
Le casse-tête du déconfinement

Alors que la décision définitive du gouvernement est attendue ce jeudi 7 mai pour amorcer, ou non, le plan de déconfinement en France, les entreprises du secteur financier étudient différents scénarios pour permettre le retour au travail de leurs salariés. Pour Ludovic Valtier, DRH d’American Express France qui emploie 700 collaborateurs à Rueil-Malmaison, le choix est clair : « Nous n’aurons pas de retour au bureau le 11 mai. Le télétravail a fait ses preuves et fonctionne, nous ne ferons aucune concession en matière de sécurité de nos salariés. Les réflexions sur un plan de retour dans nos locaux sont cependant déjà en cours. » Les salariés devraient revenir à leurs bureaux par tranches progressives, avec la possibilité d’effectuer des rotations. Les espaces de travail seront réorganisés et des masques et du gel hydroalcoolique seront fournis.
Le retour des effectifs sur site est très délicat à préparer. Le respect des mesures sanitaires implique d’équiper les employés (notamment ceux en contact avec des clients) de masques, voire d’effectuer des prises de température. La distanciation sociale impose de revoir l’aménagement des bureaux et l’usage des espaces communs (salles de réunion, cafétérias, ascenseurs…). Et le nettoyage des locaux doit être plus régulier. « Le risque d’une deuxième vague est redouté par les collaborateurs et les managers. Pour les mandataires sociaux, il peut y avoir un risque de responsabilité pénale », avertit Clotilde Marchetti, associée risques extrêmes chez Grant Thornton. Chez BNP Paribas, « les activités des agences et des plates-formes de relation client reviendront sur site dans le cadre de la sortie du déconfinement, explique Claudine Quévarec, responsable RH au sein du groupe. Le retour des collaborateurs sera très progressif, avec l’addition de différentes dispositions pour assurer un niveau de protection de leur santé. Les dispositions mises en œuvre avant le confinement seront renforcées (distance physique, port du masque...) avec des modalités d’organisation adaptées ». Une concertation avec les organisations syndicales aura lieu en début de semaine prochaine « afin d’échanger sur les dispositions prises pour les salariés qui vont revenir progressivement au sein des locaux de la banque », ajoute la responsable. A la Société Générale, Marie Langlade Demoyen, directrice de la responsabilité sociale au travail du groupe, indique qu’« actuellement, toute notre réflexion vise à préserver la santé de nos collaborateurs lors de la reprise d’activité sur sites. Nous avons intégré dans nos scénarios toutes les mesures sanitaires (port de masques, distance sociale...). Plusieurs plans sont à l’étude. Dans nos tours à La Défense où travaillent plus de 15 .000 collaborateurs, il y a des contraintes physiques, avec les ascenseurs et les ‘open spaces’ par exemple ».
Télétravail, de la contrainte...
Par ailleurs, la question du télétravail devra être discutée au sein des entreprises au moment du déconfinement. Il s’agira de voir pour quelles catégories de salariés il pourra se poursuivre, dans quelles conditions, selon quelles modalités, pour quelle durée… « Lorsque le télétravail a été érigé en règle de base par le gouvernement, le changement a été radical et brutal pour les groupes bancaires, rappelle Cécile Didolot, avocate en droit social chez Grant Thornton Société d’Avocats. Il a fallu équiper les salariés d’ordinateurs portables, tout en veillant à la sécurité des données. Il a également fallu sécuriser la frontière vie personnelle-vie professionnelle car avec les enfants à la maison, les gens peuvent difficilement travailler à des horaires classiques de bureau. » Certains points peuvent être sensibles. « Il reste toujours l’épineuse question du dédommagement des frais liés au télétravail : un salarié qui télétravaille exclusivement, en l’absence de mise à disposition d’un local professionnel par son employeur, ouvre droit en principe à une indemnité d’occupation, relève Marie-Laure Hag, responsable du pôle conseil RH au cabinet GMBA. Cette mesure est issue des ordonnances Macron du 22 septembre 2017. La situation actuelle de télétravail forcé et intensif place ce sujet sur la table des négociations d’entreprises. Si les employeurs étaient obligés de verser une telle indemnité, cela engendrerait un coût supplémentaire. » L’Urssaf a récemment apporté une précision sur ce sujet. « Les employeurs peuvent verser à leurs salariés une indemnité forfaitaire nette pouvant aller jusqu’à 50 euros par mois. Cette mesure a le mérite de simplifier les choses en créant un principe d’indemnisation forfaitaire, analyse Marie-Laure Hag. Les frais que le salarié engage en étant en télétravail pourraient également s’ajouter à ce dédommagement. »
Dans les groupes bancaires, le basculement vers le télétravail a nécessité des moyens importants compte tenu du nombre de collaborateurs. L’informatique a été mise à rude épreuve. « Dans ce secteur, au début du confinement, les systèmes informatiques n’ont pas pu supporter le télétravail en très grand volume car ces infrastructures n’étaient pas dimensionnées pour cela, note Loïc Declomesnil, practice leader Microsoft chez SQLI. Il ne faut pas oublier que le virage du ‘cloud’ est concret depuis seulement cinq ans dans les très grands groupes. » Chez BNP Paribas, « 38.000 collaborateurs télétravaillent aujourd’hui dans le groupe et ses filiales en France », indique Claudine Quévarec. Ce mode de travail existait déjà au sein de la banque, avec 12.000 télétravailleurs fin 2018 dans les fonctions centrales du groupe et les activités CIB (contre 150 fin 2015). Les grèves de fin 2019 avaient eu pour effet d’accélérer la pratique du travail du distance. « La crise sanitaire du coronavirus a été un second accélérateur. Elle a nécessité toutefois un renforcement des capacités de nos infrastructures IT de manière significative », précise la responsable RH. De son côté, la Société Générale compte 50.000 personnes en accès à distance en simultané. « Nous avons multiplié par cinq notre capacité d’accès à distance en simultané en un peu plus de deux semaines, souligne Marie Langlade Demoyen. Avant la crise sanitaire, nous avions plus de 60 % des collaborateurs des services centraux qui bénéficiaient d’un accord de télétravail pour une journée par semaine ou par quinzaine. »
... à l’aspiration
De fait, la mise en télétravail « forcé » devrait accélérer le déploiement de ce dispositif à l’avenir. « Nous souhaitions étendre le télétravail à nos téléconseillers et étions en train de mener un pilote », dit le DRH d’American Express France, où ce mode de travail était pratiqué depuis 2017 sur la base du volontariat et essentiellement par les cadres. BNP Paribas prévoyait aussi d’élargir son télétravail. « Nous avions signé un accord d’entreprise, en février dernier, avec les organisations syndicales afin d’élargir encore le périmètre d’expérimentation du télétravail, notamment pour des postes dans les directions de régions de notre réseau », dévoile Claudine Quévarec. Au Crédit Mutuel Alliance Fédérale (avec sa filiale CIC), un accord sur le télétravail fera prochainement l’objet de discussions avec les partenaires sociaux. Ce développement du télétravail semble répondre à une forte aspiration chez les salariés. Selon une étude Ifop/Securex*, 70 % des cadres souhaitent poursuivre le télétravail après le confinement. « Cette proportion atteint les 80 % chez les cadres qui ont au moins trois enfants, et 76 % pour ceux habitant en région parisienne », précise l’enquête. Gautier Cornille, conseiller de clientèle chez American Express France, est un tout nouveau télétravailleur. « C’est ma première expérience du télétravail, raconte-t-il. La crise a tout accéléré. J’ai pu passer en télétravail en 48 heures avec mon matériel informatique (ordinateur, casque) ». Le jeune homme de 28 ans compte désormais parmi ceux que le « home office » a conquis. « Le télétravail est pour moi le signe d’une entreprise moderne. Si, à l’avenir, je pouvais télétravailler un jour ou deux par semaine, j’y serais favorable », confie-t-il.
*Menée du 21 au 26 avril 2020 auprès d’un échantillon de 1.000 cadres Français en activité, représentatifs de la population cadre âgée de 18 ans et plus.
ATTENTION AUX RISQUES PSYCHOSOCIAUX
Les conditions de travail durant le confinement ont des effets néfastes sur la santé des salariés, selon la 2e vague du baromètre* « Impact de la crise sanitaire sur la santé psychologique des salariés » réalisé par Opinion Way pour Empreinte Humaine. « Tous les indicateurs se dégradent. Ce n’est pas bon signe pour la sortie de confinement. Les dirigeants d’entreprise sont conscients que la santé psychologique de leurs salariés constitue un actif important de leur entreprise. Le déconfinement ne va pas faire disparaître ce vécu. Au contraire, le stress lié au déconfinement devrait exacerber l’état psychologique des salariés », alertent Christophe Nguyen, psychologue du travail et président d’Empreinte Humaine, et Jean-Pierre Brun, cofondateur et expert conseil. Ainsi, 47 % des salariés sont en situation de détresse psychologique (+3 points par rapport au précédent baromètre réalisé du 31 mars au 8 avril), dont 21 % en détresse élevée (+3 points). La situation de détresse concerne 28 % des femmes. Les managers ne sont pas en reste pour 30 % d’entre eux (+10 points). Les raisons de ce mal-être ? 51 % des sondés ont le sentiment de ne pas avoir de moment de répit et 58 % des salariés font face à des journées de travail plus longues. Les télétravailleurs souffrent du « blurring », soit la confusion entre vie professionnelle et personnelle. « Il est urgent de repenser les règles et le cadre du télétravail avec le déconfinement pour préserver les salariés en fonction des conditions personnelles et matérielles », selon Jean-Pierre Brun.
*Enquête menée ligne du 15 au 22 avril auprès d’un échantillon représentatif de 1.000 salariés.
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Munich - Acheter une voiture chinoise sur les Terres de Volkswagen, BMW et Mercedes? «Et pourquoi pas?», sourit la designeuse allemande Tayo Osobu, 59 ans, déambulant dans la vieille ville de Munich, devenue vitrine géante du salon automobile. Venue de Francfort, elle découvre les plus de 700 exposants, dont 14 constructeurs chinois contre 10 européens, qui tentent de séduire le public avec des modèles high-tech dans toutes les gammes de prix. Sur la Ludwigstrasse, deux mondes se font face. D’un côté, le géant chinois BYD, dont les ventes en Europe ont bondi de 250% au premier semestre, expose ses modèles phares, dont l’un, une citadine électrique, se vend à partir de 20.000 euros. De l’autre, Volkswagen, numéro 1 européen en crise, tente de défendre son territoire malgré la chute des livraisons et un plan social historique. Tayo est impressionnée par les finitions des coutures à l’intérieur d’une voiture BYD. Sur la sécurité, aucun doute: «si elles sont vendues ici, c’est qu’elles respectent les normes européennes», répond-t-elle sans hésiter. Qualité au «même niveau» Les marques chinoises maîtrisent une grande partie de leur chaîne de valeur, des batteries électriques aux logiciels embarqués. De plus, elles bénéficient d’une main d'œuvre moins chère et d’économies d'échelle grâce au marché chinois gigantesque. Et fini la réputation de la mauvaise qualité. «Ce qui a changé en cinq ans, c’est qu'à prix inférieur, les Chinois sont désormais au même niveau sur la technologie et la qualité à bien des égards», résume l’expert du secteur Stefan Bratzel. Pour contenir cette offensive, la Commission européenne a ajouté l’an dernier une surtaxe pouvant atteindre 35% sur certaines marques chinoises, en plus des 10% de droits de douane existants. Objectifs visés: protéger l’emploi sur le Vieux continent, limiter la dépendance technologique et préserver l’image des constructeurs européens. Mais BYD contournera bientôt la mesure: sa première usine européenne en Hongrie doit démarrer sa production dès cet hiver. Il est encore «trop tôt» pour parler d’invasion, estime M. Bratzel. Les marques chinoises doivent encore établir «une relation de confiance» avec le public européen, développer des réseaux de concessionnaires et de service après-vente, explique-t-il. Des acheteurs potentiels le disent aussi: «Si on conduit une voiture chinoise, dans quel garage va-t-on en cas de problème?», s’interroge Pamina Lohrmann, allemande de 22 ans, devant le stand Volkswagen où est exposé un ancien modèle de l’iconique Polo. «J’ai grandi avec les marques allemandes, elles me parlent plus», confie cette jeune propriétaire d’une Opel décapotable, dont la famille roule plutôt en «BMW, Porsche ou Mercedes». «Image de marque» L’image des véhicules reste un point faible, mais déjà une certaine clientèle, jeune et technophile, se montre plus ouverte. Cette dernière est convoitée par la marque premium XPeng, lancée en Chine en 2014 : «Nous visons la première vague d’enthousiastes de la technologie», explique son président Brian Gu sur le salon. Loin de baisser les bras, les constructeurs allemands continuent de «renforcer leur image de marque européenne» avec «un héritage» échappant encore aux entrants chinois, explique Matthias Schmidt, un autre expert. Volkswagen a ainsi rebaptisé son futur modèle électrique d’entrée de gamme «ID.Polo», attendu en 2026 autour de 25.000 euros, pour capitaliser sur la notoriété de sa citadine. Et les Européens imitent les Chinois sur l’intégration du numérique, comme le nouveau système d’affichage par projecteur de BMW, et dans la course à la recharge rapide. Ils adoptent aussi les batteries lithium-fer-phosphate (LFP), moins coûteuses, et intègrent de plus en plus de pièces standards chinoises, afin de réduire les coûts et de combler l'écart technologique, note M. Schmidt. «Ce qui compte, c’est que les fonctionnalités et le prix soient convaincants», note Martin Koppenborg, consultant automobile de 65 ans, bravant la pluie sur un stand de BYD, visiblement séduit. Léa PERNELLE © Agence France-Presse