Mise sous tutelle de la Cipav : comment en est-on arrivé là ?

Une mise sous tutelle, un conseil d’administration suspendu et un directeur licencié à la fin de l'été. Le redressement de la caisse de retraite des libéraux (Cipav) ressemble à un chemin de croix malgré des améliorations dans la gestion, notamment financière.
Thibaud Vadjoux
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 -  FRANCK BELONCLE

La Cipav, caisse de retraite des professions libérales particulièrement hétéroclites (architectes, géomètres, conseil, conseil de gestion et financier, psychologues, ostéopathes, moniteurs de skis, guides de haute montagne etc.) et des micro-entrepreneurs libéraux, a décidément bien du mal à redorer son image. Après deux rapports de la Cour des comptes, l’un en 2014 l’accablant «de graves dysfonctionnements(…) d’une qualité de service déplorable aux assurés» et l’autre en 2017 constatant «un processus de redressement qui tarde à s’engager et demeuré partiel», un nouveau rapport (confidentiel) de l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) a plongé cet été la caisse dans une nouvelle crise. Le directeur, Olivier Selmati, nommé par l’Etat en 2014 pour redresser la situation, a installé «un système managerial destructeur (…) en concentrant les pouvoirs, en entretenant des relations de défiance vis-à-vis de ses collaborateurs, et en perdant le contrôle de lui-même de façon répétée». C’est ce que rapporte une lettre du directeur de la Sécurité sociale s’appuyant sur le rapport de l’IGAS, elle-même alertée par la médecine du travail. Le conseil d’administration de la caisse a été suspendu et Olivier Selmati renvoyé sur décision de ses tutelles, les ministères chargés de la Sécurité sociale et du Budget. Jean-Louis Rey, président de la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) a été nommé provisoirement à la direction. Un management autoritaire? «S’il est incontestable qu’Olivier Selmati s’est investi dans le redressement de la Cipav, sa gestion du personnel de la caisse est génératrice de risques, notamment psycho-sociaux», estime sa tutelle. Un autre rapport d’experts indépendants du cabinet Technologia a été mené à la demande des représentants du personnel. Il conclut également à un «un climat très anxiogène pour les collaborateurs» et «un encadrement régulièrement mis en défaut». Pourtant, de nombreux administrateurs estiment que ces critiques sont injustifiées au regard du travail fourni par Olivier Selmati. «Il a redressé la Cipav et ça marchait plutôt bien», partage un administrateur architecte. «Avant 2014, les services de gestion travaillaient sur Excel, certains dossiers retraite ont été perdus. Le nombre d’adhérents a explosé avec l’arrivé des micro-entrepreneurs et les services ont été débordés. Ils ont dû intégrer un nouveau système informatique, travailler avec des prestataires et adopter une comptabilité analytique. Cela a créé des tensions», explique un ancien administrateur. Les services du front office ont été les plus exposés. «Les difficultés viennent de salariés auxquels on a demandé plus de polyvalence et d’adaptation. C’est aussi un problème générationnel», ajoute-t-il. Derrière ce rapport de l’Igas, des administrateurs suspectent un coup politique. « Olivier Selmati connait très bien la Sécurité sociale et son fonctionnement,peut-être dérangeait-il dans l’optique d’une reprise en main de la Cipav et de ses réserves par l’Etat dans le cadre de la réforme des retraites », dit-on. Pour une partie des salariés, notamment les jeunes recrues, le climat était plutôt au beau fixe, notamment lors des fêtes de fin d’année, nous assure-t-on. Une pétition d’une centaine de salariés sur 300 environ a d’ailleurs porté un soutien au directeur. Mais, «Olivier Selmati ne sait pas garder ses nerfs, il peut s’emporter en public quand on le contrarie», partage un administrateur qui a subi ses foudres. Départ du directeur financier La Cipav a connu plusieurs départs dont le secrétaire général, la directrice de la communication et le directeur financier, Alexandre Coureaud, au printemps 2020. Ce dernier explique à Instit Invest avoir simplement voulu changer d’horizon après plus de trois années passées dans le groupe. Selon un administrateur, «le directeur financier était parfaitement compétent mais sa personnalité ne plaisait pas à Olivier Selmati ». Ce dernier a embauché Fabrice Zamboni qui s’occupait précédemment de la direction des investissements du Fonds de Garantie pour renforcer les équipes. Une décision qui a peut-être été mal vécue. Fabrice Zamboni occupe aujourd’hui le poste de directeur financier de la caisse. Une gestion d’actifs qui s’améliore La gestion des 6,5 milliards d’euros de réserves s’est nettement améliorée depuis les contrôles de la Cour des comptes, plaide un ancien trésorier de la Cipav. Elle partait de loin. La gestion «médiocre et peu transparente des placements», selon la Cour, avait par exemple conduit à ce qu’un seul gérant, le groupe Oddo, soit responsable de plus des trois-quarts des réserves jusqu’en 2011. La Cour regrettait encore en 2017 une stratégie d’investissement définie de manière non rigoureuse. Dans son rapport d’activité 2015-2017, la caisse des libéraux indiquait qu’elle avait réduit la part des encours gérés par ses principaux prestataires. Si Oddo restait le premier gérant avec 16% des encours, la caisse a diversifié ses gestionnaires et ses sujets d’investissements en procédant à des appels d’offres aux critères revus. Un outil de gestion des titres a été sélectionné ainsi qu’un fournisseur de données de marché. «Une revue du portefeuille a été menée il y a deux ans pour revoir l’allocation stratégique, un gérant a été chargé de mettre également en place un outil de gestion ALM», souligne l’ancien directeur financier qui était accompagné par deux analystes financiers, Hadrien de Rodat, arrivé en 2015 et Veralda Nikolla, arrivée en 2010. La gestion immobilière aurait également fait peau neuve, avec le recrutement en 2014 de Laurent Weber, responsable du pôle immobilier, parti en juin 2019 au Fonds de Garantie. La caisse détient en direct une douzaine d’immeubles à Paris. «Les architectes présents au conseil d’administration ont pu apporter leur expertise pour évaluer et améliorer le patrimoine immobilier», tient à préciser un administrateur. Une acquisition d’envergue devrait se conclure prochainement dans Paris. Un conseil d’administration trop longtemps cadenassé La Cipav est enfin attendue sur sa future gouvernance. La caisse a été constituée en 1978 par les architectes qui ont gardé la main sur le conseil d’administration malgré l’arrivée des nombreuses professions et des micro-entrepreneurs libéraux. De 45.000 adhérents, elle en compte plus d’un demi-million aujourd’hui. La caisse a joué le rôle de «régime balai» récupérant 400 professions libérales. Mais jusqu’à aujourd’hui les architectes conservent 12 élus pour 26 administrateurs. «C’est même le conseil national de l’ordre des architectes qui décidait en sous-main de la nomination des administrateurs et du président», déplore un administrateur. En 2018, une réforme a été engagée en interne. Pour les prochaines élections à fin 2020, les règles changent. Les trois collèges professionnels représentant les architectes, les consultants et les autres professions disposeront chacun du même nombre de sièges (7). Le dernier groupe représentant les retraités, doté actuellement de deux sièges,se verra attribuer un siège supplémentaire. Le conseil sera réduit à 24 administrateurs. Quant à la direction de la Cipav, occupée provisoirement par Jean-Louis Rey, le futur candidat sera choisi en fin d’année. Olivier Selmati, lui, se serait vu proposer d’autres postes par l’Igas pour lui assurer une sortie honorable. Selon nos informations, l’Igas est également en train de préparer un nouveau rapport sur la gestion des services aux assurés. L’histoire n’est peut-être pas finie…

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