
Les barbares de la finance deviennent fréquentables

Les fusions-acquisitions sont le marqueur d’une époque. En 2007, KKR avait signé le plus gros rachat à effet de levier de l’histoire en Europe avec le distributeur pharmaceutique Alliance Boots, un record emblématique de la bulle financière qui allait éclater quelques mois plus tard. Le fonds américain récidive aujourd’hui en se proposant d’avaler rien moins que Telecom Italia, opérateur télécom dont la valeur d’entreprise dépasse 30 milliards d’euros. Un signe avant-coureur de la correction à venir ? Plutôt celui d’une bascule structurelle entre deux mondes, l’investissement traditionnel en actions cotées cédant peu à peu le pas à celui des actifs réels, dont le private equity constitue un pilier.
Si KKR brise un tabou en tentant de retirer de la cote l’opérateur historique d’un pays cœur de la zone euro, c’est que les fonds n’ont jamais été aussi sûrs de leur force. Les leaders du capital-investissement manient chacun plusieurs centaines de milliards d’euros. Ils entendent désormais accroître ce trésor de guerre grâce à l’épargne des particuliers. Ils peuvent intervenir sur toute la structure de la dette et du capital des entreprises, à chaque étape de leur développement. Ces acteurs que l’on présentait comme des parangons de court-termisme, visant des plus-values faciles après deux ou trois ans, ont aussi le temps long devant eux. Ils remplissent une fonction que la Bourse a bien du mal à assumer pour des industries en transition comme les télécoms, dont les énormes besoins d’investissement obèrent les perspectives de rentabilité immédiate et les multiples de valorisation. Dès lors, qui peut encore prétendre que l’actionnariat actuel de Telecom Italia est le plus adapté au redressement du groupe ?
Les Etats eux-mêmes prennent acte de ce nouveau rapport de force. Il y a quinze ans, des KKR pouvaient encore passer pour des « barbares à la porte », expression consacrée par un livre narrant l’assaut du fonds contre RJR Nabisco dans les années 1980. Dans l’Italie de Mario Draghi, l’offensive du groupe américain est accueillie avec une bienveillante neutralité – difficile d’imaginer, en France, pareille réaction des politiques face à une offre d’achat d’Orange. Rome, qui n’a pourtant pas hésité ces derniers mois à mettre son veto à des investissements étrangers jugés trop menaçants pour la souveraineté économique du pays, tient les fonds pour des interlocuteurs légitimes au plan financier mais aussi industriel.
Bien sûr, le private equity n’échappe pas au phénomène de bulle, alimenté par la faiblesse des rendements obligataires et du coût de la dette. En témoignent les prix effarants dont se targuent certaines licornes. Mais le secteur – c’est son métier – est payé pour traverser les cycles et faire le tri entre gagnants et perdants des mutations économiques. Dans un monde où les taux d’intérêt pourront difficilement remonter bien haut, sa puissance est vouée à s’accroître.
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L'intersyndicale invitée par Sébastien Lecornu mercredi à Matignon
Paris - Matignon a proposé aux huit organisations syndicales, qui ont posé un ultimatum «vendredi» au Premier ministre, une rencontre avec Sébastien Lecornu mercredi à 10H00, a-t-on appris samedi auprès de sources syndicales. Le rendez-vous de mercredi avec l’ensemble des syndicats, représentatifs ou non - fait rare - , a été confirmé par une source gouvernementale. Vendredi, au lendemain d’une journée de mobilisations ayant rassemblé entre 500.000 manifestants, selon les autorités, et plus d’un million selon les organisateurs, l’intersyndicale (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, FSU et Solidaires) a posé un «ultimatum» au nouveau Premier ministre lui demandant de répondre "à leurs revendications». Elles exigent «l’abandon de l’ensemble du projet» de budget présenté cet été par son prédécesseur, François Bayrou, dont «le doublement des franchises médicales, l’année blanche (...), la suppression de 3.000 postes de fonctionnaires et la réforme de l’assurance chômage», ainsi que la non remise en cause du 1er Mai férié et chômé, dans un texte commun publié vendredi. Réunis pour la première fois depuis 2023 et la mobilisation contre la très controversée réforme des retraites, les syndicats demandent toujours «l’abandon du recul de l'âge légal de départ» en retraite à 64 ans. «Si d’ici au 24 septembre (mercredi), il n’a pas répondu à leurs revendications, les organisations syndicales se retrouveront pour décider très rapidement d’une nouvelle journée de grève et de manifestations», avaient ainsi prévenu vendredi les syndicats, remontés contre les multiples réformes. Après la démonstration de force dans les rues, jeudi, Sébastien Lecornu avait fait savoir qu’il recevrait "à nouveau les forces syndicales». Il avait déjà reçu des leaders syndicaux peu après sa nomination. © Agence France-Presse -
Italie : face à la baisse des ventes, les vignerons d'Asti baissent leur production
Castel Boglione - De bonnes vendanges se terminent et les feuilles commencent à jaunir autour d’Asti, dans le nord de l’Italie, mais cette année des raisins resteront dans les rangs: les vignerons ont décidé de produire moins face à la baisse des ventes en Russie et en Amérique. Après deux années compliquées, l’Italie devrait se classer cette année premier producteur mondial de vin, devant la France, selon les estimations publiées début septembre par les vignerons. Mais «c’est une médaille en chocolat», regrette le secrétaire général de l’Union italienne des vins, Paolo Castelletti. «La consommation de vin baisse, surtout sur notre principal marché à l’export, aux Etats-Unis. Les baby boomers, en vieillissant, réduisent leur consommation». Sans compter les droits de douane américains, qui rendent les exportations moins profitables et pourrait porter les vins italiens au-dessus de la «barre psychologique» de 20 dollars la bouteille, selon M. Castelletti. Les vins d’Asti sont aussi particulièrement appréciés en Russie, mais la demande a baissé depuis le début de la guerre contre l’Ukraine. Quelque 17 millions de bouteilles s’y étaient encore écoulées en 2023, puis 12 en 2024, et l’objectif pour 2025 est de surnager à 10 millions. Au total, la demande à l’export pour les vins italiens a ralenti de 4% sur les cinq premiers mois de 2025. Il s’agit alors de miser toujours plus sur la qualité plutôt que sur la quantité, selon M. Castelletti. Mais alors que certains vignobles en France ont décidé d’arracher des vignes, et que la Commission européenne pousse dans ce sens, l’Union italienne des vins milite plutôt pour une production qui s’adapte aux fluctuations du marché, «en accordéon». Vins légers Autour d’Asti (Piémont, nord), les vignerons ont ainsi décidé de produire moins de vin pétillant cette année, passant de 10 à 9 tonnes de muscat blanc par hectare de vigne. Dans son domaine entouré de vignes à perte de vue, la Ca’ dei Mandorli (la maison des amandiers), Stefano Ricagno analyse ses premiers jus avec un oenologue français. Au-dessus de la cave, sous un soleil de plomb, des vendangeurs indiens donnent les derniers coups de sécateur dans les vignes. Les vendanges ne se sont jamais terminées aussi tôt, remarque le viticulteur en baskets blanches: «on pensait produire beaucoup, mais il a fait très chaud. La récolte du muscat est presque en ligne avec nos objectifs (abaissés)». Héritier de six générations de vignerons, Stefano Ricagno, 46 ans, préside l’appellation d’origine contrôlée «Asti», qui couvre près de 10.000 hectares de collines inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco. Asti s’est fait un nom avec des mousseux dorés à faible teneur en alcool, généralement autour de 7% pour l’"Asti» et de 5% pour le «Moscato», dont la quasi-totalité de la production est vendue aux Etats-Unis. Les ventes de l’AOC «Asti», de 100 millions de bouteilles en 2023 et 90 en 2024, devraient tomber à 85 millions en 2025, et les vignerons voient augmenter leurs stocks. «On verra en 2026 si les guerres se terminent, et que les marchés se reprennent», lance Stefano Ricagno. D’autres appellations italiennes comme la Valpolicella en Vénétie ont aussi réduit les volumes cette année face à ce marché incertain. - Artisanaux - D’autres vignerons ne veulent pas entendre parler de ces quotas et appellations. A quelques kilomètres d’Asti, à Nizza Monferrato, Francesco Pozzobon, 35 ans, a repris des vignes abandonnées et les laisse vivre sans produits phytosanitaires, semant entre les rangs des trèfles et des fèves. «On a trop produit et mal produit», regrette le jeune viticulteur. «Avec la baisse de la demande, il y aura un écrémage naturel». Et si le rendement de sa Tenuta Foresto est bien plus irrégulier et faible que celui de ses voisins, à 3 tonnes de l’hectare, il vend cher et jusqu’en Chine ses vins «artisanaux». Pour rebondir, l’appellation Asti veut que ses bulles conquièrent l’apéritif, alors qu’elles sont cantonnées au dessert en Italie, en surfant sur le nouveau goût des clients pour des vins moins forts en alcool, souligne Stefano Ricagno. Taimaz SZIRNIKS © Agence France-Presse -
Mondial 2026 : les fabricants chinois d’objets dérivés paralysés par l’incertitude sur les droits de douane américains
Yiwu - Dans cette usine chinoise remplie d'écharpes aux couleurs de l’Irlande ou de la Tanzanie, le directeur Shang Yabing soupire: l’incertitude autour des droits de douane américains freine les commandes de produits dérivés pour la Coupe du monde. A neuf mois du Mondial-2026, organisé aux Etats-Unis, au Mexique et au Canada, les fabricants de casquettes, bracelets, drapeaux ou chapeaux à l’effigie des sélections nationales devraient normalement être submergés de demandes. En particulier ici, à Yiwu (est de la Chine), l’un des principaux centres mondiaux de production en gros de petites marchandises, qui attire des acheteurs venus du monde entier. Mais les multiples rebondissements de la guerre commerciale Pékin-Washington, notamment l’incertitude persistante sur le montant des droits de douane que le président américain Donald Trump décidera finalement d’imposer sur les produits chinois, font hésiter les clients. Faute de visibilité, ils y réfléchissent à deux fois avant de passer commande auprès d’entreprises comme Yiwu Wells Knitting Product, où travaille Shang Yabing. Dans les allées de l’usine, les ouvriers apportent les touches finales à une multitude d’accessoires sportifs. «On est dans ce secteur depuis plus de 10 ans et on fabrique des produits dérivés de la Coupe du monde pour presque chaque tournoi», explique M. Shang à l’AFP. «Cette année, on a décroché des petites commandes. Mais les plus importantes, qui sont en attente, ne se sont pas encore concrétisées (...) C’est sûrement à cause des droits de douane américains», ajoute-t-il. Un million d’articles Dans l’usine, des caisses débordant de marchandises de toutes les couleurs sont posées près des postes de travail des employés. Des ouvriers utilisent des machines à coudre pour fixer des franges aux extrémités des écharpes. Un autre en repasse une, verte et jaune, aux couleurs de l’Australie. La Chine et les Etats-Unis ont prolongé leur trêve commerciale jusqu'à novembre. Elle permet notamment d'éviter, de chaque côté, l’imposition de droits de douane prohibitifs à trois chiffres sur leurs produits. Mais Shang Yabing reste dans l’expectative. Son entreprise attend toujours que ses clients valident les grosses commandes, qui représentent ensemble environ un million d’articles. D’autres signes de cet attentisme se retrouvent non loin de là, dans l’immense «Cité du commerce international» de Yiwu, l’un des plus grands marchés de gros au monde, qui vend toutes sortes d’objets. Dans les allées éclairées au néon, les stands qui proposent ballons de football ou drapeaux restent peu fréquentés, par rapport à l’afflux habituel d’acheteurs étrangers. «Les clients hésitent» Les produits dérivés sont nombreux, des lunettes de soleil aux couleurs des drapeaux de différents pays jusqu’aux porte-clés desquels pendent des mini-chaussures de football. «A cette époque avant la dernière Coupe du monde, on avait connu un afflux massif de commandes», explique à l’AFP Daisy Dai, qui vend des ballons imprimés. Mais cette année, «les clients hésitent», souligne-t-elle. Les acheteurs américains représentaient auparavant une large partie de sa clientèle, mais «depuis le début de la guerre commerciale, quelques grandes marques ont arrêté de commander, faute de clarté sur les droits de douane», explique-t-elle. A côté, Zhou Yanjuan, une vendeuse de drapeaux et de petits produits liés à la Coupe du monde, explique à l’AFP que son volume de commandes vers l'étranger a ralenti. «Après tout, ce ne sont pas des produits de première nécessité», souligne-t-elle. Pour autant, elle dit rester optimiste. «Les choses vont s’améliorer progressivement», veut-elle croire. «Tout le monde attend sans doute que les droits de douane soient revus à la baisse. Cela nous faciliterait un peu la tâche.» Jing Xuan TENG et Rita QIAN © Agence France-Presse