonds Amundi Patrimoine au détriment du fonds Amundi GRD, de ne pas avoir de dispositifs efficients de surveillance des abus de marché, et de ne pas avoir déclaré les opérations suspectes.

La représentante du Collège demande aussi une sanction de 5 millions d’euros à l’encontre de Tullet Prebon, et de 30.000 euros contre son ancien salarié, pour manipulation de cours, alors que le rapporteur de la commission des sanctions prône une mise hors de cause.

Premier dossier sur le «wash trade»

L’AMF reproche à Amundi d’avoir utilisé la technique du wash trade, consistant à passer un ordre agressif d’achat, puis à passer un ordre passif de vente de deux ou trois «ticks» (la marge minimale de variation du cours) au-dessus, afin d’espérer dégager une plus-value si le cours monte. Si l’AMF ne s’est jamais prononcée sur cette technique, elle y voit une manipulation de cours, le marché ignorant que ces mouvements proviennent du même auteur, peu importe qu’il y ait eu ou non intention de tromper, l’auteur donnant une image fictive ou trompeuse du marché. Le rapporteur s’appuie sur la décision Morgan Stanley de l’AMF de décembre 2019, où l’acquisition de future sur OAT a été considérée comme artificiel et donnant une image biaisée du marché. En outre, l’AMF estime que les interventions d’Amundi sont atypiques par leur taille.

Devant la commission, Bernard De Wit, directeur du pôle support et contrôle d’Amundi, ne nie pas les faits, mais en revanche conteste totalement la manipulation de cours, voyant dans la collusion de ses deux anciens collaborateurs, depuis licenciés pour faute, l’origine des irrégularités. Comment deux personnes avec un passage d’ordre oral pouvaient manipuler un marché de plus de 50 milliards d’euros par jour ? s’interroge Bernard De Wit, mettant en avant les différences de qualification juridique entre le Collège et le rapporteur. Pour l’AMF, le gérant et le négociateur pouvaient anticiper les opérations wash trade. Ils avaient l’expérience, et comme ils agissaient dans le cadre de leur fonction, leurs sociétés sont engagées.

Désaccord entre Collège et rapporteur

Quant au préposé de Tullett Prebon, il aurait dû identifier le caractère manipulatoire de ces ordres wash trade et alerter sa hiérarchie, estime le rapporteur. Toutefois, sa passivité ne correspond pas une participation active et aucune collusion n’étant prouvée, le rapporteur propose de le mettre hors de cause, ainsi que son employeur Tullett Prebon. Pour le Collège, le préposé de Tullett Prebon connaissait le schéma manipulatoire mis en place, ne pouvait ignorer qu’il donnait un signe trompeur au marché, et surtout a apporté son concours actif en passant les ordres. Plus largement, il est inconcevable qu’un courtier soit mis hors de cause sous prétexte de passivité, tempête la représentante du Collège.

En revanche, la manipulation de cours par fixation du cours à un niveau artificiel n’est pas caractérisée selon le rapporteur, invitant à prendre en compte les effets de la stratégie critiquée – pas d’effets sur le marché, marché du future Euro Stoxx 50 particulièrement liquide, efficient et arbitré – alors que la jurisprudence traditionnelle de la commission des sanctions ne s’y attarde pas. Si la variation de 1 ou 2 ticks est trop faible selon le rapporteur, tout en précisant que 3 ticks correspondaient à une variation de 0,1%, pour le Collège la variation d’un seul tick peut suffire à générer un gain significatif.

Sur l’atteinte aux porteurs des fonds gérés, Amundi ne conteste pas les faits et rappelle avoir indemnisé le fonds pénalisé à hauteur de 48 millions d’euros.

L’AMF reproche aussi à Amundi des défaillances dans le dispositif d’enregistrement des ordres (non-respect de l’obligation de préaffectation des ordres), des manquements à l’obligation de gestion des conflits d’intérêts et à la mise en place d’un contrôle de conformité efficace. Sur la défaillance du dispositif de surveillance des abus de marché et sur l’absence de déclarations des opérations suspectes, Amundi reconnait des manquements.

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