Matières premières, retour gagnant

Le besoin en financement des négociants en 2022 crée des opportunités pour les banques qui ont choisi de ne pas se retirer de cette activité durant la crise.
Franck Joselin
Matières premières, retour gagnant
Matières premières, retour gagnant  -  @ pixabay

Partout en Europe les banques doivent déployer une énergie folle pour conquérir et conserver leurs clients. Partout ? Pas vraiment. A Genève, sur les rives du lac Léman, le financement du commerce de matières premières (commodity trade finance, CTF) fait figure aujourd’hui d’exception. Sur ce métier très spécifique, qui constitue une niche de l’industrie plus large du financement des entreprises, une dizaine d’établissements financiers dominent le marché. Leurs clients, des négociants, se pressent à leurs portes. Il peut s’écouler plusieurs mois avant qu’une banque initie une relation avec une nouvelle contrepartie. Cet afflux de demandes pour une offre qui reste contenue n’est pas vraiment une surprise. Depuis plusieurs années, les banques ont eu tendance à s’éloigner de cette activité, refroidies par les risques qu’elle pouvait comporter rapportés aux exigences en capitaux propres. Mais actuellement, avec la guerre en Ukraine et la volatilité du prix des matières premières, le besoin de financement des négociants a explosé. Alors, même si ce marché peut se révéler concurrentiel lorsqu’il s’agit de financer de très gros négociants, il reste de la place pour des établissements challenger, car « les banques sont aujourd’hui proches de leurs limites de financement », constate un trader de matières premières.

Fin 2020, certains professionnels du secteur estimaient qu’il faudrait plusieurs années avant que les banques décident de s’exposer à nouveau sur cette activité. Le moment est peut-être venu pour elles de le faire. D’autant qu’« aujourd’hui, il y a une prise de conscience de la société de l’importance des chaînes d’approvisionnement des matières premières et du travail que nos clients négociants effectuent pour fournir ces biens essentiels à l’économie », déclare Maarten Koning, responsable mondial de l’activité de financement des matières premières chez ING. Ainsi, certains établissements financiers affichent, dans cet environnement très spécial, des taux de croissance à deux chiffres. « Nous ne nous attendons pas à une croissance de nos revenus de 35 % par an tous les ans comme c’est le cas cette année, mais nous pouvons, même en restant prudents, tabler sur 10 % de croissance en 2023 », assure Emmanuel Lemoigne, directeur général de la BIC-Bred à Genève. Cette filiale de la Bred s’est spécialisée dans le financement du commerce de matières premières depuis moins de dix ans. Elle pèse moins que les leaders, comme ING, mais sa taille de portefeuille clients est largement comparable à celle d’acteurs historiques comme UBS, la Banque cantonale de Genève, la Banque de commerce et de placement (BCP), Credit Suisse ou encore d’autres banques françaises, comme le Crédit Agricole ou la Société Générale.

Des séquelles encore vives

Si malgré une clientèle demandeuse les banques sont frileuses sur ce marché, c’est que certaines – beaucoup – s’y sont brûlé les ailes. Un des plus grands bouleversements qu’a connus le paysage concurrentiel sur cette activité ces dernières années trouve son origine dans l’amende de presque 9 milliards de dollars infligée par le département de la Justice américain à BNP Paribas en 2014. A la suite de cette décision, BNP Paribas, pourtant leader incontesté du secteur à Genève, a réduit drastiquement sa présence sur ce marché, pour en sortir ensuite définitivement fin 2020 après l’avalanche de scandales qu’a connus le secteur.

Car, outre les risques juridiques, « l’ennemi des banques qui financent le monde des matières premières, c’est la fraude », assure un professionnel du secteur. Les fraudes à Singapour en 2020, comme celles d’Agritrade, Zenrock, Hin Leong, ou encore celles, moins médiatisées, de GP Global ou Phoenix Group la même année à Dubai, ont secoué l’industrie. Outre BNP Paribas, ABN Amro aussi a jeté l’éponge. En septembre 2020, le régulateur suisse, la Finma, avait évalué l’impact des fraudes pour les banques suisses à 500 millions de dollars. Mais certaines estimations qui circulaient à l’époque ont évalué ce coût au niveau mondial pour cette année-là à… 10 milliards de dollars.

Malgré ces freins, les banques établies dans le financement du commerce de matières premières de manière traditionnelle estiment qu’elles peuvent en limiter les risques. A condition que les financements qu’elles proposent aux négociants soient assortis de garanties, restent transactionnels et autoliquidatifs. Ainsi, le financement traditionnel du négoce s’appuie avant tout sur la base des actifs financés, et non sur la capacité des entreprises à générer des cash-flows pour rembourser leur dette. « Depuis 2020, nous avons décidé de nous reconcentrer sur le métier de base du financement du négoce de matières premières, avec des prêts sécurisés traditionnels. Nous restons aussi très sélectifs sur nos clients en portefeuilles », explique Maarten Koning. Autre avantage de ces crédits, ils ont une durée très courte. « La durée des opérations de crédit est, pour 90 % d’entre elles, de trente jours maximum », explique Emmanuel Lemoigne.

La plus grande avancée du financement du commerce des matières premières pourrait venir de la numérisation. « La technologie nous permet de vérifier certaines informations beaucoup plus facilement et rapidement qu’auparavant. Par ailleurs, des logiciels nous permettent aussi de détecter certaines anomalies de comportement dans le commerce international. Cela ne signifie pas forcément qu’il y a une fraude, mais cela nous met en alerte pour demander des explications ou pour enquêter », constate Maarten Koning. Déjà en 2018, l’Organisation mondiale du commerce expliquait dans une étude que la blockchain pourrait avoir « un impact sur les transactions comparable à celui d’internet sur la communication ». Il restera toujours des risques, mais les banques pourraient de nouveau avoir envie de les prendre.

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